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SENSIBILITÉ MODERNE
FLÂNERIES URBAINES ET POÉTIQUE DU
Le Peintre de la vie moderne
La foule est son domaine, comme
l'air est celui de l'oiseau, comme
l'eau celui du poisson. Sa passion et
sa profession, c'est d'épouser la
foule. Pour le parfait flâneur, pour
l'observateur passionné, c'est une
immense jouissance que d'élire
domicile dans le nombre, dans
l'ondoyant, dans le mouvement,
dans le fugitif et l'infini. Être hors de
chez soi, et pourtant se sentir
partout chez soi ; voir le monde,
être au centre du monde et rester
caché au monde, tels sont
quelques-uns des moindres plaisirs
de ces esprits indépendants,
passionnés, impartiaux, que la
langue ne peut que maladroitement
définir. L'observateur est un prince
qui jouit partout de son incognito.
L'amateur de la vie fait du monde sa
famille comme l'amateur du beau
sexe compose sa famille de toutes
les beautés trouvées, trouvables et
introuvables ; comme l'amateur de
tableaux vit dans une société
enchantée de rêves peints sur toile.
Ainsi l'amoureux de la vie universelle
entre dans la foule comme dans un
immense réservoir d'électricité. On
peut aussi le comparer, lui, à un
miroir aussi immense que cette
foule ; à un kaléidoscope doué de
conscience, qui, à chacun de ses
mouvements, représente la vie
multiple et la grâce mouvante de
tous les éléments de la vie. C'est un
moi insatiable du non-moi, qui, à
chaque instant, le rend et l'exprime
en images plus vivantes que la vie
elle-même, toujours instable et
fugitive. [...]
Quand M. G. à son réveil, ouvre les
yeux et qu'il voit le soleil tapageur
donnant l'assaut aux carreaux des
fenêtres, il se dit avec remords,
avec regrets : « Quel ordre
impérieux ! quelle fanfare de
lumière ! Depuis plusieurs heures
déjà, de la lumière partout ! de la
lumière perdue par mon sommeil !
MOUVEMENT
Que de choses éclairées j'aurais pu
voir et que je n'ai pas vues ! » Et il
part ! et il regarde couler le fleuve
de la vitalité, si majestueux et si
brillant. Il admire l'éternelle beauté
et l'étonnante harmonie de la vie
dans les capitales, harmonie si
providentiellement maintenue dans
le tumulte de la liberté humaine. Il
contemple les paysages de la
grande ville, paysages de pierre
caressés par la brume ou frappés
par les soufflets du soleil. Il jouit des
beaux équipages, des fiers chevaux,
de la propreté éclatante des
grooms, de la dextérité des valets,
de la démarche des femmes
onduleuses, des beaux enfants,
heureux de vivre et d'être bien
habillés ; en un mot, de la vie
universelle.
Charles Baudelaire, 1863.
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Baudelaire ou les rues Paris
Le génie de Baudelaire, nourri de mélancolie,
est un génie allégorique. Avec Baudelaire,
Paris devient pour la première fois un objet
pour la poésie lyrique. Cette poésie n’est pas
un art local, le regard que l’allégoriste pose
sur la ville est au contraire le regard du
dépaysé. C'est le regard du flâneur, dont le
mode de vie couvre encore d'un éclat
apaisant la désolation à laquelle sera voué
l'habitant des grandes villes. Le flâneur se
tient encore sur le seuil, celui de la grande
ville comme celui de la classe bourgeoise.
Aucune des deux ne l’a encore subjugué. Il
n'est chez lui ni dans l’une ni dans l’autre. Il se
cherche un asile dans la foule. [..] Celle-ci est
le voile à travers lequel la ville familière
apparaît comme fantasmagorie et fait signe
au flâneur. Ainsi travestie, elle est tantôt un
paysage, tantôt une chambre. Le grand
magasin, exploitant l’un et l’autre de ces
thèmes, met à contribution la flânerie elle-
même. Le grand magasin est le dernier
trottoir du flâneur.
TT
FRRNG anvase
A RDOUIN- DUMAZET
9°" Série
BAS-DAUPHINÉ
VIENNOIS
GRAISIVAUDAN. OISANS
piois
ET VALENTIN OIS
PARIS
BERGER-LEVRAULT & C". ÉDITEURS
Dans l'intelligence du flâneur, l'intelligence va
au marché. Pour en contempler le spectacle,
croit-elle, mais en vérité - pour y trouver un
acheteur. A ce stade intermédiaire où elle a
encore des mécènes, mais déjà commence à
se familiariser avec le marché, elle se
présente comme bohème. [..] La poésie de
Baudelaire a ceci d’unique, que les images de
la femme et de la mort s'y fondent en une
troisième, celle de Paris. Le Paris de ses
poèmes est une ville engloutie, plus sous-
marine que souterraine. Les éléments
chtoniens de la ville sa formation
topographique, le vieux lit abandonné de la
Seine - trouvent sans doute un écho dans
son œuvre. Mais il y a chez Baudelaire un
substrat social, moderne, qui joue un rêle
déterminant dans l’idylle funèbre » de la ville.
Le moderne est un accent capital de sa
poésie.
Walter Benjamin, 1935.
Voyage en France
Le voisinage d'un puissant bassin houiller a
développé à Lyon les industries nouvelles. La cité
vivait jusque là uniquement par la soierie et la
banque ; elle est devenue une gigantesque usine où
toutes les productions se rencontrent. Depuis
quarante ans, un flot continu de Savoyards, de
Dauphinois, d'Auvergnats, de Suisses et d'Italiens se
porte sur Lyon. Et l'accroissement se poursuit d'une
façon régulière. Chaque jour des industries
nouvelles se créent, recrutant sans peine des
milliers de bras venus de tous les points de
l'immense région que parcourent le Rhône, la Saône
et la Loire. L'invention du fil aérien et la possibilité
d'amener des Alpes la force emmagasinée par la
houille blanche ont donné un élan inouï à la création
de lignes de tramways. Les communes de la
périphérie se sont accrues. Villeurbanne, qui n'avait
que 5 000 habitants avant la guerre de 1870, atteint
peut-être 50 000 aujourd'hui. Lyon est une énorme
agglomération de près de 600 000 âmes.
Victor Ardouin-Dumazet, 1896.
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