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Synesthésie : la magie du voyant chez Rimbaud et Li He, Notes de Poétique

voyante et de s'incarner comme un voleur du feu, afin d'apporter dans le monde ... 4 Arthur Rimbaud, Rimbaud, Œuvre complete, Présentation par Jean-Luc ...

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 08/06/2022

Renee88
Renee88 🇫🇷

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Télécharge Synesthésie : la magie du voyant chez Rimbaud et Li He et plus Notes au format PDF de Poétique sur Docsity uniquement! Synesthésie : la magie du voyant chez Rimbaud et Li He Auteur : SU Wenrui Résumé Rimbaud et Li He constituent deux poètes insolites dans le milieu littéraire. Sous leur plume, la synesthésie, un art rhétorique, occupe une place très importante, grâce à laquelle toutes les sensations sont évoquées et tous les rêves pénètrent dans le monde réel. Dans la lettre à Paul Demeny, Rimbaud confirme sa volonté d’être voyant. Afin de la réaliser, il recourt à « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », soit à une astuce qu’est la synesthésie. Dans un premier temps, cet art rhétorique permet d’établir un pont entre le rêve et le réel. Dans la poésie, en évoquant les images concrètes, les poètes racontent souvent leurs propres pensées et leurs épanchements de l’esprit avec effusions. En vue de créer cet effet voyant, Rimbaud et Li He, dans les vers, font appel à la synesthésie, intermédiaire entre l’âme et l’homme. Ainsi, les cinq sensations sont mêlées dans un ensemble du récit poétique, ce qui est favorable à la recherche du mystère de l’âme dans l’inconnu. D ans un deuxième temps, la synesthésie contribue à la littéralité des poèmes. Dans les strophes, l’usage de cette rhétorique valorise la virtuosité du poète qui sublime le style littéraire et dote les écrits d’un pouvoir d’enchantement. Selon les théories actuelles, l’esthétique littéraire est étroitement liée à l’évolution culturelle. La littéralité, quant à elle, relève d’un effet esthétique. S’agissant des poèmes de Rimbaud et de Li He, leur langage poétique ouvre un nouveau champ de la littérature contemporaine. La synesthésie, entre autres, joue un rôle magique et constitue un outil voyant dans leur style insolite. Dans un troisième temps, la synesthésie permet aux poètes de réfléchir d’une façon voyante et de s’incarner comme un voleur du feu, afin d’apporter dans le monde poétique un souffle nouveau d’esprit révolte. Dans les vers de Rimbaud et de Li He, la synesthésie, en tant que vecteur, donne lieu à des échanges entre l’âme et l’homme. Cet examen profond de l’esprit est dans le but de trouver la vérité cachée en interne. A la recherche du vrai, leur esprit révolte est progressivement révélé, d’autant plus que la synesthésie, elle-même, symbolise une révolte contre les images ou les concepts établis. En somme, par le biais de la synesthésie, Rimbaud et Li He établissent une relation entre l’esprit et le réel, ce qui permet de s’enfoncer dans l’âme pour déchiffrer les mythes de l’esprit et d’en quelque sorte, orienter l’esthétique littéraire contemporaine qui représente la littéralité de leurs poèmes. Mots-clés : synesthésie, monde réel, âme, littéralité, esprit révolte Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges ; - O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! 7 Dans ces vers, Rimbaud exprime, sans doute, son imagination d’enfance. Il attribue les couleurs différentes à ces cinq voyelles. Mais, pour l’ordre de ces cinq voyelles, Rimbaud ne respecte pas l’ordre traditionnel (A, E, I, O, U). En revanche, il a choisi de mettre « O » dans la dernière position. Certains critiques croient que « O » renvoie « Ω » en grec qui symbolise « la fin ». En même temps, « A » se trouve dans la première position qui représente sûrement le début. Ainsi, les chercheurs pensent que ce poème présente une réflexion à la vie. « A » symbolise le temps du bébé. La scène correspondant à « A » ressemble à l’instant de l’accouchement d’un bébé. « Noir corset velu », « puanteurs cruelles » et « golfes d'ombre » désigne juste le vagin de la mère. Quand il s’agit de la raison pour laquelle Rimbaud recourt à des mots perfides pour le lieu de la naissance, c’est peut-être sa mauvaise relation avec sa mère. Il s’agit sans doute d’une vengeance. Pour la lettre « E », elle répond à l’enfance. « Les candeurs » sont la nature des enfants. Dans leur monde, tout est blanc, ce qui représente la pureté de l’enfance. Quand il s’agit de « I », cette lettre incarne la jeunesse pendant laquelle nous vivons d’une façon vigoureuse, nous agissons sur la tête et nous goûtons la douceur de l’amour. « U » symbolise ainsi la période des personnes entre deux âges. A cause de leur maturité, ils ne sont plus impulsifs. Ainsi, le mot-clé de leur vie devient « paix ». Sur leur front, les rides apparaissent. A l’égard de « O », il s’agit de la fin (la période des personnes âgées), voire même de l’agonie. A ce moment-là, nous voyons les anges qui sont peut-être arrivés pour nous guider au 7 Arthur Rimbaud, op.cit., p. 136. paradis. Non seulement les couleurs qui représentent la sensation visuelle, dans ce poème, notre poète évoque aussi de l’ouïe, du toucher et de l’odorat. Rimbaud essaie d’établir des relations entre les voyelles (l’ouïe) et les couleurs (vision). Selon la nature des sons, « E » et « I » ont le moins degré d’aperture parmi les cinq voyelles. Leur son semble d’ailleurs plus aigu. Cependant, les trois autres ont un son plus profond. En même temps, selon la nature des couleurs, le rouge et le blanc correspondent plutôt à une couleur vive, alors que le noir, le bleu et le vert sont plutôt tranquille. En découvrant les caractères des sons et des couleurs, Rimbaud n’utilise pas la synesthésie sans harmonie pour créer leur pont. Ainsi, à l’aide de la synesthésie, les sensations visuelles et auditives sont établies entre la réalité (les cinq voyelles) et le rêve (les couleurs attribuées). Sauf la connexion entre la vision et l’ouïe, ces vers permettent aux lecteurs de créer une relation entre la vision, l’ouïe, le toucher et l’odorat. Dans les vers, nous voyons « les mouches noires » qui suscitent ensuite les autres sensations telles que le toucher du « corset velu », les bourdonnements et les mauvaises odeurs. Notre talent poétique enchaîne toutes les sensations d’un homme. Nous pensons que ces sensations décrivent un rêve d’un enfant. Cet enfant est peut-être Rimbaud lui-même. Notre poète remonte au passé pour reconstruire une imagination d’enfance avec la magie de la synesthésie. Dans ce rêve coloré, le poète offre un banquet d’imagination. Ce poème représenterait le style rimbaldien pour construire un pont entre le rêve et la réalité. Pour Li He, Le kong-hou de Li Ping (« li ping kong hou yin »,《李凭箜篌引》) est un chef-d’œuvre poétique marqué par la synesthésie : Soie de Wu platane de Shu / dresser automne haut Ciel vide nuages figés / tombant non pas flottants Déesse du fleuve pleurer bambous / Filles Blanches s’affliger Li Ping milieu du Pays / jouer kong-hou Mont Kun jades se briser / couple de phénix s’appeler Fleurs de lotus verser rosée / orchidée parfumée rire Douze portiques par-devant / fondre lumière froide Vingt-trois cordes de soie / émouvoir Empereur Pourpre Nü-wa affiner pierre / réparer céleste voûte Pierres fendues ciel éclaté / ramener pluie automnale Rêve pénétrer mont Magie / initier le chamane Poissons vieillis sauter vagues / maigre dragon danser Wu Zhi ne pas dormir / s’appuyer contre cannelier Rosée ailée obliquement voler / mouiller lièvre transi 8 (Une traduction littérale) Fin de l’automne, vient le son du kong-hou 9 en soie de Wu et en platane de Shu A cause duquel les nuages se rassemblent et sont figés Emue, Déesse du fleuve pleure sur les bambous ; s’affligent Filles Blanches 10 Li Ping, dans l’Empire [des Tang], pince un Kong hu. Bris de jade sur le mont Kun 11 et cris de phénix [chinois] 12 ! Sur les lotus, pleurs de rosée ; sourires [d’orchidée] embaumés. Au seuil des Douze portes 13 , fusion de froide lumière. Vingt-trois cordes de soie font battre le cœur du Pourpre Souverain 14 . La déesse [Nü Wa] 15 met ses pierres au feu, pour réparer la brèche du ciel. Pierres d’éclater, ciel de frémir ; point de cesse aux pluies d’automne. Le rêve accède au Mont des Esprits, pour y instruire l’antique Magicienne. Wu Zhi 16 , banni du sommeil, s’adosse enfin à son cannelier, Tandis que la rosée, à titre d’aile, s’en va tremper le Lièvre frissonnant. 17 (Une traduction formelle) (En chinois : 吴丝蜀桐张高秋,空山凝云颓不流。 江娥啼竹素女愁,李凭中国弹箜篌。 昆山玉碎凤凰叫,芙蓉泣露香兰笑。 十二门前融冷光,二十三丝动紫皇。 女娲炼石补天处,石破天惊逗秋雨。 梦入神山教神妪,老鱼跳波瘦蛟舞。 吴质不眠倚桂树,露脚斜飞湿寒兔。) Ce poème écrit par Li He constitue un éloge pour la virtuosité du joueur de 8 François Cheng, L’écriture poétique chinoise suivi de Une anthologie des poèmes des Tang, Seuil, p. 268. 9 Le kong-hou : l’ancienne harpe chinoise dont la taille est petite (on peut le porter dans ses bras). 10 Filles Blanches : leur figure ressemble aux Muses. Elles sont les déesses de la musique. 11 Le Mont Kun : c’est plutôt le Mont Kunlun. Ce mont dans la mythologie chinoise est comme le Mont Olympe dans la mythologie grecque. 12 Le phénix chinois : une image du bonheur. Mais il est à noter que le phénix chinois ne partage pas la même image que le phénix occidental. Il ressemble plutôt à un paon divinisé. 13 Les Douze portes : les douze portes de la ville Chang’an, la capitale de la dynastie Tang. 14 Le Pourpre Souverain : dans le taoïsme, il est le divin le plus fort sur le ciel ; dans le poème, il représente juste l’empereur de Tang. 15 Nü Wa : une divine qui donne naissance aux hommes, voire aux tous êtres. 16 Wu Zhi : on l’appelle en général Wu Gang (吴刚). Il est un personnage condamné par le Dieu du Ciel. Il s’est coincé dans la lune pour abattre le cannelier. Mais c’est une tâche impossible, parce que le cannelier abattu peut renaître. 17 Traduit par Marie-Thérèse Lambert et Guy Degen, Les visions et les jours, La Différence, p. 29. Or, le poète « fantôme » laisse encore des traces dans ses vers. Dans Xiangfei (《湘 妃》), son idée de mélange des sensations et de correspondances se décèlent par « la nuage de Wu et La pluie de Shu [qui] se communiquent, malgré la distance » 20 . A travers ce vers, nous constatons que le poète considère une liaison accessible à des images qui, conventionnellement, se séparent l’une de l’autre, ce qui explique aussi la fréquence de la synesthésie dans ses poèmes. Le critique Tu Long (« 屠隆 ») appelle Li Changji « le magicien de l’imagination » 21 . Il n’est pas sans raison de nommer Li He un alchimiste de la poésie. De plus, dans Une visite en carrosse chinoise (« gao xuan guo », 《高轩过》), Li He exprime son désir de « compléter, par sa plume, la création que la nature ne peut pas faire » (« 笔补造化 ») 22 . Les existences naturelles ne répondent plus aux besoins créatifs de Li He. Il recourt ainsi à l’imagination qui permet de réaliser cette volonté poétique et elle est souvent suscitée par la synesthésie. De cette manière, à l’instar de l’idée de Rimbaud, le poète lui-même s’incarne comme un inventeur dans les écrits. Le chercheur Liu Dajie qualifie d’ailleurs l’écriture de Li He d’ « une fort imagination et [d’un] style insolite » 23 . Cette forte imagination tirerait l’origine de son aspiration à la création et ce style insolite serait issu de son art rhétorique, y compris surtout la synesthésie. Si les nouveaux sens accordés à des images conventionnelles constituent une preuve de l’originalité de la littéralité poétique de Rimbaud et de Li He, la synesthésie qui mêle toutes les sensations d’un homme bouleverse la littéralité ancienne. Dans les strophes de Li He, la pluie n’est plus une image toute simple. Cette sensation visuelle se mêle à l’odorat. La pluie se transforme ainsi en « pluie aromatique ». Par ailleurs, le vent ne suscite plus qu’une sensation tactile. Combiné avec le goût, le vent s’établit comme « le vent aigre ». Citons un exemple, dans La Chanson d’une divinité Qintong pour son départ des Han (《金铜仙人辞汉歌》), un poème qui raconte son désespoir envers la réalité, Li He écrit : « Sortant de la porte de Chang’an, on sent le vent aigre 20 Le texte original est «巫云蜀雨遥相通», c’est nous qui le traduisons. 21 Le texte original est «李长吉是幻师», c’est nous qui le traduisons, tiré de 明·屠隆《鸿苞集》卷十七。 22 C’est nous qui le traduisons. 23 Le texte original est «强烈幻想和特殊风格», c’est nous qui le traduisons, tiré de 刘大杰《中国文学发展史》, 上海古籍出版社 1997 年新 2 版,第 572 页。 qui décoche un coup dans les yeux de la statue de bronze » 24 . Dans ce vers, l’évocation du « vent aigre » renforce l’ambiance mélancolique et offre une nouvelle invention à travers cette description inhabituelle. Quand les lecteurs lisent cette expression toute neuve, une nouvelle esthétique littéraire les attire et leur permet de réfléchir. Pour Rimbaud, sa création par le biais de la synesthésie est plus audacieuse que Li He. Toutes les correspondances seraient possibles dans ses vers. Des « [parfums] pourpres du soleil des pôles » (Métropolitain) à « [la lune brûle et hurle » (Villes I), en passant par les graphèmes se transformant en couleurs dans les Voyelles, nous découvrons que la synesthésie est partout dans les poèmes de Rimbaud sous des formes différentes. Selon le neurologue Richard Cytowic, « la synesthésie est involontaire et automatique » 25 . Rimbaud, quant à lui, dans sa lettre du « voyant », a déclaré qu’il espérait « la poésie objective » 26 . La synesthésie constitue ainsi un outil heureux afin de réaliser ce but assez ambitieux. Dans ce banquet de mélange des sensations, « la symphonie fait son remuement dans les profondeurs » 27 . Le désire d’une écriture objective explique ainsi la fréquence de la synesthésie dans les poèmes de Rimbaud. Cependant, nous constatons une différence entre Rimbaud et Li He dans cette idée-là. Selon les vers du poète « fantôme », il exige une écriture qui permet de compléter les manques de la nature. Il semble que le rôle du poète, soit de la subjectivité, se met au premier rang dans la création poétique. Ce problème est en fait double : d’un côté, le poète peut prendre toute sa conscience pour faire ce complément ; de l’autre côté, il a raison de compléter les manques de la nature dans un dérèglement de tous les sens. Du fait qu’il manque de documents ou de critiques qui traitent ce problème, nous n’aurions pas de réponse définitive. Mais un épisode de vie de Li He débrouille sans doute ce cas compliqué : tous les jours, Li He rend une visite dans les forêts et les montagnes autour de sa demeure. Quand l’inspiration surgit, il prend immédiatement des notes et les met dans un sac. Tandis qu’il rentre chez lui, il sort les notes et compose des poèmes. Cette écriture serait ainsi faite dans 24 C’est nous qui le traduisons. 25 Richard Cytowic, Synesthesia: A Union of The Senses, 2nd edition (2002). Cambridge: MIT Press. 26 Arthur Rimbaud, op.cit., p. 91. 27 Arthur Rimbaud, op.cit., p. 95. un état objectif, car l’inspiration est plutôt automatique et involontaire. En tous cas, la nouvelle littéralité qu’offrent Li He et Rimbaud consiste en écriture alchimique, autrement dit, ils veulent une écriture neuve par l’imagination dans un état d’extase pour une transformation des images conventionnelles. Ce faisant, ils ont la possibilité de s’enfoncer dans l’âme pour déchiffrer le mystère de l’âme. Pour Rimbaud, cette écriture neuve est évidemment une plume objective. Cependant, cette écriture pour Li He est tout d’abord une volonté de compléter les manques de la nature. Mais cette écriture est objective ou pas, voilà une question qui se pose encore. Nous pensons qu’elle est plutôt objective. 3. Le voleur du feu : une histoire de révolte Dans la lettre « voyant », Rimbaud se veut être « voleur du feu » 28 . Il faut « [trouver] une langue » pour faire sentir, palper et écouter les inventions du poète. En réalisant cette ambition, l’évocation de la synesthésie est incontournable. Cette figure de style représente une destruction interne des images conventionnelles. Quand les poètes emploient la synesthésie, le bouleversement des images conventionnelles est inévitable. En même temps, cette procédure marque aussi les innovations. Il s’agit d’une recomposition des sensations. Dans le chant céleste, Li He réalise cette recomposition : « Du fleuve céleste, le passage de nuages imite les murmures de l’eau courante » 29 . Voilà une synesthésie typique de la sensation visuelle à la sensation auditive. Pour accomplir la procédure de synesthésie, il faut d’abord briser l’image originelle et la sensation suscitée par elle ; puis, en recourant à la synesthésie (pont entre le rêve et la réalité), nous trouvons une correspondance dans notre âme ; enfin, une recomposition de l’image est faite. Ainsi, de la nature de la synesthésie, nous constatons les éléments de révolte : il faut détruire les images traditionnelles pour aboutir aux nouvelles. De plus, nous avons déjà illustré le fait que la synesthésie établit un pont entre la réalité et le rêve et s’incarne comme un bon outil pour réaliser la nouvelle littéralité. Ces nouveautés préfigurent en fait une révolte. En composant 28 Arthur Rimbaud, op.cit., p. 99. 29 C’est nous qui le traduisons. à agir pour réaliser les rêves. Nous constatons que dans les vers, les présences de la synesthésie se trouvent toujours dans le nœud important du poème. Sa première présence permet aux lecteurs de pénétrer dans le rêve : un bateau ivre descend des fleuves afin de se débarrasser du joug. Puis, le bateau est arrivé à la mer. Bientôt, nous voyons la deuxième présence de la synesthésie. Ainsi notre poète obtient une inspiration voyante, par le biais de laquelle notre poète découvre les rêves. Il croit que « voyant » est le tout sens du poète. Cela correspond bien à l’idée que « [je] veux être un poète, être voyant, et je travaille à me rendre voyant » 33 . La dernière présence marque un retour dans le monde réel. En faisant appel à la synesthésie, Rimbaud laisse un bon espoir pour sa révolte. En conséquence, la synesthésie constitue un engin pour progresser la révolte de Rimbaud, de la liberté dans les rêves à un état voyant, enfin en passant par un espoir dans le réel. Quant aux poèmes de Li He, bien que Wang Shizhen (王世贞), un critique des Ming, résume la poésie de Li He en un seul mot « l’excès » (“过”). La raison de cette critique sévère s’explique par son langage abscons et sa révolte révélée dans ses vers. L’emploi de la synesthésie répond à cette critique en quelque sorte démesuré. Dans Les Chansons pour le jeune Tang, fils du duc de Bin (« tang er ge »,《唐儿歌》), il dépeint : « Et des phénix d’argent brillent de tout leur éclat et se pavanent sur ses petites manches (银鸾睒光踏半臂) ». 34 Dans ce vers, les phénix d’argent constituent la décoration des manches. Pour vivifier cette description, Li He attribue la vie à cette décoration. Les phénix se pavanent donc sur les manches. Voilà ainsi une synesthésie de la vision au toucher. Cet extrait présente la vivacité de la poésie de Li He. La synesthésie y joue surtout un rôle pour vivifier l’ambiance. Dans Le chant de la tristesse (《伤心行》), Li He, pour dépeindre une ambiance lugubre, il écrit : « Sous le vent et la pluie, gémissent les feuilles» 35 . De l’ouïe à la vision, le poète crée une scène triste qui est exposée aux lecteurs en double voix. D’abord, les lecteurs entendent le gémissement et suivent les traces laissées par le 33 Ibid., p. 92. 34 Traduit par Marie-Thérèse Lambert et Guy Degen, op.cit., p. 63. 35 Le texte original est «木叶啼风雨», c’est nous qui le traduisons. poète afin de trouver la raison de ce bruit navrant. Par synesthésie, cette ouïe se transforme en sensation visuelle. Ensuite, une scène se présente devant les lecteurs qui voient immédiatement les feuilles dépouiller, la pluie et le vent déchirer le feuillage. Ainsi, sous l’effet de double sensation, les émotions du poète sont profondément partagées par les lecteurs. En fait, l’emploi de la synesthésie marque déjà une action de révolte. La synesthésie signifie une invention, une innovation. Il faut trouver une correspondance entre deux sensations différentes. Cette correspondance est sûrement une nouveauté dans le poème. De toutes façons, sous la plume de Li He, la synesthésie peut apparaître en tous lieux. Ce n’est pas la peine pour cette figure de style de gésir systématiquement dans un tournant décisif du poème. Son rôle est ainsi moins décisif que celui dans les poèmes de Rimbaud. Qin Zhongshu a dit que dans les anciens arts poétiques, on ne parle jamais de cette rhétorique. Bien qu’elle existe depuis longtemps en Chine, cette figure de style n’est pas reconnue par tous. Nous considérons ainsi que la synesthésie constitue un outil assez avant-garde pour les anciens poètes chinois. En tous cas, dans les vers de Li He et de Rimbaud, la synesthésie constitue un outil pour bien exprimer leur révolte. Dans les poèmes de Rimbaud, la synesthésie apparaît souvent dans un nœud important. Chez Rimbaud, la synesthésie évoque trois tournant décisif de son état d’âme : une quête de la liberté, un état voyant et un espoir infini. A l’égard de Li He, l’appel à la synesthésie est moins choquant que celui de Rimbaud. Malgré sa présence annonce aussi une volonté de révolte, celle de Li He est plus timorée que celle de Rimbaud. La synesthésie a fonction de susciter l’humeur des lecteurs. Par le biais de cette figure de style, les deux poètes révèle progressivement leur révolte. En fin de compte, la synesthésie est une figure de style qui suscite toutes les sensations. Dans la lettre « voyant », Rimbaud pense que le langage poétique doit résumer « tout, parfums, sons, couleurs » 36 . La synesthésie correspond bien à cette idée. Grâce à elle, Rimbaud et Li He construit un pont reliant la réalité au rêve. En découvrant les choses matérielles et réelles, nos poètes les combinent avec leurs rêves. En faisant appel à la synesthésie, Li He et Rimbaud évoquent toutes les autres sensations dans un état d’extase. Leur écriture ouvre ainsi un nouveau champ dans l’esthétique et la littéralité contemporaines. Par la synesthésie, ils réalisent la poésie imaginaire et sans doute objective. En même temps, à cause de la nature de la synesthésie qui consiste à disloquer les images traditionnelles en les recomposant afin d’acquérir de nouvelles images et faire une correspondance avec les autres sensations. Ils s’établissent comme un voleur du feu. Ainsi, l’usage de la synesthésie représente la révolte qui constitue un mot-clé dans la création poétique de nos poètes. Dans leurs vers, la présence de la synesthésie marque souvent leur révolte. Cette révolte réside à la fois dans le sens du poème (le sens que la synesthésie a suscité) et dans la forme du poème (Ici, on désigne surtout l’emploi de la synesthésie). Malgré les ressemblances entre Li He et Rimbaud, nous constatons aussi des différences dans leur recours à la synesthésie. Pour Rimbaud, la synesthésie est un outil pour l’aider à aboutir à une écriture objective. Pourtant, Li He veut compléter les manques de la nature par cet art rhétorique. Par ailleurs, la révolte de Rimbaud qui se révèle par la synesthésie est plus acharnée que celle de Li He 36 Arthur Rimbaud, op.cit., p. 99.
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