Docsity
Docsity

Prépare tes examens
Prépare tes examens

Étudies grâce aux nombreuses ressources disponibles sur Docsity


Obtiens des points à télécharger
Obtiens des points à télécharger

Gagnz des points en aidant d'autres étudiants ou achete-les avec un plan Premium


Guides et conseils
Guides et conseils

sénèque, épictète et le stoïcisme dans l'œuvre d'un humaniste ..., Schémas de Philosophie

principales vertus de la divine eucharistie contre les hérétiques. Poitiers, 1629. — ... son entreprise est de nous rendre des hommes sages et vertueux, son.

Typologie: Schémas

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Thierry_E
Thierry_E 🇫🇷

4.6

(78)

515 documents

1 / 15

Toggle sidebar

Documents connexés


Aperçu partiel du texte

Télécharge sénèque, épictète et le stoïcisme dans l'œuvre d'un humaniste ... et plus Schémas au format PDF de Philosophie sur Docsity uniquement! SÉNÈQUE, ÉPICTÈTE ET LE STOÏCISME DANS L’Œ U V R E D’UN HUMANISTE CHRÉTIEN! LE C ARME LÉON DE SAINT-JEAN (1 6 0 0 -1 6 7 1 ) Déon de Saint-Jean, communément appelé Jean Macé, est un per­ sonnage plus important qu'on ne pourrait le penser. Dans son Ordre, celui des Carmes, il exerça toutes les charges, excepté celle de Prieur général. Prieur à Angers, puis à Paris, provincial de Touraine, visiteur apostolique de France, il fut élu assistant en 1660. Prédicateur de grand renom, il se fa it entendre à la Cour sous Douis X I I I et Douis X IV .1 Am i de Richelieu qu’il assiste à sa dernière heure, il l ’est aussi de Mazarin ; les plus grands savants de France l ’honorent de leur amitié, de leur confiance, en même temps qu’il exerce une profonde influence dans le grand monde et dans la masse des fidèles. I l écrit sans désemparer : contre les libertins,2 les protestants,3 les jansé­ nistes.4 Il s’intéresse à la mystique, à l ’ascèse, à la morale,5 à la science 1 N ous avons de lu i douze volum es de serm ons, de p a n égyriq u es et d ’orai­ sons funèbres, p arm i lesquelles celles de R ichelieu e t de M azarin . I/ o n cite su rtou t : L a France convertie... Octave à l ’ honneur du B . S . D en is VArêopagite. Paris, 1661. 2 L ’économie de la vraie religion chrétienne, catholique, dévote, par un raison­ nement naturel, moral, politique. Paris, 1 6 4 3 . Cfr. C. C h E S N B A u , L e P . Yves de P a ris et son temps. T . I , L ’ apologétique (Paris, 1 9 4 6 ) , p p . 2 6 4 -2 6 6 , 3 3 3 -3 3 4 , 4 9 4 -4 9 6 . 3 Les sept colonnes de la sagesse incarnée, qui soutiennent le temple des sept principales vertus de la divine eucharistie contre les hérétiques. Poitiers, 1629. — L a réponse de celui qui est attendu, ou Apologie contre V A n ti-L èon de D an iel Couppê, M inistre. Poitiers, 1620. — Instruction catholique pour distinguer la vérité du mensonge en matière de religion. Poitiers, 1647. — Instructio catholica adversus heterodoxos. 1661. 4 A vis sincères et charitables de François Irêrtée sur les questions de la prédesti­ nation et de la fréquente communion. Paris, 1643. 5 L ’ entrée du C iel trois fois ouverte à Saint P a u l dans lequel on propose des maximes générales de la Vie morale, spirituelle et mystique dans l ’ esprit- et la vérité. Paris, 1633. — Avant-goût du Paradis oit M éditations sur l ’A m our divin. Paris, 1634. — Théologie mystique. Paris, 1654. Ephemerides Carmeliticae 05 (1951-1954/2) 476-490 J U L IE N B V M A R D D ’ A N G E R S , O .E .M . C A P . 477 universelle.6 Bref, c’est un de ces humanistes, que l ’abbé H. Bremond s ’est plû à signaler.7 Il n’est pas étonnant, dès lors, que nous fassions sa rencontre dans nos études sur le stoïcisme en France au cours du X V IIèm e siècle.8 II est ainsi dans la ligne de conduite que lui traça son maître, Jean de Saint-Samson, ce fam eux mystique, qui composa un recueil où Sénèque prend place à côté des Pères de l ’Èglise.9 Bui-même, il possède une vaste culture ; si Saint Paul est son auteur de prédilec­ tion, s ’il est le lecteur assidu de S. Augustin et du Pseudo-Denis, il n’en connaît pas moins Aristote et surtout P laton.10 Bes stoïciens ne sont nullement absents de cette immense érudition ; sans doute les citations stoïciennes sont beaucoup moins fréquentes chez lui que chez un Sébastien de Senlis par exemple, ou même un Jean-François Se- nault ; on peut dire qu’il passerait pour timide en face des audaces que se permettent certains écrivains de cette époque ; néanmoins il invoque assez souvent l ’autorité des philosophes du Portique, pour retenir l ’attention de l ’historien. Nous allons donc nous pencher sur cette œ uvre,11 pour en extraire ce qui, au seul point de vue qui nous occupe, est capable de nous intéresser. ** * Ba position qu’adopte Béon de Saint-Jean est une position de juste milieu ; elle est conforme à celle des humanistes chrétiens de l ’époque 6 Encyclopediae praemessum. Paris, 1635. — M edulla sapientiae universalis. Paris, 1667. 7 Histoire littéraire du sentiment religieux (Paris, 1930), t. I , L ’ hum anism e dévot, pp. 266-267 ; t. I I , L ’ invasion mystique, p p . 389-393. 8 J u l i e n - E y m a r d d ’A n g e r s , O .F .M . C a p ., L e stoïcisme en France dans la première moitié du X V II è m e siècle. Les origines (1575-16x6), dans Études F ra n ­ ciscaines, 2 [nouv. sér.] (1951), pp. 287-298, 389-410; 3 (1952), pp. 5-19, 133-158. — D u stoïcisme chrétien à l'hum anism e chrétien : les « Diversités » de J . P . Camus (160 9-1618 ), s. 1., 1952. — L e stoïcisme dans le traité « D e l ’usage des passions » de l ’Oratorien Senault, 164 1, dans Revue des sciences religieuses, 25 (1951), p p . 40-68. — Sénèque et le stoïcisme chez les capucins français du X V IIè m e siècle : Zacharie de L isieu x et Léandre de D ijon , dans Études Franciscaines, 1 [nouv. sér.] (1950), p p . 337-353. — Sénèque et le stoïcisme dans Vœuvre de Georges d 'A m ien s ( f z66z), dans Collectanea Franciscana, 20 (1950), pp. 335-366. — Sénèque et le stoïcisme dans l ’œuvre du P . Yves de P a ris (1590-1678), ibid., 21 (1951), pp. 45-88. — L e P . Sébastien de Senlis 0 . F . M . Cap. et le stoïcisme chrétien (1620-1647), ibid., 22 (1952), pp. 286-318. — Sénèque et le stoïcisme dans le traité « D e l ’ ordre de la vie et des mœurs » du jésuite Ju lien Hayneuve, dans Recherches de science religieuse, 41 (1953), pp. 380-405. 9 C f r . S. M . B o u c h e r e a u , L a réforme des Carmes en France et Jean de Saint- Sam son (Paris, 1950), p . 159. 10 Ibid ., pp. 340-341. 11 N ous n 'étud ieron s que les œ uvres su ivan tes : 1) Jésus-Christ en son trône, établissant et enseignant la vraie religion, la morale chrétienne et la mystique. Paris, 1657. 2) Studium sapientiae universalis. Contextus scientiae humanae et divinae. Paris, 1657. 3 ) L ’économie de la vraie religion. Paris, 1643. Nous aurions dû a jo u ter : 1) L a constance de l'esprit. Paris, 1636. 2) D iscip lin a pru- dentiae. Paris, 1637. M ais nous n 'av o n s pu trou ver ces deu x ouvrages, qui d o ive n t être rares. 480 J U E I B N B Y M A R D B ’A N G E R S , O .E .M . C A P . et il n’en recueille pas le fruit nécessaire : il n ’a point assez démêlé la vérité dans la confusion de ses raisonnements. Par contre Socrate est loué sans réserve, car c ’est lui le premier qui a rendu la philosophie morale, qui l ’a tirée des spéculations stériles, pour la rendre profitable à la société des hommes ; en un mot, il lui a donné autant de chaleur pour la vertu, qu’elle avait jusque là de lumière pour la vérité. Épictète surtout est l ’objet d ’une louange pure de tout blâme ; cet esclave phrygien s’est attaché si fortement à la pratique de la plus austère vertu qu’il a passé pour le miracle du siècle ; après sa mort, sa lampe qui n ’était que de terre, fu t adjugée cinquante écus d’or ; aussi lui donne-t-on pour devise ces deux mots, qui sont le sommaire de toute sa morale : obstiné., sustine, s ’abstenir de tout ce qui flatte la nature, souffrir tout ce qui paraît de plus rude et de moins supportable.15 Tout concourt donc à nous établir dans une solution de juste milieu. « Je ne puis souffrir, écrit Léon de Saint-Jean, qu’on 11e fasse pas une entière distinction entre notre Morale chrétienne et celle des anciens. Si nous ne donnons à nos vertus d’autres fins, d ’autres principes et d ’autres manières d ’agir que ne font tous ces profanes, l ’eau ne montant jamais plus haut que la source, nous n ’aurons après tout qu’une vie profane. E t ceux qui après le baptême sont si passionnés de ces adora­ tions, qu’ils ne sont adorateurs que de leur maximes et de leurs vertus, peuvent bien à l ’article de leur mort attendre d’eux toute leur récom­ pense. Si Charron et Montaigne 16 eussent bien pris garde à cela, leur siècle et le nôtre n ’auraient pas tan t de sages et plus de saints. Il fau­ drait faire en cette occasion ce que S. Paul commande aux chrétiens à l ’égard des juifs : il ne serait pas mauvais d ’enter la morale chré­ tienne sur l ’ancienne ; ou bien retirer celle-ci de ces mains profanes, comme le vrai domaine de Jésus-Christ et l ’ayant purifiée dans la coupelle de la Grâce, en faire notre héritage et nos plus précieuses richesses >>.17 ** ❖ Après cette déclaration de principes, il faut s’attendre à trouver chez Léon de Saint-Jean une réfutation du stoïcisme en ce qu’il pré­ sente de condamnable, une utilisation des stoïciens en ce qu’ils ont trouvé de naturellement bon et, partant, d’assimilable à la morale chrétienne. 10 Jésus-C hrist en son trône, p. 345. 16 Sur le stoïcism e dans M ontaigne e t dans Charron, cfr. J u m b n -B y m a rd d ' A n g e r s , Le stoïcisme en France dans la première moitié du X V IIè m e siècle. Les origines, 15 75 -16 16 , dans Études Franciscaines, 2 [b o u t , sér.] (1951), pp. 289- 2 9 7 . 389- 399- 17 Jésus-C hrist en son trône, p. 345. C ette idée est fam ilière à tous les h u m a ­ n istes de cette époque ; v o ir en p articu lier J tteiB N -B y m a r d d ’A n g e r s , Sénèque et le stoïcisme dans le traité <1 D e l ’Orde de la vie et des mœurs » du jésuite Ju lien Hayneuve, dans Recherches de science religieuse, 4.1 (1953), p. 384-385. DE STOÏCISME DANS D’ŒUVRE DE DÉON DE SAINT-JEAN 481 A dire la vérité, la réfutation du stoïcisme n’occupe pas une place considérable dans l ’œuvre de Jean de Saint-Samson et les stoïciens ne doivent pas être comptés parmi les principaux adversaires de notre humaniste. Commençons par la fin dernière humaine, qui pour un Sénèque comme pour un Épictète consistait dans la seule vertu, indépendam­ ment de toute récompense dans un hypothétique au-delà. J. P. Ca­ mus,18 Y ves de Paris,19 même à la rigueur J. F. Senault 20 entrepren­ nent sur ce point essentiel et le stoïcisme et les stoïciens. Bien qu’il aborde plusieurs fois ce sujet, Béon de Saint-Jean ne compte pas le Portique au nombre des adversaires qu’il réfute. Dans son Portrait de la sagesse universelle, 2 1 traitant de la cause finale, il écrit : « Toute la nature est faite pour l ’homme. F t l ’homme ne pouvant servir deux maîtres, ne doit viser qu’à Dieu, qui n’est pas moins sa dernière fin que son premier principe » ; mais il n’est nullement parlé des stoïciens. U n peu plus loin dans le même ouvrage,22 il revient sur ce problème et s’il fait une rapide allusion aux deux cents opinions soutenues par les anciens en cette matière, ce qui rappelle Montaigne 23 en annon­ çant Pascal,24 il ne s’attarde pas plus, il ne mentionne même pas la thèse défendue en l ’occurence par les disciples de Zénon. Même re­ marque pour le Jésus-Christ en son trône,25 où sont montrés les dé­ fauts des biens créés, où il est dit notamment que les vertus les plus accomplies ne servent que de moyens, non pas de fin, mais où le stoï­ cisme n’est pas une seule fois nommé. Visiblement, ce n’est pas sur cet aspect du problème que Déon de Saint-Jean juge bon de faire porter son effort. Bien timide encore la réfutation à propos du destin. Si dans l ’ouvrage que nous venons de mentionner, il n’est point parlé du fatum, quand l ’auteur essaie d’accorder la puissance divine et la liberté humaine,26 du moins dans le Portrait de la sagesse universelle nous trouverons comme une ombre d’opposition, en même temps, il est vrai, qu’une ombre de conciliation : «B a destinée que les Anciens appellent fatum n ’est autre chose que la suite et l ’enchaînement des causes, qui produisent leurs effets selon les lois éternelles et les ordres inviolables que le Souverain Auteur des 18 C fr . J u d i e n - B y m a r d d ’ A n g e r s , D u stoïcisme chrétien à l'hum anism e chrétien : les « Diversités » de J . P . Cam us, pp. 43-45. 19 I d e m , Sénèque et le stoïcisme dans l'œuvre du P . Yves de Paris, dans Col­ lectanea Franciscana, 21 (1951), pp. 51-54. 20 I d e m , L e stoïcisme dans 1e traité « D e l ’usage des passions » de V Oratorien Senault, dans Revue des sciences religieuses, 25 (1951), pp. 44-45. 21 P p . 108-109. 22 P. 453. L ’allusion a u x d e u x cents espèces de souverain bien v ie n t de S. A u g u stin (De Civitate D ei, I , 2 ; P. L-, 41, 623). Cfr. E . G i d S o n , Introduction à l ’étude de S . A ugustin (Paris, 1929), p. 140. 23 E ssais, I I , chap. X I I . 24 Pensées, fr. 74. 25 Pp- 354-3 5 5 - Cfr. infra, note 60. 26 P- 4 4 - 482 JUI.IEN EYMARD D ’ANGERS, O.F.M. CAP. êtres a établis dans la nature. Si l ’on contemple ce bel ordre dans sa source, qui sont les décrets de Dieu, c ’est justement ce que l ’on nomme la Providence. Si vous regardez ces lois comme écrites et gravées dans les tables de la Nature, on l ’appelle fatalité, parce qu’il semble que c'est un arrêt que Dieu a prononcé et une loi qu’il a dictée. Or bien que cette liaison des causes enveloppées les unes dans les autres, rende souvent la production des effets nécessaires, la Théologie fait voir évidemment que cette nécessité, qui n ’est que supérieure et de sup­ position, et qui laisse chaque chose agir selon sa nature, ne préjudicie jamais à la liberté de l ’homme >>.27 Sur le même point Y ves de Paris se montrait beaucoup plus sévère, bien qu’il réfutât le destin du Portique uniquement sous son aspect astral.28 D’accusation se fait plus forte et plus précise, lorsqu’il s’agit de la vertu. Déon de Saint-Jean prend grand soin de nous avertir qu’il n’en­ tend pas donner crédit à l ’opinion des stoïques. Ces austères et arro­ gants philosophes plaçaient toute la vertu dans l ’entendement et s ’ima­ ginaient que la main libérale de la nature les avait semées et plantées en l ’esprit humain. De même que la chaleur et la lumière du soleil font pousser les semences enfermées dans le seins de la terre, de même nous avons besoin de culture, de docilité, de vigueur et d'exercice pour réveiller ces vertus qui semblent être endormies dans notre esprit. Ce n’est là, déclare Déon de Saint-Jean, qu’une orgueilleuse imagina­ tion, qui ne s’accorde ni avec les faiblesses de notre nature, ni avec nos propres expériences. Si les vertus nous étaient naturelles, au sens où l ’entendent les stoïciens, elles se trouveraient comme la nature éga­ lement dans tous les hommes ; elles ne mériteraient ni louanges, ni récompenses ; nous ne sentirions pas tan t de peine à les acquérir et nous les pratiquerions avec moins de répugnance. C’est Aristote qui a raison en cette matière, lui qui soutient que la vertu n’est pas une production de la nature, pas plus d ’ailleurs qu’elle n’est en opposition avec elle ; lui qui démontre qu’elle est enseignée par précepte, acquise par exercice, augmentée par « réitération » des actes semblables, qui engendrent l ’habitude et nous forment ainsi comme une seconde na­ ture. E n somme, la vertu n ’est naturelle à l ’homme, que dans la me­ sure où le naturel de l ’homme, principalement s ’il est bon et docile, « enferme sans doute les premières semences de l ’honnêteté >>.29 C’est encore Aristote, et non pas les stoïciens, qui a raison, quand il s’agit des passions humaines. Ceux-ci les condamnent comme des monstres. Celui-là se contente de les soumettre à la raison ; la morale chrétienne survient alors qui les purifie et les élève, par « les diverses 27 Le portrait de la sagesse universelle, pp. 105-106. C ita tio n de S én èque : « F a tu m qu od D eus fa tu r ». Cfr. A . D e B o v i s , S .J ., L a sagesse de Sénèque (P a ­ ris, 1948), pp. 163-164. 28 Cfr. J u e i E N - B y m a r d d ’A n g e r s , Sénèque et le stoïcism e dans l'œuvre du P . Yves de P a ris, dans Collectanea Franciscana, 21 (1951), pp. 49-51. 29 Jésus-Christ en son trône, p. 391. d e s t o ï c i s m e d a n s d ' œ u v r e d e d é o n d e s a i n t - j e a n 4 8 5 C ’était une fortune pour les apologistes de pouvoir confirmer leur doctrine par un texte pris de l ’antiquité, et de ravir ainsi au paganisme une vérité qui appartenait de plein droit au christianisme.36 Aussi ne faut-il pas s ’étonner de voir Déon de Saint-Jean citer immédiatement l ’un après l ’autre Sénèque et Saint Paul à propos de la Providence. C’est un fait, écrit-il, que les instruments « n ’agissent que dans la vertu et par l ’impression de la cause principale qui les emploie. De sorte que, d ’autant qu’elle est plus noble et plus parfaite, elle a aussi moins besoin de secours étrangers. Ce qui a fait dire à Sénèque 37 que le pouvoir de la nature ne paraît jamais avec plus de pompe et d ’éclat que dans les plus petits ouvrages, et à l ’Apôtre des gentils 38 que les plus illustres triomphes de la Grâce, c ’est qu’elle se sert des moyens, non seulement faibles, mais contraires et opposés, pour la production de ses divins ouvrages. Dieu agit vraim ent en Dieu, quand il se sert du néant pour anéantir ce qui est, ou pour tirer du néant ce qui n’est pas >>.39 Des moralistes de cette époque empruntaient volontiers aux Éftitres à Lucilius les brillants passages dont ils avaient besoin, pour analyser les humaines vertus ; rien de compromettant à cela, puisque la doctrine ne saurait être en jeu.40 Déon de Saint-Jean marche sur les traces de ses confrères, mais avec beaucoup plus de circonspection, puisque ses emprunts se bornent au nombre de cinq. Premier cas : la mansuétude et la clémence sont toutes les deux une remarquable im itation de la divinité, et comme telles la véritable parure des rois ; encore que cette parole d’un empereur ait fa it plus de bruit que de fruit, qui devant que de signer un arrêt de mort, s’écria : P lût à Dieu que je ne susse pas écrire.41 Second cas : «Si on ne veut jamais marcher que dans le grand chemin et sur les sentiers battus, l ’on ne v a bien loin. Si sous prétexte de s’élever l ’on quitte le grand chemin, l ’on s’égare. De juste tempérament, c ’est de s’attacher solidement à la solidité des principes que l ’on doit choisir, et les prendre partout où on les trouve >>.42 Troi­ sième citation : Da bienveillance nous oblige de traiter les serviteurs en père et non en tyran, non pas comme des bêtes de somme, mais en qualité d ’homme et de chrétien.43 Un quatrième texte tend à con­ 36 C ’est le jésu ite Julien H a y n eu v e qui, de to u s les hum anistes, a su le m ieux an alyser e t dém ontrer ce p rin cipe fon d am en tal de l'hum anism e chrétien : Cfr. J tjdiE N - E y m a r d d ’ A n g e r s , Sénèque et le stoïcisme dans le traité « D e l ’ordre de la vie et des mœurs » du jésuite Ju lien Hayneuve, dans Recherches de science religieuse, 41 (1953), P- 384-392. 37 « N a tu ra n un qu am m agis est qu am in m inim is ». 38 I Cor., I, 28-29. 39 L e portrait de la sagesse universelle, p. 104. 40 Cfr. les artic les cités du R . P. Ju lien -E y m ard d ’A ngers, passim . 41 Jésus-Christ en son trône, p . 417. S E N E C A , D e clementia, I I , 1-2. 42 Jésus-Christ en son trône, p. 472. S e n e c a , Epistulae, X X X I I I , 10 : « U tar v ia v etere ; sed si propiorem invenero, han c m uniam . Q ui ante nos is ta m ove- ru n t, non dom ini nostri, sed duces ». 43 Jésus-Christ en son trône, p. 473. S e n e c a , Epistulae, X L V I Ï , 1 : « S ervi su n t? Im m o hom ines... im m o contubernales ». 486 JU U E N EYMARD D ’ANGERS, O.F.M. CAP. firmer que les félicités sont fausses, que nous pensons trouver dans les créatures.44 Enfin ce passage sur la nécessité de se choisir un ami : ce n ’est pas un petit secret, pour acquérir la vertu, de s’imaginer un homme vertueux, de se représenter quelque grand et saint personnage, dont la vie serve d’original à la conduite de la nôtre.45 C’est tout ce que nous avons trouvé pour Sénèque ; comparé à d’autres écrivains de cette époque, c ’est vraiment très peu. Pour Epictète, nous avons à la fois et moins et plus. Moins, car il n ’est guère question de lui qu’une seule fois. Plus, à cause de l ’impor­ tance du passage que nous allons analyser. Eéon de Saint-Jean distingue une triple vie humaine : une vie mo­ rale, une vie spirituelle, une vie mystique ; la première est réglée par la raison, la seconde par la Foi, la troisième par la mise en jeu des dons du Saint-Esprit.46 Il va de soi que les païens n ’auront rien à voir pour la seconde et la troisième ; il n ’en est pas de même pour la première. Eeur doctrine sans doute ne sera pas pure de toute alliage, car ils sont sujets à l ’erreur ; elle ne sera pas non plus complètement erronée, car ils sont capables de vérité. I l convient donc de faire un essai à l ’entrée de l ’ascension vers les cimes. I l s'agit tout simplement de prendre une œuvre païenne, de l ’exorciser et de s’en servir comme de marche-pied pour monter vers la sainteté. Or l ’œuvre païenne choisie n ’est ni plus ni moins le Manuel d’Épictète. On se rend compte aisément de l ’impor­ tance du passage que nous allons critiquer.47 Pour saisir plus à fond la position de Eéon de Saint-Jean, il est bon, croyons-nous, d’exposer tout d’abord celle de Saint Ignace de Eoyola. E a lumière sortira certainement plus vive de cette comparaison. Ee solitaire de Manrèse, le vieil étudiant de la Sorbonne a rencontré sur son chemin le stoïcisme, qui était à la mode en ce début du X V Ièm e siècle. Ee commentateur des Exercices, à deux reprises, se voit obligé 44 Jésus-Christ en son trône, pp. 354-357. SE N E C A : « C ad u n t in quosdam u t donaria in cloacam » ; référence im précise. Léon de S a in t-Jean a jo u te ce p ro verb e la tin : « U b i über, ib i tu b er ». 45 Jésus-Christ en son trône, p . 474. S E N E C A , Epistu lae, X I , 7 : « A liq u is v ir bonus nobis eligendus est... E lige C atonem ... E lig e L a e liu m ». A ces c inq c ita ­ tio n s nous p ou von s a jo u ter celle que nous a vo n s signalée p lu s hau t, n ote 14. 46 S. M . E o u c h e r E A U X , L a réforme des Carmes en France et Jean de Saint- Samson (Paris, 1950), pp. 340-341. 47 S u r les rap p orts d 'E p ic tè te e t du christianism e, cfr. T h . Z a h n , D er Stoiker E piktet und sein Verhältnis zum Christentum. E rlan gen , 18 9 4 . — - IC. K t t ip E R , Epictetus en de christelijke moraal. A m sterdam , 19 0 6 . — A . B o n h ö F F E R , Epiktet und das N eue Testament, G iessen, 1 9 1 1 . — M. J. L a G R A N G E , O .P ., L a philoso­ phie religieuse d’Épictète et le christianism e, dans Revue biblique, 9 ( 1 9 1 2 ) , pp. 5 - 2 1 , 1 9 2 - 2 1 2 . — B o u g e a s S. S h a r p , Epictetus and the New Testament, London, 1 9 1 4 . — G. P B P E , L a filosofia religiosa di Epicteto, dans R ivista neo- scolastica, 8 ( 1 9 1 6 ) , pp. 2 -2 0 , 5 6 6 -5 8 5 . M algré la d ivergen ce très n ette q u i existe entre les conclusions de ces diverses études, nous croyons p ou vo ir soutenir q u 'É p ic tè te a su b i in directem en t l ’in fluence du christianism e, ce qu i exp liq u e­ ra it le caractère p lu s re lig ieu x e t plus personnel des écrits de ce philosophe. DE STOÏCISME DANS D’ŒUVRE DE DÉON DE SAINT-JEAN 48 7 de faire un rapprochement entre l ’indifférence chrétienne et celle des stoïciens. « Tous les objets créés, écrit-il, considérés en eux-mêmes, sont en effet indifférents, puisque tous peuvent également être nuisi­ bles ou utiles à notre fin. C’est une vérité que la philosophie elle-même, sans autre secours que les lumières de la raison a parfaitement com­ prise » ; et encore : « T a philosophie, nous la citerons une seconde fois, a connu aussi cette doctrine : Soutenir et s’abstenir, nous dit-elle en son incisif langage : Sustine et obstiné >>.48 Seulement, tandis qu’un Épictète se place surtout au point de vue de l ’humaine liberté et prend pour fondement de son Manuel la fameuse distinction entre les biens qui dépendent de nous et ceux qui ne dépendent pas de nous, Saint Ignace se place franchement au point de vue du salut et prend pour fondement « la fin pour laquelle nous sommes créés ».49 C’est également la position, bien qu’avec des nuances, d ’un Saint François de Sales,50 d ’un Y ves de Paris 51 ou encore d’un Julien H ayneuve.52 Déon de Saint-Jean ne procède pas de la sorte. A u seuil de sa morale, après avoir expliqué sa pensée sur la philosophie antique, avant de se lancer dans l ’analyse des commandements de Dieu, il sent comme le besoin de souffler, et c ’est bien pour lui-même, sans trop le transfor­ mer, qu’il résume le Manuel du sage phrygien. Sans doute, il omet ce qui touche la divination,53 il atténue les passages qui concernent la m o rt54 ou ceux qui montrent par trop l ’insensibilité stoïcienne 55 ; cependant dés le début de son résumé il donne comme fondement non pas le problème du salut, mais la fameuse distinction dont nous avons parlé plus haut : « Toute cette morale d ’Épictète, écrit-il, ne roule que sur deux points. De premier embrasse tout ce qui est à nous 48 S . I g n a c e d e L o y o d a , Exercices spirituels, a n n o t é s p a r le R . P . R o o t h a a n . t r a d u i t s s u r le t e x t e e s p a g n o l p a r le P . P i e r r e J E n n e s s e a u x . V in g t - t r o is iè m e é d i t i o n r e v u e e t c o r r ig é e p a r le P . P i n a r d d e d a B o u d d a y e ( P a r is , 1 9 4 8 ) , p p . 29 e t 3 2 . 49 Cfr. P . D e D a i n v i i .d k , S . J . , L a naissance de l'hum anism e moderne (Paris, 1 9 4 0 ), p p . 4 .5-246, 2 5 0 . — É P IC T È T E , Entretiens, éd. J . S o u i d h É (Paris, 1 9 4 8 ) , Introd uction, p . d x , n . 4. o0 C fr . J u d i e n - E y m a r d d ’A n g e r s , L e stoïcisme en France dans la première moitié du X V IIè m e siècle. Les origines, 1575 -16 16 , d a n s Études Franciscaines, 3 [ n o n v . s é r .] (1952), p p . I 49- I 55 - 1,1 C fr . I d e m , Sénèque et le stoïcisme dans l ’œuvre du P . Yves de Pa ris, d a n s Collectanea Franciscana, 21 (1951), pp. 78-81. ° 2 C fr . I d e m , Sénèque et le stoïcisme dans le traité « D e l ’ordre de la vie et des mœurs » du jésuite Ju lien Hayneuve, d a n s Recherches de science religieuse, 4 1 (1953). P- 397-898 . 53 K p i c t k ï ï , Dissertationes... fragmenta et enchiridion..., é d . P. D u b n e r (Pa- risiis, 1877), cap. X V I I I , p . 4 ; cap. X X X I I , p. 9. 54 Ibid., c a p . X X I , p . 5 . C fr . L é o n D E S a i n t - J e a n , Jésus-Christ en son trône, p . 3 4 6 : « L o r s q u 'i l [ le s a g e ] v i e n t à p e r d r e s e s t i ie n s , s o n h o n n e u r , s a s a n t é , s a v ie , i l d i t s im p l e m e n t s a n s s ' i n q u i é t e r : J ’ a i r e n d u c e q u 'o n m ’ a p r ê t é ». I l n e s ’ a g i t p lu s , c o m m e d a n s É p i c t è t e , d e s o n g e r t o u jo u r s à l a m o r t . 55 É p i c t è t e , op. cit., c a p . X I , p . 3. C fr . L é o n d e S a i n T - J e a n , op. cit., p . 3 4 6 : « S i l a m o r t lu i e n lè v e s a fe m m e , s o n f i ls , s o n a m i , i l n ’ e n s e r a é m u , n o n p l u s q u e s i c ’ é t a i t s o n v o is in q u i f i t t o u t e s c e s p e r t e s » ; p . 3 4 7 : « I l [le p h i lo s o p h e ] a d e l a t e n d r e s s e p o u r s e s f r è r e s e t a im e s e s a m is ».
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved