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Verlaine , Charleroi: analyse du poème, Lectures de Littérature

Typologie: Lectures

2020/2021

Téléchargé le 29/07/2021

Bernadette_88
Bernadette_88 🇫🇷

4.2

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Télécharge Verlaine , Charleroi: analyse du poème et plus Lectures au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! 25 MODERNITE DE VERLAINE. UN POEME, CHARLEROI Agnès Disson Verlaine souffre encore trop souvent d'une réputation de poëte “facile”, d’une image un peu dévalorisée de poète “mineur” par rapport à des poètes symbolistes plus “nobles”, plus “difficiles”, moins transparents comme Rimbaud ou Mallarmé. Ceci en France comme au Japon, bien que Verlaine y soit très connu et beaucoup traduit. Il est indéniable qu’en France Verlaine a souffert d’une sorte de désaffection; bien qu’il ait été sacré Prince des Poètes en 1894, en 1903 déjà Doumié parlait de la renommée de Verlaine comme d'une insolente mystification; André Breton à renvoyé son oeuvre aux émois sentimentaux des jeunes provinciales et l’Anthologie de la poésie francaise de Thierry Maulnier l'ignore totalement. Il semble que depuis peu, par un juste retour du balancier, on s'accorde à reconnaître l'importance de Verlaine: c'est l'opinion de J.P. Richard dans Poésie et Profondeur,, c’est celle de N. Ruwet (Langue Française No.49): “J'espère montrer que par sa subtilité et son audace, Verlaine n’a rien à envier à d’autres poëtes plus à la mode.” Juste retour des choses donc; mais il me semble que cette reconnaissance elle-même porte sur un seul aspect de Verlaine, le plus connu, ke plus flagrant en quelque sorte: on retient de lui la musicalité d’abord, la ‘“langueur verlainienne” dont parle J.P. Richard, la déchirure en filigrane des Poêmes Saturniens et la mélancolie en demi-teintes des Fêtes Galantes. Bref un poëte que l’on inserit-à juste titre-dans une tradition élégiaque de la poésie française. Mais. on ne relève pas assez à mon avis ce qu’il y a de vraiment novateur dans la poësie de Verlaine, dans les thèmes comme dans la prosodie et le rythme. Après tout Verlaine a tout autant influencé Rimbaud que l'inverse (qu’on pense à “O saisons, 6 châteaux”) et, comme celle de Rimbaud, la poésie de Verlaine se pose comme révolutionnaire: “Je tombe (c'est à dire je rejette} tous les vers, y compris les miens” dit-il. Tout refuser: la poésie “laborieuse”, 26 “les crottes” comme il dit; et les “tartines à la Lamartine”, le lyrisme sentimental et l’épanchement au profit d’une poésie plus succincte, plus ramassée, plus novatrice; Charleroi m'a semblé un exemple particulièrement significatif de cette modernité de Verlaine. Dans l'herbe noire Les Koboïds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. Quoi donc se sent? L'avoine siffle. Un buisson gifle L'oeil au passant. Plutôt des bouges Que des maisons. Quels horizons De forges rouges ! On sent done quoi ? Des gares tonnent, Les yeux s'étonnent, Où Charleroi ? Parfums sinistres ! Qu'est-ce que c'est? Quoi bruissait Comme des sistres ? Sites brutaux ! Oh! votre haleine, Sueur humaine, Cris des métaux ! 29 une sorte d’ironie sur la réalité de la vision (les ombres qui courent comme des Iutins, le vent qui pleure comme une voix humaine) et sans doute sur l'arbitraire de l'interprétation poétique: “on veut croire”. Dans la strophe suivante, une troisième sensation, olfactive celle-là (quoi done se sent) secoue le voyageur et annonce l’irruption de la réalité triviale dans le rêve. Elle est notée par un tour inattendu, d'une maladresse insistante et calculée (quoi done pour qu'est-ce qui) suivi d’un pronominal passif rare (se sent). Les sifflantes (se sent/siffle/buisson/passant) veulent traduire la vélocité des images qui glissent le long des vitres, dans l’élan de la vitesse. Cette question du premier vers demeure sans réponse; l’odeur s’impose (choc et surprise, d’où l'interrogation) mais disparaît avant d’être nommée, ou reconnue, emportée dans le défilé des images et des sensations, perçues comme autant de petits chocs non interprétés: }’avoine courbée par le passage du train, siffle; un buisson atteint l’oeil avec la brutalité d’une gifle: le mouvement rythmique du rejet (un buisson gifle/l'oeil au passant) mime le choc presque tactile de la sensation et le recul involontaire du voyageur appuyé à la fenêtre. On entre alors dans la zone habitée (plutôt des bouges/que des maisons). Le long de la voie, des maisons apparaissent et disparaissent aussitôt; Îles phrases nominales, brèves, sans verbes, traduisent la brièveté de ces apparitions. Le ton est toujours celui du dialogue (des maisons ? Non, des bouges !) mais ni l’interlocuteur, ni même le sujet ne sont nommés. La question précédente (quoi done se sent?) était sans doute posée à un compagnon de voyage, mais qui reste invisible. Cette absence du “je” (il y a dans ce poème trois occurences seulement de “on”-pronomambigu en français comme on le sait, puisqu'il peut signifier nous, ou quelqu'un)-ce “je” qui n’est jamais posé comme sujet de l'énonciation, c’est un procédé courant chez Verlaine; mais derrière la syntaxe affective, marquée par des exclamations et des interrogations récurrentes, on perçoit Ja subjectivité d’un “je” à l'arrière-plan, présent et jamais nommé. Seul J.P. Richard a su à mon avis analyser l'originalité de ce procédé fondamental chez Verlaine. 11 faut noter aussi la brièveté de l'évocation (un art de la simplicité a-t-on dit; mais tellement sophistiqué). On passe de la campagne (suggérée seulement par “avoine” et “buisson”) à la réalité sordide d’une banlieue industrielle: deux termes seulement: des bouges (c'est à dire des taudis inhabitables) et au 30 loin le rougeoiement vaguement effrayant, vaguement infernal des “forges rouges”: le succinct des notations, c’est en effet tout l’art de Verlaine. Valéry déjà l'avait dit: “Ce naif est un primitif organisé, un primitif comme il n'y a jamais eu de primitif, et qui procède d’un artiste fort habile et fort conscient. Jamais art plus subtil que cet art qui suppose qu'on en fuit un autre et non point qu’on le précède.” Enfin revient la sensation olfactive (on sent done quai?) plus rude, plus pénétrante qu'auparavant; le rythme se fait plus heurté, le dégoût plus sensible: de quelles odeurs s'agit-il? Peut-être celle des forges, peut-être les odeurs de graisse et de métal chauffé des freins du train dans les gares traversées à grand bruit (des gares tonnent). Le voyageur, un peu désorienté, cherche des yeux (qui s’étonnent) le long des banlieues. le début de la ville dont il s'approche: Où, Charleroi ? Ces trois strephes disent donc le passage de la campagne à la zone industrielle, le ralentissement du train, l'approche de la gare: bref, tout ce qui, réveillant le voyageur, le jette dans la réalité. C'est cette succession de chocs que cherche à rendre la brutalité des sonorités et le caracière syncopé du rythme jusqu’à la concision et la force du dernier vers (Où, Charleroi ?). On entre maintenant dans Charleroi où-le convoi va s'arrêter dans un grand bruit de ferrailles grinçantes. Odeurs, sons, images s’accentuent dans le tohu- bohu de l'arrivée, alors que le voyageur sort de sa torpeur; on passe dans les deux strophes suivantes, selon un schéma identique, de l'odeur au bruit et du bruit à l'odeur: odeur sulfureuse (parfum sinistre), crissement des freins (bruissant comme des sistres) dans une atmosphère vaguement infernale, “sinistre” (le sistre est l'instrument d’lsis) d’où l’étonnement, l’étourdissement du voyageur (qu'est-ce que c'est?). Ces “sites brutaux” peuvent donner lieu à deux interprétations qui se superposent d'ailleurs, sans s'exelure: il s’agit ou bien de la gare de Charleroi, où le train est une bête de fer qui respire et souffle (voire haleine) dans la chaleur de la foule (sueur humaine) et le hurlement des freins (cris des métaux), ou bien c’est le rappel des usines entrevues: ces sites brutaux, ce sont les sites industriels, évoquant la sueur des ouvriers dans la chaleur.et le bruit des forges. La dernière strophe, en écho de la première, tel un refrain, clôt le poëme. Quel en est le sens? Le train roule-t-il à nouveau dans Ja campagne après Charleroi? Estce la reprise du rêve? Si l’on repense à l’épigraphe, cette 31 strophe-refrain est, c’est vrai, plus proche de l’estampe: peut-être faut-il y voir un contraste (ironique c'est possible) entre la Belgique rêvée des vieilles estampes et le tableau découpé par la fenêtre du compartiment: non plus estampe, mais, encadrée par la portière, photographie moderne d’une banlieue industrielle. J’ai voulu, par l'analyse partielle de ce poëême, donner quelques éléments qui montrent que Verlaine, bien avant Morand, Cendrars ou Larbaud, a êté un des premiers écrivains modernes à traduire l’errance, les villes traversées, les trains, les gares, la griserie ambulatoire du mouvement et l'enchantement de la vitesse. Nous allions-vous en souvient-il ? Voyageur où ça disparu ? Filant léger dans l'air subtil... Modernité dans les thèmes, mais aussi dans le rythme étonnant, heurté, syncopé de ce poème; et surtout dans le recours à l’ellipse maximale, au télescopage d'images immédiates, non explicitées: technique impressionniste bien sûr; on sait que Verlaine a connu Manet et Fantin-Latour; on peut penser en lisant ce poëme tout partieulièrement à un tableau de Turner, peut-être contemplé par Verlaine à la National Gallery de Londres lors de son séjour avec Rimbaud, qui sait? qui s'appelle “Pluie, vapeur, vitesse” ou un train noir, file, au bord de la Tamise, dans un brouillard Jumineux de vapeur et de pluie. Technique impressionniste, mais qui préfigure aussi le simultanéisme d’Apollinaire. Ini aussi élégiaque, mais aussi poète des temps modernes; l'allusion à la peinture s'impose, car si l’on relève souvent la musicalité de Verlaine, on doit souligner que ces remances ne sont pas pure musique mais aussi esquisse et dessin: un autre chapitre du recueil s'intitule Aquarelles. C'est un monde d'apparences et d'images en perpétuel surgissement (ô la rivière dans la rue/Fantastiquement apparue) qui se succèdent et s’évanouissent: le rêveur n'est plus le centre du monde, mais Je lieu traversé par les choses. “Lieu même d’une communication qui participe au tout, le rêveur ne se prend plus comme centre de ce qu'il décrit: on dirait qu'il se laisse penser par les choses”. (Nadal)
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