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Voltaire, L’Ingénu - ANALYSE LITTÉRAIRE, Lectures de Littérature

Typologie: Lectures

2021/2022

Téléchargé le 24/02/2022

Celestine92
Celestine92 🇫🇷

4.4

(66)

120 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Voltaire, L’Ingénu - ANALYSE LITTÉRAIRE et plus Lectures au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! En français dans le texte Émission diffusée le 12 décembre 2020 Objet d’étude : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle Parcours : Voltaire, esprit des Lumières Œuvre : Voltaire, L’Ingénu Pour les classes de première de la voie technologique Extrait : du chapitre XIII au chapitre XV I. ANALYSE LITTÉRAIRE Introduction/Mise en situation À la lecture de l’Ingénu, on ne peut qu’être sous le charme d’un récit qui ménage, à la faveur des chapitres 13 à 15, la belle surprise d’un bouleversement narratif. En effet, nous suivions sagement le héros, séparé de son amante, parcourant les provinces françaises de la Bretagne jusqu’à la Bastille entre les chapitres 7 à 12. Le chapitre 13, interrompant ce fil, change de lieu et revient en arrière pour nous faire vivre les aventures de « la belle Saint-Yves », l’amante en question, fuyant un mariage arrangé avec « le grand benêt » qu’on lui promettait, bondissant à la recherche de son amant. Mais nous ne la retrouvons qu’au chapitre 15 et aux suivants, pour voir se refermer la souricière dans laquelle elle fonce, tête baissée. S’intercalent, au chapitre 14, le temps et le lieu de l’Ingénu, dans la prison où nous l’avions laissé et où nous assistons à l’éclosion magique d’un merveilleux paradoxe : un Huron renaissant sauvage des Lumières. C’est ce bref et soudain emmêlement des intrigues qui nous intéresse, ce petit moment de désordre dans l’ordre narratif. Il présente en miroir et souligne les moments décisifs de deux parcours d’abord parallèles, guidés par la liberté, puis inversés, puisque l’un a acquis durablement les solides vertus de l’esprit, tandis que son pendant féminin n’a d’autre choix que de se précipiter dans le piège d’un monde construit par les normes sociales. Chapitres 13 et 14 : portraits inversés, parcours parallèles Les lecteurs contemporains, d’emblée, sont sans doute sensibles à l’inversion amusante des rôles traditionnellement dévolus au masculin et au féminin, que ménage Voltaire aux chapitres 13 et 14. À Mlle de Saint-Yves, chapitre 13, le rôle de la « virtus », de la mâle action efficace (« vir ») ; à l’Ingénu (chapitre 14) le temps de la claustration et de l’attente. L’inversion est d’autant plus savoureuse qu’elle renverse la situation du début du conte, quand la Saint-Yves avait été enfermée au couvent et que son amant s’était rué dans l’action pour la délivrer. Nous avions quitté la Saint-Yves en proie aux préjugés sociaux et moraux, enfermée dans un couvent. Nous la retrouvons s’arrachant du rang des victimes, filant comme le vent, « à cheval », de relais de poste en relais de poste, perçant les portes fermées, abattant les obstacles. Le narrateur lui-même, tout comme ses poursuivants, semble à la peine pour la suivre, multipliant asyndètes et verbes d’action, usant du présent de narration ou de participes pour l’attraper au vol… elle est proprement insaisissable. « Sa résolution prise, elle est consolée, elle est tranquille, elle ne rebute plus son sot prétendu ; elle accueille le détestable beau-père, caresse son frère, répand l’allégresse dans toute la maison ; puis le jour de la cérémonie, elle part à quatre heures du matin avec ses présents de noce, et tout ce qu’elle a pu rassembler. » « La belle Saint-Yves, partagée entre un peu de joie et d’extrêmes douleurs, entre quelque espérance et de tristes craintes, poursuivie par son frère, adorant son amant, essuyant ses larmes et en versant encore, tremblante, affaiblie, et reprenant courage, courut vite [on note le pléonasme] chez Monsieur de Saint- Pouange ». Mais brutalement, au chapitre 14, le narrateur revient à la Bastille où il avait laissé l’Ingénu et c’est à lui qu’il ménage au contraire le soin de lisser ses belles plumes d’apprenti philosophe, les « Ah ! » de la lamentation face à la séparation, à la privation de liberté. Pourtant, autre paradoxe, c’est dans sa prison-même que l’Ingénu se libère, qu’il parvient au parachèvement de son éducation d’homme éclairé et conscient, capable de considérer son interlocuteur avec une « confiance hardie ». Entre les chapitres 13 et 14, donc, les situations, les rôles sont inversés, certes, mais les mouvements parallèles émancipent, par l’action pour l’une, par la réflexion et le dialogue pour l’autre. Jean Starobinski, dans un célèbre et stimulant article publié en 1966, « le Fusil à deux coups de Voltaire », part de l’analyse d’une phrase qui joue des effets de symétrie et d’asymétrie, pour arriver à la conclusion que principes de binarité et logique adversative structurent chaque niveau du conte, voire constituent « la quintessence de son esprit », « l’état final de sa philosophie ». Il nous invite ce faisant à nous amuser à relever tout ce qui joue de ces effets, très nombreux dans ces deux chapitres, et à essayer de comprendre comment ils peuvent construire à nos yeux une vision du monde autant qu’une « morale » philosophique. Et de fait, cette amusante inversion nous met la puce à l’oreille, et nous nous rendons compte alors que tout, dans ce moment charnière, joue des parallèles en même temps que des oppositions entre les deux chapitres. Citons, entre autres, une course échevelée contre une prison, une scène d’action contre une scène de dialogue, une confrontation aux Jésuites contre une confrontation à un Janséniste. Ce jeu de miroirs résout alors l’énigme de la succession des chapitres 13 et 14, mais ne répond pas à celle du croisement des fils narratifs entre les chapitres 13, 14 et 15 et à la question de savoir pourquoi la prison du Huron s’intercale dans la course de la Saint-Yves, entre le mouvement de son envol et celui de sa chute. Chapitres 13 et 15 : Mlle de Saint-Yves, de la libération à la camisole morale Mais si l’on considère ce nœud narratif d’une manière un peu plus large, c’est-à-dire dans un ensemble comprenant les trois chapitres, on se rend compte que le mouvement libérateur, parfaitement jouissif pour le lecteur, qu’expérimentent les deux protagonistes est un plateau nécessaire, mais fragile. Qu’est-ce que la liberté, en fin de compte, si c’est au moment même où l’Ingénu se plaint de sa privation qu’il est le plus libre ? Si c’est en se battant bec et ongles que finalement Mlle de Saint-Yves s’englue dans le piège du monde conçu pour le plaisir des puissants, et dont Voltaire fait l’ironique constat ? L’intrication des intrigues permet de rendre sensible cette fragilité. Penchons-nous alors sur les destins connaître comme un sentiment aussi noble que tendre, qui peut élever l’âme autant que l’amollir, et produire même quelquefois des vertus. » Le parallèle « il ne connaissait »/«Il apprit à connaître » souligne la vertu efficace, presque magique, de cette conversion au contact de la parole de ce « sauvage des Lumières », ce que l’auteur nous laisse méditer dans le point d’orgue d’un imparfait concluant le chapitre : « Enfin, pour dernier prodige, un Huron convertissait un Janséniste. » En revanche, dans le chapitre 15, la Saint-Yves, à bout d’arguments pour se défendre de Saint-Pouange, se résout peu à peu au silence, pour finir par ne plus rien dire du tout : « (…) « sans pouvoir parler (…) », « Elle ne dit pas un mot pendant tout le chemin ». Elle sera au contraire « conduite » par les sophistications verbales du Père Tout-à-Tous, pure caricature du jésuitisme, au chapitre 16, aussi habile à construire des raisonnements pour condamner le corrupteur, qu’à encourager le viol quand il entendra le nom du puissant Saint-Pouange. *** Quelle « morale » nous propose alors dans le conte philosophique ce petit entrelac momentané des intrigues ? Logiques de symétrie et logique adversative, concentrées dans ces trois chapitres, nous invitent à nous interroger sur la conduite du monde et les manières de nous y inscrire. Il ne s’agit point d’une morale définitive, close, qu’on a trop souvent voulu donner aux contes de Voltaire. Starobinski nous invite à regarder au contraire dans le conte quelque chose de plus subtil. Il nous invite à le considérer comme une façon de construire une prise de conscience ironique « libre, joueuse et dégagée », selon laquelle le monde « cloche », le monde « boîte ». Dans ce monde, les actions symétriques n’ont jamais les mêmes effets et c’est cela même qui lui assure d’être toujours en mouvement. Les trajectoires des deux protagonistes, se frottant l’une l’autre dans ces trois chapitres, nous rendent sensibles à cette logique du boitement. Le monde cloche, en effet, dans les chapitres 13 et 15, pour le malheur d’une jeune femme admirable d’énergie qui ne s’arrache aux conventions morales et sociales que pour souffrir, jusqu’à en mourir, d’avoir intériorisé ces normes. Mais il cloche également, quand, pour son bonheur, un jeune sauvage attend d’être en prison pour se métamorphoser en conscience adulte et libre, plus libre et plus adulte qu’un vieux Janséniste érudit. II. QUESTION DE GRAMMAIRE L’expression du degré et de la comparaison Extrait retenu: de « Cependant le maudit bailli pressait le mariage [...] » à « presque tout ce canton de la Basse-Bretagne » (chapitre 13, p. 69, l. 63-93). Dans le programme des classes du lycée, « l’expression de la comparaison » apparait dans la rubrique « expression écrite et orale » et non « grammaire » des objets d’étude. On lui associe souvent celle de « degré » - faible, moyen ou haut degré - puisque l’expression d’une variation sur une échelle quantifiée suppose toujours un étalon, même très implicite : un univers de référence dans lequel on est un « petit », un « moyen » ou un « grand benêt ». Pourquoi cette question est-elle inscrite en « expression écrite et orale » ? Comparer, évaluer, augmenter, diminuer, sont des armes redoutables pour donner à entendre son discours. Les discours médiatiques, publicitaires, ou encore politiques contemporains en attestent, y compris dans leurs dérives. Pour emporter des parts de marché, la loi du marketing publicitaire est simplissime : il faut être « numéro 1 » ou le « meilleur ». Un corpus de publicités tous secteurs confondus révèlerait sans mal cette stratégie de différenciation qui est une stratégie de domination grâce au superlatif. Dans ce cas, « l’expression du degré et de la comparaison » vise à présenter comme une certitude un rapport de grandeur pourtant discutable. D’ailleurs, on pourrait réfléchir avec profit à la procédure de classement étendue à toutes les strates de la société de consommation et du spectacle. Le marketing politique, dans ses aspects les moins constructifs, l’a dit autrement : on peut mettre en scène ses adversaires en dessous de soi, moins aptes, plus médiocres, très mauvais, etc. Pour autant, cette catégorie rhétorique redoutable n’est pas dénuée de potentialités poétiques ou littéraires. Lorsque Voltaire écrit L’Ingénu, « l’expression du degré et de la comparaison » a déjà structuré les contes de Perrault, l’incipit de La Princesse de Clèves, ou le fameux passage de L’Eldorado de Candide paru quelques années avant. Entre les effets de préciosité de l’incipit hyperbolique de La Princesse de Clèves et le comique à plusieurs fonds du chapitre 18 de Candide, les enjeux de « l’expression du degré et de la comparaison » sont radicalement différents. L’hyperbole ne sert pas qu’à « appuyer ». D’ailleurs que souligne-t-elle ? La « magnificence » d’une aristocratie ou le ridicule de telle ou telle situation ? Faire varier en degré n’est pas une fin en soi et on interrogera donc les visées et enjeux de « l’expression du degré et de la comparaison ». La proximité des catégories du degré et de la quantité se pose peut-être avant toute exploration. À la page 69 (édition Folio Classique, Gallimard, 2014) du chapitre 13 de l’Ingénu de Voltaire, l’expression de la totalité ne permet pas une variation en degré ni une comparaison comme dans « Elle est toute belle » où « tout », adverbe, fait varier en intensité l’adjectif « belle ». C’est la quantité qui est portée à la totalité et cette quantité – la totalité – se cristallise sur le personnage du « père Tout-à-tous ». Un premier relevé pourrait s’attacher à l’expression de la quantité dans le texte : à la page 69 (chapitre 13) « quarante-cinq ans passés », l. 71 ; « tout ce qu’elle a pu rassembler », l. 86 ; « toute la semaine », l. 89, « tout ce canton de la Basse-Bretagne », l. 93, « plus de dix lieux », l. 87 expriment une quantité sans la faire varier en degré. « L’expression du degré et de la comparaison » implique une idée de mouvement et de variation que la simple quantité n’a pas. Avec « l’expression du degré et de la comparaison », on parle donc du degré d’intensité et du degré de comparaison qui consistent à graduer, en rendant plus ou moins explicite l’échelle sur laquelle s’effectue cette graduation. Une occurrence permet de circonscrire plus fermement les limites de la question : « Ses mesures étaient si bien prises que [...] » (l. 86, chap. 13, p. 69). Tout d’abord, l’adverbe « bien » n’a pas ici le rôle d’intensité qu’il peut avoir dans « Vous êtes bien aimable ». Il exprime plutôt la manière comme dans « Il a bien travaillé ». Le système corrélatif « si ... que », en outre, invite à préciser un point de grammaire entre les comparatives du type « Elles sont aussi bien prises que mes mesures (le sont) » et les consécutives du type : « Elles sont si bien prises qu’elle était déjà [...] »). L’adverbe d’intensité « si » permet de porter le haut degré sur la volonté la « belle de Saint-Yves » par le biais, non pas d’une subordonnée comparative, mais d’une consécutive. Une occurrence du chapitre 14 mêle les deux expressions du degré : « Je suis bien plus sûr de mon malheur que de la grâce efficace » fait varier l’adjectif « sûr » en degré et propose un système corrélatif exprimant le comparatif de supériorité (l. 27-28, chap. 14, p. 72). Précisons, grâce à cette occurrence située au-delà de notre extrait, que toute comparative peut être considérée comme corrélative, même quand le verbe de la subordonnée est en ellipse. La proposition principale est « Je suis bien plus sûr de mon malheur » et la subordonnée comparative est « que (je ne le suis) de la grâce efficace ». Contrairement aux trois occurrences de la page 69 du chapitre 13 (« L’amour, comme on sait, est bien plus ingénieux et plus hardi dans une jeune fille que l’amitié ne l’est dans un vieux prieur et dans une tante de quarante-cinq ans passés », « L’interrogant bailli fit ce jour-là plus de questions qu’il n’en avait fait dans toute la semaine », « Le mari resta plus sot qu’il ne l’avait jamais été »), la comparative est elliptique. En outre, l’expression du degré se mêle à celle de la comparaison. L’adjectif « sûr » atteint le haut degré grâce à l’adverbe « bien » qui exprime ici l’intensité et non la manière comme dans « L’amour, comme on sait, est bien plus ingénieux » mais pas comme dans « Ses mesures étaient si bien prises que [...] » (l. 86, chap. 13, p. 69). Du côté de l’expression des degrés d’intensité, on peut trouver des variations d’intensité pour l’adjectif qualificatif, l’adverbe, le verbe et le nom, du faible ou bas degré à l’apogée du degré dans le superlatif. Pour ce qui est de notre extrait (chapitre 13, p. 69), l’adjectif qualificatif « benêt » substantivé en nom peut varier jusqu’au haut degré grâce à l’adjectif qualificatif « grand ». Ce paradoxe entre le haut degré et l’expression de la simplicité (« benêt ») ne surprend plus qui connaît cette expression française, mais nécessite peut-être un éclairage lexical. L’expression des degrés de comparaison repose, elle, sur l’étude de la subordonnée comparative. Il en existe trois à la page 69 du chapitre 13. Tous les éléments de la corrélation sont exprimés : « L’amour, comme on sait, est bien plus ingénieux et plus hardi dans une jeune fille que l’amitié ne l’est dans un vieux prieur et dans une tante de quarante-cinq ans passés ». L’infériorité du degré de l’amitié - dont le haut degré est traditionnellement associé à la charité chrétienne et au poids des années – sert un double propos qui marque davantage par le renversement paradoxal touchant le « vieux prieur » et la « tante de quarante-cinq ans passés » que le cliché touchant la sagacité d’une « jeune fille » amoureuse. Juste après, le système corrélatif sert deux autres comparatifs de supériorité : « L’interrogant bailli fit ce jour-là plus de questions qu’il n’en avait fait dans toute la semaine » (« plus de » est un déterminant complexe) et « Le mari resta plus sot qu’il ne l’avait jamais été » (lignes 88-89, p. 69, chapitre 13). Dans les deux cas, l’antériorité exprimée grâce au plus-que-parfait (« qu’il n’en avait fait dans toute la semaine », « plus sot qu’il ne l’avait jamais été ») porte la critique sur l’étalon de la comparaison. Le comparatif de supériorité ne permet pas de mettre en valeur ce qui se trouve dans la principale, mais de diminuer l’élément de la subordonnée. En étudiant quelques occurrences de L’Ingénu, on s’aperçoit que l’expression du degré et de la comparaison sert un mode d’emploi du texte : renverser toutes les attentes du lecteur, même au niveau le plus petit de la phrase. Il s’agit toujours de porter le haut degré sur des réalités petites ou d’attribuer la victoire à l’inattendu dans une comparaison. Il ne s’agit ni d’agrandir ni de diminuer systématiquement, mais de remettre en cause notre position d’évaluateur.  Rappel : les degrés de l’adjectif Comparatifs Comparatif d’égalité : Elle est aussi savante (que toi). Comparatif d’infériorité : Elle est moins savante (que toi). Comparatif de supériorité : Elle est plus savante (que toi). Superlatifs Superlatif de supériorité : Elle est la plus savante (de toutes). Superlatif d’infériorité : Elle est la moins savante (de toutes).
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