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Appunti di Letteratura Francese: storia letteraria dal 16^ al 20^ secolo., Sintesi del corso di Letteratura Francese

Movimenti letterari e autori francesi dal sedicesimo al ventesimo secolo.

Tipologia: Sintesi del corso

2020/2021

In vendita dal 16/01/2021

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Scarica Appunti di Letteratura Francese: storia letteraria dal 16^ al 20^ secolo. e più Sintesi del corso in PDF di Letteratura Francese solo su Docsity! EMANUELA URSI 101 Histoire littéraire française L’HUMANISME Le XVIe siècle est marqué par un état d’esprit nouveau. A la fin du XVe siècle, la réforme luthérienne, la diffusion de l’imprimerie, la découverte de nouveaux territoires, la propagation des théories de Copernic, la chute de l’Empire Romain D’Orient, contribuent, en quelques décennies, à mettre fin à la vision médiévale du monde. L’unité religieuse de l’Occident est rompue par la Réforme de Luther, dont les conséquences sont d’ordre non seulement théologique, mais aussi politique et économique. L’invention par Jean Gutenberg de l’imprimerie permet la diffusion rapide des textes écrits : la circulation des idées sera facilitée, et un plus grand nombre de personnes peuvent accéder au savoir grâce à l’édition d’œuvres littéraires, modernes et anciennes. En même temps, l’horizon des hommes s’élargit grâce aux expéditions outre-mer menées et le Polonais Copernic affirme que, loin d’être immobile, la terre tourne sur elle-même et autour du soleil. C'est grâce à ces bouleversements qu'apparaît, d'abord en Italie et dans le reste de l'Europe ensuite, une nouvelle conception du monde et de l'homme incarnée par l'humaniste. Ce dernier est littéralement celui qui se consacre aux studia humanitatis, c'est-à-dire aux langues et aux civilisations anciennes. Contrairement à la pratique médiévale, l'étude des œuvres ne s'effectue plus par l'intermédiaire du commentaire des autorités, mais à travers la connaissance immédiate des textes en version originale. Afin de comprendre les auteurs grecs et latins, les humanistes étudient leur langue, la grammaire, et aussi les institutions politiques, la religion, le droit de leur région d'origine. Ils fondent la philologie, autrement dit la science qui permet de déchiffrer et d'interpréter les textes anciens. Le contact direct avec les œuvres classiques, uni à l'enthousiasme provoque par les nouvelles découvertes, favorise l'apparition de valeurs morales et politiques que l'on appelle aujourd'hui encore humanistes et qui se concrétisent autour d'un modèle d'intellectuel : Erasme de Rotterdam. Les humanistes veulent créer une culture nouvelle- le terme Renaissance est employé en opposition à la prétendue obscurité des siècles précédents- où le christianisme doit s'enrichir de ce qu'il y a de meilleur dans la pensée antique, c'est de ce principe que naissent les contrastes avec les autorités religieuses. L'Homme, placé au centre de la Création n'est plus un être déchiré entre un corps méprisable et une âme proche de Dieu. C’est une entité totale, autonome, dotée de libre arbitre et d'une dignité que nul ne peut contester : les humanistes combattent la torture et l'intolérance, ils exaltent la justice et la paix. L’Humanisme est une période capitale pour l’évolution de la langue française. Suivant l’exemple de l’Italie, où depuis longtemps la langue vulgaire a remplacé le latin, l’usage du français s’impose peu à peu dans des domaines jusqu’alors réservés au latin, comme le droit ou la médecine. Seules l’école et l’Eglise resteront longtemps réfractaires à l’utilisation du français. De plus, en 1539 François I fait paraitre l’ordonnance de Villers-Cotterêts, selon laquelle tous les documents judiciaires devront être prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement. L’usage du français dans des domaines aussi disparates favorise l’enrichissement lexicale mais aussi un souci d’ordre d’un point de vue de la grammaire et de l’orthographe. EMANUELA URSI 102 Humanisme : objectifs • Placer l’Homme au centre des préoccupations morales et philosophiques. • Encourager les sciences et le savoir, ainsi que la lecture des textes antiques • Répandre toutes les formes d’art Les thèmes essentiels • La méditation sur l’Homme et sur soi • Le dialogue incessant du maître et de l’élève • L’instruction du Prince et des Puissants sur leurs devoirs. Clément Marot (1496-1544) Marot marque le passage de la poésie médiévale à la poésie moderne. Il a su concilier tradition, jeux rhétoriques et formes nouvelles (le sonnet). Il s’est parfaitement intégré, sans être asservi, au système du mécénat, et a toujours doté ses œuvres d’un cachet d’originalité. Souvent condamné par la justice, Clément Marot a dû se battre pour conserver sa liberté. Protestant, il s'exile en Italie en 1535, puis abjure « l'erreur luthérienne » pour retrouver les faveurs du roi dont dépendent ses moyens d'existence. Sa traduction des Psaumes, interdite en 1542, lui attire à nouveau des accusations d'hérésie. Premier auteur français de savantes traductions d'Ovide, de Virgile, de Pétrarque, perpétuant la tradition de la Grande Rhétorique, Marot est un poète humaniste. Mais son œuvre se distingue en ce qu'elle s'enracine dans son expérience et ses convictions personnelles. La simplicité du style de Marot atteint son apogée dans les petits genres, qu'il emprunte aussi bien au Moyen Age, comme les rondeaux et les ballades, qu’à l’Antiquité : l’épigramme et l’épitre sont deux types de poème où il excelle. Marot est l’initiateur d’un ton nouveau, franc et insolent, qui caractérise le récit des anecdotes de sa propre existence. Homme de la Renaissance par les innovations techniques qu’il introduit dans la poésie française, il est aussi l’un des premiers humoristes. Clément Marot perpétue la tradition de la Grande Rhétorique (1460-1525) incarnée par son père, Jean. Au service du prince, les rhétoriqueurs composent des œuvres de circonstance, voire de propagande, en déployant une virtuosité formelle et une langue symbolique, la poétrie, à l’origine du mot poésie au XVIe siècle. Selon eux, un texte a un sens littéral et un sens caché à déchiffrer, mais sa fonction reste ornementale et laudative : un poème doit avant tout faire honneur au prince. François Rabelais (1483-1553) Rabelais raille l'orgueil des savants, théologiens et humanistes, dans sa saga héroï-comique : Pantagruel (1532), Gargantua (1534), le Tiers Livre (1546) et le Quart Livre (1552). L'obscénité s'y mêlant à l'érudition, ces romans ne sont ni complètement populaires, ni complètement érudits. L'enfance, l'éducation et les prouesses guerrières des géants sont prétextes à détourner les codes du roman de chevalerie, mais surtout à faire voler en éclats tous les carcans. Ses satires lui valent la censure, sans empêcher un immense succès. EMANUELA URSI 105 Ce fut en 1556 que Ronsard utilisa pour la première fois le terme de “Pléiade” à l’origine utilisée pour faire référence à une constellation en allusion aux sept filles d’Atlas, le géant qui soutient la voute du ciel. Par la suite, le terme désignera un groupe de sept poètes d’Alexandrie au IIIe siècle av. J.-C. qui lui-même tirait son nom de cet amas stellaire. Les poètes de la Pléiade se mettent à distance des formes poétiques médiévales car elles sont trop liées à une production poétique antérieure qu’il faut purifier et renouveler. Anecdotique et sans réelle cohésion selon eux, la production poétique au début du siècle est jugée pauvre, d’une part, parce que de nombreux poètes ont figure de mauvais versificateurs à leurs yeux, d’autre part, parce que l’utilisation des formes fixes rendent la production poétique stéréotypée, voire stérile. Ils vont donc moderniser une partie des formes poétique médiévales qu’ils vont mêler aux influences italiennes du moment. Les poètes de la Pléiade réfléchissent ainsi sur la fonction de la poésie et participent aux théories néo-platoniciennes de l'époque : la poésie est un genre sacralisé dont la première finalité est de protéger les mystères du monde, de les protéger des regards profanes. Le poète, ami des dieux et des Muses, s'efforce de rendre visible cette vérité du monde par le biais d'une parole magique, la parole poétique. Il procède par métaphore, par analogie, par tout un réseau d’images utile pour ne pas dénaturer ou trahir cette vérité universelle. Les approximations, les allégories et les images doivent se rapprocher de la parole originelle et ainsi révéler les mystères du Créateur et de la Création, et approcher du divin. Pour les poètes de la Pléiade, la voie poétique n'est pas ouverte à tous, elle requiert de l'inspiration et une communication singulière avec les Muses, qui demeurent des intermédiaires entre la sphère terrestre et la sphère céleste. Les poètes de la Pléiade ont la sensation d’appartenir à un monde supraterrestre, d'où ce sentiment d'élection et cette volonté de rendre à la poésie la fonction sacrée qu’elle mérite. Les poètes de la Pléiade veulent donner aux Français le gout de la littérature et ainsi lui redonner ses lettres de noblesse : c’est l’objectif de Défense et Illustration de la langue française en 1549, véritable manifeste de la Pléiade. Du Bellay décide de faire de la langue française, vulgaire et méconnue, une langue noble, digne d’éloges. Du Bellay se fait défenseur de la langue française et affirme son égale dignité avec le latin et le grec. Il prône donc l’enrichissement de la langue française au moyen de l’imitation des auteurs anciens. Il faut, selon lui, s’imprégner des idées des Anciens et non pas les copier, il faut lire et relire les textes antiques, et de là découlera tout logiquement une forme d’imitation qui ne sera ni plagiat ni copie servile. Ainsi, les poètes de la Pléiade considèrent la traduction des textes antiques comme dangereuse, car asservissante et sclérosante : c’est un défi et un danger pour le génie personnel. En optant pour cette imitation nourrie, ils éviteront le plagiat et pourront exploiter, au même temps, leur potentiel créatif. De plus, cette volonté de patriotisme littéraire se traduit en le rejet progressif du modèle italien : l’alexandrin s’impose définitivement dans le sonnet verso 1570. Pierre de Ronsard (1524-1585) Pierre de Ronsard est encore aujourd’hui considéré comme le poète par excellence. À la fois poète de cour, noble et humaniste, Ronsard invente une nouvelle définition du poète : inspiré, exigeant et détenteur de l'immortalité. La carrière de Ronsard débute sous l'influence de Pindare et d'Horace, dont il imite les odes. Il s’agit d’une poésie savante, riche en allusions mythologiques, où le style noble est de mise. Les sujets sont hétérogènes (Ronsard recherche la varietas) mais la joie d'aimer s'affirme déjà comme l‘un des thèmes de prédilection de l'auteur. C’est à l'Amour, en effet, que Ronsard a consacré la partie la plus inspirée de sa production. EMANUELA URSI 106 Sa poésie amoureuse n'échappe pas, bien sûr, à la règle de la variété des tons et des formes. A partir du deuxième recueil, la Continuation des Amours (1555), l'alexandrin remplace définitivement le décasyllabe. Cette œuvre s'amplifie au fil des années et des rencontres. Cassandre, Marie, Hélène, des femmes qui ont croisé Ronsard, ont reçu l’hommage d'un monument poétique qui les a livrées à la postérité. Les femmes de Ronsard acquièrent des traits universels qui en font le symbole même de l'amour, chanté sous toutes ses formes : bonheur, mélancolie, souffrance, volupté, dédain. Etienne Jodelle (1532-1573) Depuis l’Antiquité, la tragédie avait abandonné la scène. L’année 1553 marque sa renaissance en France : en janvier, devant le roi Henri II, Étienne Jodelle donne sa Cléopâtre captive, la première tragédie humaniste. Membre de la Pléiade, Étienne Jodelle a seulement vingt et un ans lorsqu'il fait représenter la première tragédie française sur le modèle du théâtre antique : le succès de Cléopâtre captive est immédiat. Tous les poètes du temps le saluent comme un « démon », un intermédiaire entre les hommes et les dieux. La renaissance de la tragédie est due à l'influence de professeurs qui traduisent et enseignent le théâtre grec et latin au collège de Boncourt où ont étudié Jodelle et son ami Jean de La Péruse. Les deux dramaturges français composent leurs pièces en alexandrins. Jodelle et La Péruse se passionnent également pour l'architecture des scènes théâtrales antiques, et c'est dans « le magnifique appareil de la scène antique » que la Cléopâtre est représentée devant Henri II. C'est par la représentation plus que par la publication de leurs œuvres que les deux amis accèdent à la gloire. Avant d'être lues, leurs pièces sont jouées par des troupes ambulantes d'acteurs professionnels dans les collèges, les salles de jeux, les châteaux ou à la cour. L'impact de Cléopâtre captive est immense à une époque où la Poétique d'Aristote, qui théorise les règles de la tragédie, n'est pas connue en France (elle est traduite en français en 1560). La pièce de Jodelle est finalement publiée en 1574. Louise Labé (1523-1566) Avec Marot, Louise Labé est l’un des premiers auteurs français à utiliser le sonnet. Elle en a composé vingt-quatre, dont un en italien, entre 1545 et 1555. Ils constituent, avec trois élégies, l’ensemble de son œuvre poétique. Louise Labé participe très activement à la vie culturelle de Lyon, sa ville natale, et accueille chez elle de nombreux poètes, transformant ainsi sa demeure en une sorte de “salon” avec un siècle d’avance, appelé “La Belle Cordière”, une académie vouée au culte des lettres. Ses sonnets proposent un nouveau code amoureux qui transgresse le modèle pétrarquiste. L'amour n'est plus une faute et la femme est libre au point de subvertir le thème traditionnel du baiser, jouant de l'équivoque. En effet, l'amant est un poète et le baiser, un genre poétique. Ces vers sensuels invitent autant à l'amour qu'à la poésie. La simplicité de Louise Labé n'est qu'apparente : jamais elle n'oublie ses revendications de poétesse. Louise Labé revendique un rôle pour les femmes de la Renaissance. Elle les exhorte à élever leurs pensées au-delà des quenouilles pour prendre conscience d'elles-mêmes et ne pas se définir à travers le regard que les autres portent sur elles. Cette franchise lui a attiré les critiques sévères de l'intransigeant Calvin et la réputation malveillante de courtisane. EMANUELA URSI 107 Marguerite de Navarre (1492-1549) Véritable reine de la cour de France, Marguerite de Navarre rassemble dans L’Heptaméron soixante-dix nouvelles d’inspiration italienne qui dessinent les débuts de l’étude psychologique et marquent l’histoire de l’émancipation des femmes. « Corps Féminin, cœur d’homme et tête d’ange » : cette formule de Clément Marot souligne le caractère exceptionnel de sa protectrice, la sœur de François I, qui règne sur la cour de France. Polyglotte, capable de traiter en latin, Marguerite d'Angoulême négocie la libération de son frère, prisonnier de Charles Quint. Diplomate et mondaine, elle manifeste aussi une spiritualité exigeante, parfois mystique, dans ses nombreux écrits religieux, poétiques et théâtraux. Elle devient Marguerite de Navarre en épousant en 1527 Henri d'Albret, roi de Navarre. L’Heptaméron (1559) Inspiré du Décaméron de l'écrivain italien Boccace (1313-1375), L’Heptaméron, son unique œuvre en prose, posthume et inachevée, devient le modèle des recueils de nouvelles réalistes. Dix nobles (cinq femmes et cinq hommes), bloqués dans une abbaye par des intempéries, passent sept journées à se raconter de brèves histoires de faits réels et récents. Beaucoup sont des aventures amoureuses lestes et les commentaires des « devisants » reflètent un nouvel art de converser avec civilité et légèreté sur la société et l'émancipation féminine. Ces contes font de Marguerite de Navarre une féministe avant l’heure : l’érotisme y domine, mais il sert toujours à défendre les femmes de la vulgarité d’hommes violents, et l’amour platonique représente une philosophie gratifiante pour des épouses tristes et mal mariées. Par le biais de ses héroïnes du petit peuple, la reine veut instruire les dames de la cour (les seules qui lisaient à l’époque) et ne renonce aucunement à l’inspiration religieuse, évangélique même. Bien au contraire, c’est la lutte entre la chair et l’esprit qu’elle met en scène et n’hésite pas à s’en prendre aux mœurs dissolues des ordres religieux, qu’elle décrit avec beaucoup de réalisme psychologique. L’une des différences majeures entre le recueil de Boccace et celui de Marguerite de Navarre est la présence d’une morale à l’intérieur de L’Heptaméron, où chaque nouvelle est encadrée de débats moraux. Ces commentaires édifiants forment une sorte de récit dans le récit et sont parfois plus longs que la nouvelle. Jean de Léry (1534-1613) Parti comme cordonnier outre-Atlantique, Jean de Léry en revient pasteur protestant et auteur de l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil. Le texte témoigne d’une grande tolérance envers les Indiens et reflète un regard d’ethnologue. Non seulement Léry dresse un inventaire des merveilles du Brésil dont il décrit la faune, la flore, la langue et les rites, mais il retrace aussi et surtout une aventure personnelle bouleversante, la rencontre avec un autre monde, en quatre étapes : le voyage aller, le tableau du Brésil, une conversation avec les Indiens et le retour. Grande nouveauté : Léry se met en scène en racontant la découverte de sa vocation d'historien et de pasteur alors qu'il est sauvé des flots, signe selon lui de la Providence divine. À une époque où les guerres de religion se succèdent en France, Léry questionne, avec un à-propos aigu, notre perception du sauvage, incarnation de la différence. Renversant les perspectives EMANUELA URSI 110 De plus, les découvertes scientifiques de Copernic et de Galilée remettent en question les croyances sur la place de l’homme. En effet, dans un univers où la terre tourne autour du soleil et non l’inverse (héliocentrisme), l’homme perd ses privilèges : sa place dans le monde n’est plus centrale, et cette nouvelle théorie provoque une certaine inquiétude et instabilité chez l’esprit humain. Nourries par ces mutations culturelles, l’imagination baroque est sensible à l’omniprésence du changement : elle est souvent soumise à l’incertitude des perceptions, à la fugacité des sentiments et de la pensée. Dans le domaine littéraire, l’écriture multiforme et hyperbolique incarne cet univers en mouvement et la nature changeante de l’homme. Les grands thèmes baroques de l’illusion, de la métamorphose, du masque et du miroir traduisent les hésitations et les inquiétudes d’une société en pleine crise de conscience. En matière amoureuse, l’inconstance et la complexité des sentiment ne sont pas un défaut, comme on peut remarquer à travers le roman pastoral L’Astrée, d’Honoré d’Urfé. La préciosité : en outre, la France a développé, toujours dans la première moitié du XVIIe siècle, une mode sociale, culturelle et littéraire qui n’est autre qu’une des facettes du baroque et que l’on connaît sous le terme de préciosité. La préciosité (qui ne touche que les classes élevées) valorise la sophistication élégante et raffinée par horreur d’une réalité trop vulgaire. Elle s’est développée dans les salons féminins, où les femmes aristocratiques se rencontraient pour créer autour d’elles une atmosphère plus raffinée et plus élégante, en contrastant la brutalité et la vulgarité des hommes. Dans les salons qu’elles aimaient, on cultivait l’art de la conversation et on parlait de tout : d’amour, de poésie, d’histoire, de langues étrangères, de grammaire ou de théâtre. Au fil de genres : dans le roman ou le théâtre (Rotrou ou le jeune Corneille) règnent une liberté d’improvisation et une extravagance qui font proliférer les intrigues du récit et les péripéties de la *tragi-comédie, genre majeur de la scène baroque. Le roman burlesque (Scarron) et le roman romanesque ou idéaliste (d’Urfé) triomphent avec leurs intrigues démesurées et les péripéties des personnages qui fascinent le lecteur. Pour contraster les incertitudes de la perception et de la pensée, l’artiste baroque pratique volontiers l’ostentation. Les poètes particulièrement offrent aux lecteurs des jeux d’audace et des images rares. Ils proposent des énigmes et des compositions savantes qui mettent en évidence une grande virtuosité et un goût pour les artifices de l’écriture (usage massive de métaphores et antithèses). Le XVIIe siècle est le siècle d’or du théâtre : dans la première moitié du siècle, le théâtre est gouverné par l’esprit baroque (improvisation et extravagance) qui s’exprime à travers des genres comme les tragicomédie*, les pièces à machine et les comédies-ballets. De plus, un motif cher à l’esthétique baroque présente le monde comme un vaste théâtre sur lequel les hommes jouent un rôle, comme les comédiens d’une pièce. C’est pour ça que les frontières entre scène et monde, fiction et réalité deviennent de plus en plus souples et on assiste à des épisodes de « théâtre dans le théâtre » (L’illusion comique de Corneille ou Le véritable Saint-Genest de Rotrou). EMANUELA URSI 111 LE CLASSICISME Avec l’expression « Grand Siècle », on fait référence à l’époque marquée par la monarchie absolue de Louis XIV (1661-1715), appelé aussi le Roi Soleil, et par le prestige des auteurs classiques. A l’âge de 24 ans, Louis XIV décide de gouverner personnellement, mettant fin à 18 ans de régence de sa mère, Anne d’Autriche. Son règne est l’un des plus longs (54 ans) et l’un des plus marquants de la monarchie française. Le siècle de Louis XIV, ou le Grand Siècle, est dominé par l’esthétique classique, qui ne concerne pas seulement la littérature, mais aussi l’art et la culture. Le classicisme est une tendance littéraire, culturelle et artistique qui s’est développée en France pendant la seconde moitié du XVII siècle, en correspondance avec la monarchie absolue de Louis XIV. En effet, l’essor du classicisme est associé à la stabilisation de la monarchie absolue de Louis XIV. La situation politique de la France a favorisé la naissance de cette nouvelle esthétique, vu que dans un contexte général de crise politique en Europe, la France avait atteint l’apogée de la royauté absolue et sa forme politique était considérée parfaite. Caractéristiques littéraires et thématiques du classicisme : - L’allégeance aux auteurs antiques : les classiques utilisent beaucoup la mythologie grecque et latine, qui sert de point de départ à toutes leurs créations. Ils la revendiquent comme condition obligatoire à la création artistique. C’est à cette époque-là qu’on assiste au déclenchement d’une querelle littéraire, la « Querelle des Anciens et des Modernes » : d’un côté, les Anciens, soutenus par Nicolas Boileau, soutiennent ardemment une conception de la littérature fondée sur l’imitation des auteurs de l’Antiquité. L’Antiquité grecque et latine symbolise la perfection artistique, indépassable, d’où cette allégeance aux théoriciens antiques par le respect des règles qu’ils reprennent à Aristote. De l’autre, les Modernes, soutenus par Charles Perrault, pensent que le siècle de Louis XIV mérite une reconnaissance majeure. Ils pensent que l’Antiquité, sans en amoindrir le retentissement, peut être dépassée. Ils proposent des formes nouvelles, adaptées au siècle présent. - La mesure : la mesure se retrouve dans la rigueur de la composition des œuvres ; les auteurs se veulent méthodiques, précis et rigoureux avec un horizon d’attente infaillible qui ne laisse aucune place à l’improvisation. Il s’agit de focaliser sur l’émotion et la grandeur de l’action plutôt que d’opter pour de nombreuses péripéties. Par exemple, la nouvelle classique, étant courte, permettait d’éliminer les intrigues secondaires et de privilégier un seul fil dramatique et de gagner en équilibre. - La clarté : de nombreuses œuvres classiques donnent à voir une levée de masques progressive, attestant le souci de mettre en lumière la réalité. Si d’un côté la préciosité baroque avait pour but d’enjoliver, de cacher l’être sous des faux semblants et des masques, de l’autre le classicisme recherche la transparence qu’elle soit thématique, sentimentale (il s’agit de montrer les étapes du déploiement du sentiment amoureux en passant par la naissance du sentiment aux premières émois sans oublier les sentiments néfastes) et identitaire. - La recherche de la perfection formelle, qui ne laisse pas de place à la spontanéité et à l’improvisation. - La linéarité et l’harmonie EMANUELA URSI 112 - La bienséance : La bienséance conduit au respect des usages et des conventions sociales et morales. Il s’agit, d’une part, de ne pas choquer le public. D’autre part, les agissements et les sentiments du héros doivent être conformes à son rang. La bienséance est bien appliquée au domaine théâtral, où le dramaturge ne peut pas montrer des scènes choquantes aux spectateurs. Ainsi, les évènements violents (batailles, meurtres, suicides) peuvent exister dans la pièce mais ne seront pas joués sur scène, souvent ils seront narrés par un personnage qui y a assisté. La bienséance est de deux ordres : externe (il ne faut pas heurter la sensibilité du public et donc tout ce qui va contre la morale est banni) et interne (elle relevé de la cohérence interne des personnages : chaque personnage a un caractère établi depuis le début de la pièce et ce caractère est développé de façon cohérente jusqu’à la fin de la pièce.) - La vraisemblance : Le vraisemblable est l’imitation du vrai pour que le lecteur ou le spectateur puisse l’identifier. A cet égard, il faut faire une distinction entre le vrai, ce que recherche le classicisme, et le vraisemblable. Le vraisemblable envisage une intrigue qui doit sembler crédible, afin que le lecteur puisse s’imaginer vivre la même chose un jour dans sa vie. Les évènements doivent apparaitre comme logiques et probables. - Le culte de l’honnête homme : L’idéal de l’honnête-homme révèle la morale classique. En effet, l’honnête homme est celui qui veut briller en société et qui manie la langue avec dextérité et qui sait converser avec légèreté, raffinement et élégance, sans jamais tomber dans l’outrance et l’excès. Il est agréable et n’est aucunement narcissique ou egocentrique ; au contraire, il est comme un chef d’orchestre qui régule les débats, qui laisse à chacun sa chance de s’exprimer, sans dogmatisme et sans véhémence et relève les aspects positifs de chaque idée. Par ailleurs, il est un homme qui connait le monde qui l’entoure et qui est lucide sur les faux- semblants, il n’improvise jamais et sait adapter son comportement à son interlocuteur. - Le héros classique : Aucun héros classiques ne bascule dans l'excès. Ils suivent la devise classique « ne quid nimis » (rien de trop). Ceux qui sortent de soi-même et qui brisent les codes de la société sont, au contraire, des contre-exemples dont il faut s'éloigner. Le vrai héros classique doit être mesuré dans ses choix, il doit bien maîtriser ses sentiments et ses émotions et il doit agir de façon raisonnée. Il est ambitieux, désireux de se transcender au nom de la morale. Il agit de façon réglée mais sans choquer, sans bouleverser les codes de la morale et en respectant toujours la vertu. De la même façon, le héros classique sait retenir et réprimer les mauvaises passions qui le submergent, lutter et analyser l'amour qui les fait chavirer au lieu de décrire précisément la force du sentiment amoureux. Les genres : Poésie : en ce qui concerne la poésie, les auteurs recherchent de plus en plus des idéals comme la clarté, l’équilibre, l’harmonie et le naturel, visant à la perfection formelle. Ils composent des vers qui s’adressent plus à la raison qu’aux sens. Roman : le roman évolue : on cherche de plus en plus le vraisemblable. C’est pour cette raison que les auteurs s’orientent vers un roman plus réaliste, mesuré qui représente fidèlement la réalité matérielle et psychologique. On redécouvre aussi la nouvelle qui, inspirée d’un fait vrai ou prétendu tel, a le but de proposer une image fidèle de la réalité. C’est pour ça qu’on fait recours à l’Histoire, garante d’authenticité. EMANUELA URSI 115 l’unité d’action. Dans ce cas, le héros hésite entre l’honneur familial et l’amour pour son père, en choisissant, enfin, l’honneur. Dans le Cid, Corneille met en scène un amour tumultueux, jalonné de duels et de conflits familiaux où l’honneur et le pouvoir royal prédominent. Rodrigue, très épris de la belle Chimène, doit choisir entre son honneur et son amour à cause des conflits qui sévissent entre leurs parents. Il optera pour la première solution tuant en duel le père de Chimène. Chez Corneille, le dénouement n’est pas une chute comme chez Racine, mais plutôt une élévation, une ascension : la liberté doit dépasser les passions qui entravent la loi. Souvent, des monologues intérieurs permettent de livrer au spectateur cette fouille intérieure et la volonté du personnage de conquérir son statut de héros. Horace (1640) En 1640, Corneille fait représenter Horace, inspiré d’un sujet tiré de l’histoire romaine, mais qui est aussi lié à l’actualité historique : en effet, la France est en guerre avec l’Espagne et la femme de Louis XIII, Anne d’Autriche, est la sœur du roi d’Espagne. De plus, la pièce, dédiée au cardinal Richelieu, semble illustrer à la perfection la volonté politique du cardinal : celle de soumettre les intérêts personnels à la volonté de l’état, qui est la valeur suprême. Horace est bien différent du Cid. Il s’agit d’une tragédie régulière qui respectes non seulement les bienséances (par exemple, le combat fratricide n’est pas représenté en scène), mais aussi les trois unités aristotéliques. Même dans ce cas, le héros a tourmenté pas un dilemme, représenté par le choix entre les relations familiaux et l’importance de l’état : il est partagé entre le patriotisme (l’amour pour Rome) et l’amour pour sa sœur Camille qui est amoureuse de l’ennemi de Rome. Enfin, ce sera le patriotisme à triompher. Jean de Rotrou (1609-1650) Jean de Rotrou ne partage pas la même notoriété d’autres comédiens de son époque (Corneille, Racine, Molière), même s’il a écrit pour les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne dès 1628 et il est auteur d’une œuvre considérable : Le véritable Saint-Genest. Le véritable Saint-Genest Le véritable Saint-Genest est une tragédie en cinq actes et en vers. Dans cette pièce, l'empereur Dioclétien décide de marier sa fille Valérie à Maximin, empereur d’Orient et célèbre pour son zèle à persécuter des chrétiens. Pour fêter le mariage, Genest, comédien préféré de Dioclétien apparaît et propose ses services pour fêter le mariage. Alors, pour célébrer la gloire de Maximin, le comédien jouera le rôle d’Adrian, ancien persécuteur de chrétiens converti lui- même au christianisme et tué par Maximin. Genest, seul, répète son texte et, en s'identifiant au personnage d'Adrian, il décide lui-même de devenir chrétien. Soudain, une voix se fait entendre, qui encourage Genest à poursuivre son rôle et lui promet l'aide de Dieu. La pièce commence : Genest joue le rôle d’Adrian, mais puis il interrompt la pièce pour se déclarer lui-même chrétien. Après un moment de confusion, Genest est emprisonné et tué, malgré les demandes de grâce des comédiens sauver sa vie. Ce qui a rendu célèbre et originale cette pièce est le mécanisme du théâtre dans le théâtre : sur la scène du théâtre du monde de l’âge baroque, les hommes jouent un rôle qui devient leur vérité. Pour Rotrou, la représentation constitue un mode d’accès privilégié à la vérité : c’est en jouant que Genest trouve la voie de la foi. EMANUELA URSI 116 Paul Scarron (1610-1660) Paul Scarron porte le nom de son père, Paul Scarron qui faisait partie de la « noblesse de robe ». Malgré sa carrière ecclésiastique, il fréquente aussi bien la cour que les salons provinciaux, qui étaient à l’époque le nouveau symbole de l’hypocrisie. Il est puis frappé d’une maladie incurable qui paralyse ses jambes ; la progression de sa maladie ne fait qu’augmenter en Scarron une sorte d’intérêt vers « le burlesque ». Le roman comique Le terme « comique » du titre ne se réfère pas uniquement aux éléments amusants et comiques du récit, mais il est aussi lié à la « comédie » (en tant que genre). En effet, le fil conducteur du roman est l’histoire d’une troupe de comédiens où Destin, un jeune homme bien né, se cache avec son amoureuse L’Étoile afin d’échapper à son rival, le baron de Saldagne. Avec Le Roman comique, Scarron met à distance le roman héroïque et la préciosité, en imposant un nouveau ton : celui du burlesque. Les histoires d’amour se mêlent à des épisodes comiques, autour de personnages de rang médiocre. Le récit représente également, d’une manière pittoresque et satirique, la vie dans une petite ville de province et ses environs. Un autre élément qui s’oppose aux tendances de l’époque est l’attention pour le corps, à la différence d’autres ouvres, comme, par exemple, La Princesse de Clèves, dominée, en revanche, par les sentiments. Le ton burlesque, qui se veut une manière pour pousser au maximum la démystification du genre romanesque, se définit par l’emploi de termes comiques ou familiers pour décrire une situation sérieuse. Il est très à la mode en France pendant la seconde moitié du XVIIe siècle. Scarron et Cyrano de Bergerac en sont parmi les principaux représentants. Les caractéristiques de ce roman sont la comique du réalisme allant de la caricature à la bouffonnerie et la démystification du genre romanesque. Cyrano de Bergerac (1619-1655) Comme Scarron, Cyrano de Bergerac pratique le style burlesque qui met en évidence les contradictions du monde, en jouant sur des effets d’opposition. Il donne une importance particulière à un humour démystifiant, notamment dans ses Lettres (1654) où il s’amuse à accumuler tous les procédés précieux. Il partage la pensée libertine, dont il expose les grandes idées dans sa tragédie, La Mort d’Agrippine (1653) et dans ses deux romans : Histoire comique des États et Empires de la Lune et Histoire comique des États et Empires du soleil. Son œuvre n’est pas connue mais l’auteur est célèbre grâce à la pièce de théâtre que Edmond de Rostand lui a consacrée. Les États et Empires de la Lune et du Soleil À cause du sens d’incertitude provoqué par les nouvelles découvertes scientifiques, les discussions sur l’existence d’autres mondes sont à la mode. Dans ses deux romans, Les États et Empires de la Lune qu’il achève en 1649 et Les États et Empires du soleil qu’il termine en 1652, Cyrano rapporte le récit d’un voyageur (Dyrcona) débarqué sur la lune, puis sur le soleil. EMANUELA URSI 117 Ce que Cyrano expose à travers ces voyages est une conception libertine du monde reposant sur le matérialisme. Il se sert aussi de procédées burlesques, en jouant sur les effets d’opposition et de contraste : il critique et montre la relativité des coutumes françaises, en décrivant le coutumes (souvent plus cohérentes) des habitants de la lune et du soleil. Il se moque des conventions avec humour en mêlant habilement la fantaisie au réalisme. Il s’appuie, en particulier, sur l’exotisme et sur un dépaysement crée par les lieux étranges où l’action se déroule. Cependant, Cyrano n’apprécie pas le succès de ces deux ouvrages, vu qu’ils paraissent après sa mort (1655) : le premier en 1657 et le second en 1662, privés de leurs passages les plus audacieux. La mort d’Agrippine Cyrano de Bergerac a écrit deux pièces de théâtre, une comédie, Le Pédant joué, achevée un 1645, et La mort d’Agrippine, une tragédie en cinq actes et en vers, joué en 1653 au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. La Mort d’Agrippine met en scène une conspiration dirigée contre l’empereur romain Tibère. Si les conspirateurs semblent poursuivre le même but, tuer Tibère, ils sont animés par des motifs différents : Agrippine veut venger l’assassinat de son mari, Séjanus agit par ambition et par amour pour Agrippine et Livilla, enfin, est poussé par la volonté de défendre la mémoire de son père, autre victime de l’empereur. La conspiration sera finalement découverte et le conjures seront accusés, à l’exception d’Agrippine que Tibère teindra cruellement en vie. L’innovation de La Mort d’Agrippine réside dans l’efficacité de la construction dramatique et dans la violence des passions. Mais ce qui surprend surtout est l’expression exacerbée d’une pensée libertine et la revendication de l’athéisme : elle met en scène la liberté de pensée la plus radicale. C’est pour ça que la pièce fait scandale, en causant son interdiction après quelques représentations. Molière (1622-1673) Molière, pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin, a été un homme de théâtre accompli. Il a marqué l’histoire du théâtre et de la comédie : il s’est distingué par des pièces à la fois comiques et critiques, faisant du rire un arme pour combattre les mœurs et les contraints de son époque. En premier lieu, il a été acteur de talent qui joue les plus grands rôles de ses pièces : il est Orgon dans Tartuffe, Alceste dans Le Misanthrope, Harpagon dans L’Avare, M. Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme, Argan dans Le Malade imaginaire, et c’est en jouant ce personnage qu’il est mort en 1673. Il a été aussi metteur en scène et directeur de troupe : à 21 ans, il fonde avec une famille d’acteurs L’Illustre Théâtre (une troupe itinérante). Puis, en 1661, la troupe est installé par le roi au Palais Royal et Molière met en scène des divertissements pour la cour. Enfin, en 1665, sa troupe devient officiellement la « troupe du roi ». Mais Molière est devenu célèbre surtout pour avoir été un auteur extrêmement fécond qui a brillé aussi bien pour les pièces de circonstance (comédies-ballets et farces) que par ses comédies régulières sur des sujets plus graves, d’une rare profondeur humaine. Pourtant, à l’époque, Molière a été très critiqué, car non seulement il écrivait des comédies (le genre de la comédie était considéré inférieur par rapport à celui de la tragédie et elle promouvait les vices, en le représentant sur la scène), mais il était aussi très audace : en effet, dans ses EMANUELA URSI 120 Furieux, il veut chasser Tartuffe, mais ce dernier possède désormais la maison. À l’acte V, un huissier se présente pour chasser la famille de chez elle et Tartuffe projet de faire emprisonner Orgon dont il a révélé ses secrets politiques. Mais, heureusement, un coup de théâtre punit le méchant : Tartuffe est enfin arrêté, car le roi découvre toutes ses fraudes. Marianne et Valère se marient. Dom Juan ou le festin de pierre (1665) Dom Juan est une comédie en cinq actes et en prose, représentée pour la première fois le 15 Février 1665, au Palais Royal. La pièce a un grand succès, car le thème du libertinage était très à la mode. Le libertinage est un courant de pensée libre qui s’est répandu en France au cours du XVIIe siècle grâce à Pierre Gassendi. Ce courant s’inspire des théories du philosophe grec Épicure et, d’habitude, on distingue entre le libertinage des mœurs et le libertinage érudit. D’un côté, le libertin de mœurs est celui qui se consacre aux plaisirs charnels, en dépassant les limites de la morale conventionnelle. De l’autre côté, les libertins érudits sont foncièrement incrédules et remettent en cause le catholicisme officiel. Ils sont attachés à l’indépendance de la pensée, ce qui les conduit vers le scepticisme et l’anticonformisme moral. Dom Juan incarne parfaitement le modèle du libertin des mœurs (la séduction et la dissolution sexuelle) et du libertin érudit (le mépris pour la doctrine religieux). Molière s’est inspiré du mythe de Dom Juan, né en Espagne et rendu célèbre par Tirso de Molina et El Burlador de Sevilla y convidado de piedra (L’Abuseur de Séville). Le but de Molière est celui de dénoncer les vices de l’époque : les séducteurs arrogants comme Dom Juan sont condamnés, comme les femmes trop lascives. En effet, à l’époque, la pièce a été bien reçue pour le message moral qu’elle adresse à travers la punition exemplaire des péchés. Cependant, juste comme Le Tartuffe, la comédie est interdite après quinze représentations, car les dévots reprochent à Molière d’avoir ridiculisé la vertu, vu que le personnage vertueux de la pièce est le valet Sganarelle, tandis que Dom Juan ne se repent pas de son vice (le vice de la séduction et des mœurs dissolues) et reste un homme séduisant et intelligent, jusqu’à sa mort à la fin de la pièce. En effet, en matière amoureuse, Dom Juan refuse toutes les conventions sociales, morales et religieuses : il affirme sa croyance en la raison et son mépris du surnaturel et du religieux. C’est un parfait libertin, rationaliste et matérialiste : non seulement il est un athée qui ignore Dieu, mais il le tourne aussi en dérision. Voici la trame : la pièce met en scène les 36 dernières heures de la vie du personnage de Dom Juan, un jeune noble séducteur, débauché et blasphémateur qui souhaite jouir des plaisirs de la vie au détriment des règles sociales et morales., Dom Juan ajoute l’hypocrisie à la palette de ses vices en faisant croire à son père qu’il s’est repenti et converti. Un spectre entre sur la scène pour l’inviter à se repentir, mais Dom Juan refuse. Enfin, la statue arrive et emmène Dom Juan à l’enfer. Dom Juan incarne le libertin par excellence, méfiant à l’égard de la religion et des pratiques religieuses qu’il juge déviants, mais il n’en reste pas moins humain et sensible à la détresse humaine. EMANUELA URSI 121 L’avare ou l’école du mensonge (1668) L’avare est une comédie en cinq actes et en prose : c’était la première fois qu’on utilisait la prose pour une grande comédie en cinq actes. La pièce a été médiocrement accueillie, mais aujourd’hui elle est considérée un classique du répertoire théâtrale et l’archétype de la comédie de Molière. La source principale de L’avare est l’Aulularia du comique latin Plaute, dont les comédies ont été traduites en français en 1658. Le dramaturge latin a fourni à Molière des situations de grande force comique, comme le monologue d’Harpagon, désespéré ; mais Molière s’est également servi de certains canevas de la Commedia dell’Arte italienne. A ce propos, cette diversité dans les emprunts peut expliquer, peut-être, un certain manque d’unité dans la pièce. La pièce suit la structure typique des grandes comédies : Harpagon est riche et avare : il est terrorisé à l’idée qu’on puisse lui voler sa cassette avec l’argent ; il envisage pour son fils et sa fille deux mariages d’intérêt, en contrariant leurs projets amoureux. Mais, grâce aux manouvres du valet, La Flèche, et après un coup de théâtre final, la pièce se termine heureusement par le double mariage des jeunes amoureux et Harpagon se retrouve seul avec sa cassette. En ce qui concerne le protagoniste de la comédie, Harpagon est un monstre d’égoïsme : c’est un personnage grotesque qui devrait susciter l’horreur chez le public. Il est représenté comme un tyran domestique et comme un père détestable, avide, usurier, fasciné par l’or et obsédé par la peur du vol. Dans la pièce, Molière se moque de son vice, en le transformant en un personnage comique, parfois victime de sa manie. François de La Rochefoucauld (1613-1680) La Rochefoucauld est un noble déçu par la noblesse qui s’engage tardivement dans la voie de la littérature. Son engagement littéraire est lié à ses déceptions politiques et à sa vie mondaine. Il adopte la forme brève des Maximes pour exprimer une vérité de façon concise, paradoxale et brillante. Les Maximes (1664) Ce recueil de maximes est l’œuvre la plus célèbre de La Rochefoucauld. Le succès de l’œuvre est considérable : la plupart des bons esprits de l’époque se reconnaissent dans cette vision lucide et désillusionnée du monde. Cette œuvre est une succession de réflexions brèves et générales (des maximes) qui donnent une impression de variété et de discontinuité, destinée à capturer l’attention du lecteur mondain. La perfection formelle de l’écriture et la place laissée à l’humour et à l’ironie témoignent la volonté de plaire de La Rochefoucauld. Les Maximes traitent avec une sombre lucidité ce qui motive le comportement de tous les hommes : l’amour-propre. Même si les actions humaines paraissent vertueuses, elles ne font que répondre à la tyrannie des passions. Dans ces remarques sur le comportement humain s’affirme une pensée cohérente. La Rochefoucauld montre la véritable motivation de l’homme : toutes ses actions s’expliquent à travers le jeu de l’amour- propre, une pulsion instinctive qui posse l’être humain à raisonner EMANUELA URSI 122 en fonction de son propre intérêt. Il développe ainsi une philosophie pessimiste et influencé par le jansénisme, reposant sur l’idée que l’être humain est incapable de rechercher l’absolu et d’aspirer à l’idéal du bien. La Rochefoucauld adopte la forme de la « maxime » pour exprimer une vérité de façon concise, paradoxale et brillante. Il se sert de ce moyen pour plaire et pour développer une morale profonde et lucide. Jean Racine (1639-1699) L’œuvre de Racine est profondément influencée par le séjour du dramaturge à Port-Royal, où il avait passé son enfance. Ses personnages sont marqués par un perpétuel sentiment de culpabilité à l’égard d’un Dieu caché, dont les décisions sont inaccessibles à la compréhension humaine. Contrairement à Corneille, partisan de la liberté humaine et de l’optimisme, les personnages de Racine sont marqués par la fatalité et par le pessimisme janséniste. Ses personnages ne sont jamais des héros de la volonté, mais des esclaves de leurs passions impures ou exacerbées et de leurs désirs : ils se luttent contre leurs contradictions intérieures, mais, malgré tous leurs efforts, ils cèdent inexorablement à leurs désirs et la violence de leurs passions est la cause de leur souffrance éternelle. Racine a une vision plutôt austère de la vie de l’homme : c’est pour ça que ses héros sont destinés à la mort ou à la solitude la plus totale. C’est pour ça que le théâtre de Racine est décrit comme un théâtre de la chute, en s’opposant à l’idéal cornélien. Vers 1660, l’anesthétique classique avait remplacé quasi complètement les fastes et le désordre baroque et Racine est l’un des auteurs qui s’adapte le plus facilement à ce changement. Toutes ses tragédies s’inspirent d’épisodes tirés de l’antiquité classique et de la mythologie grecque où le thème de la fatalité est très présent. En outre, Racine même définit son idéal dramatique dans la préface de Britannicus : il préfère une action simple et efficace qui se passe pendant un seul jour et qui repose sur les sentiments et les passions des personnages. Le lieu est réduit à un décor neutre et la règle de l’unité de temps accentue l’intensité dramatique. En effet, ses pièces suivent un déroulement linéaire : l’action commence quand la crise, conséquence de la violence des passions, éclate. A partir de ce moment, la pièce se transforme en une progression implacable vers la conclusion tragique. Les personnages raciniens sont limités aussi bien sur le plan moral que sur le plan linguistique. C’est pour ça que Racine emplie un vocabulaire chaste et simple (souvent abstrait) qui sert à atténuer la violence des passions. Les pièces reposent sur un équilibre délicat de sonorités et de symétries poétiques ; mais, malgré tout, la tragédie racinienne se sert d’une langue d’une rare beauté, marqué par certains procèdes rhétoriques (métaphores, personnifications, exclamations) et par les inflexions de l’alexandrin. Donc, Racine a moulé ses tragédies dans une forme particulièrement épurée, rejetant définitivement toutes les tendances baroques. Phèdre (1677) Racine présente sa pièce Phèdre le 1er Janvier 1677, à l’Hôtel de Bourgogne, et le 3 Janvier ses rivaux font jouer une pièce sur le même sujet, mais le génie de Racine finit néanmoins par triompher. En effet, malgré son sujet scabreux (l’amour incestueux de Phèdre, femme de Thésée, pour son beau-fils Hyppolite) et le scandale littéraire et mondaine qu’elle a suscité, la tragédie de Racine est décrite comme un « monument tragique exemplaire », car elle met EMANUELA URSI 125 Madame de Sévigné (1626-1696) Lettres Veuve avec deux enfants à charge, la marquise de Sévigné fréquente la haute société et les salons littéraires. En 1671, sa fille Françoise-Marguerite quitte Paris pour suivre son époux en Provence. Pour combler le vide que ce départ a laissé, Mme de Sévigné lui écrit régulièrement, lui raconte sa vie et la tient au courant de l’actualité à la cour et dans les milieux intellectuels parisiens où elle paraît. Madame de Sévigné a écrit à sa fille et à ses proches presque 1400 lettres, qui représentent l’un des plus intéressants documents historiques et littéraires du siècle. Elles décrivent avec une grande vivacité le quotidien de l’époque et sont notamment un commentaire éclairé de la vie à la cour du Roi Soleil et dans les salons mondains. De plus, ces lettres privées représentent une exception dans la production littéraire de l’époque, orientée plutôt vers la poésie et le roman, des genres qui préféraient la réflexion générale sur la nature humaine à l’introspection fournie par la correspondance. Ces lettres sont entrées dans la tradition littéraire grâce à leur style et à leurs contenus : en effet, cette correspondance fait découvrir au lecteur une femme intelligente et spirituelle, marquée par un profond sens maternel. Madame de Sévigné aborde tous les sujets, mêlant les réflexions personnelles (par exemple, les méditations sur la mort) et l’analyse de ses sentiments aux contes mondains, avec une spontanéité et une vivacité dégagée des conventions de la rhétorique. Cette correspondance privée permet même d’aborder des thèmes qui touchent la vie des femmes, comme la maternité. Tous les récits sont détaillés comme un reportage et la langue, évocatoire et précise, sait sa plier aux sujets traités. Ces lettres, qui évidemment n’étaient pas destinées à être publiées, sont devenues tout de suite l’objets de lectures publiques dans les salons parisiens et de débats dans les cercles mondains. En effet, la lettre privée répond au plaisir mondain de communiquer et se transforme en une véritable création littéraire, destinée à être lue et commentée en public. Ce goût pour la correspondance est aussi à l’origine de l’introduction de lettres dans les romans et finit par donner naissance à un nouveau genre : le genre du roman épistolaire (un roman entièrement constitué de lettres). Les Lettres d’une religieuse portugaises de Guilleragues (1669) sont le premier exemple français de roman épistolaire, un genre destiné à connaître un succès prodigieux au siècle suivant. La correspondance de Mme de Sévigné a été imprimée après sa mort en 1697, en publication partielle. La première édition complète paraît entre 1862 et 1866. Nicolas Boileau (1636-1711) Nicolas Boileau, un avocat consacré à la littérature, est un défenseur du classicisme engagé dans la querelle contre les Modernes. Comme les autres classicistes, il croit aux vertus et au pouvoir de l’imitation. Il fréquente les grands écrivains de son temps et les salons à la mode. Il écrit beaucoup et lit en public ses compositions : ses jugements portés sur la littérature et sa position dans la querelle des Anciens at des Modernes font de Boileau le grand « législateur » du classicisme et des auteurs de l’antiquité. En matière religieuse, Boileau partage les idées jansénistes et s’élève violemment contre le laxisme des jésuites. Dans le même EMANUELA URSI 126 temps, Boileau cherche à se faire une place à la cour : en 1677 il est désigné (au côté de Racine) comme historiographe et en 1684, il devient un membre de l’Académie française. En littérature, Boileau met en évidence le « naturel » et la « clarté » avant toute chose, préférant la raison à l’imagination. Le poète doit écouter son génie et sa sensibilité, mais il doit aussi se soumettre aux normes : écrire est un effort qui impose au poète de maîtriser ses passions. Même si Boileau ne condamne pas les genres mineurs (l’ode le sonnet, l’idylle ou l’élégie), il leur préfère les genres nobles, comme la comédie, la tragédie et l’épopée, plus adaptes à atteindre le sublime. Il contribue aussi à faire connaître les règles de la dramaturgie classique, comme celles des trois unités. L’Art poétique En 1674, il publie L’Art poétique, un long poème en rimes où il explique son art poétique qui sera considéré comme la théorie de l’art classique, car Boileau se situe nettement en contraste avec la production précédente de tendance baroque (les Modernes), en évoquant le message « essentiel » de son pensée critique. C’est pour ça qu’il rejette les excès et prône un style clair et limpide, en influençant la production littéraire du siècle. Pour l’écriture de son chef-d’œuvre, il s’inspire de la Poétique d’Aristote et de l’Art poétique d’Horace pour évoquer les règles de l’écriture en vers classiques. Il reprend aussi des éléments de doctrine élaborés par les doctes du XVIIe siècle et rend hommage à Malherbe, l’un de premiers à garder la pureté de la langue. La construction de cet ouvrage est rigoureuse et symétrique. Les chans I et IV sont consacrés à des considérations générales : le chant I définit les grandes règles de l’écriture, tandis que le chant IV analyse le comportement de l’écrivain. Les chants II et III contiennent des études plus particulières : le chante II s’oriente vers les formes littéraires mineurs, comme l’ode ou le sonnet, et le chante III vers les grands genres, comme la comédie, la tragédie et l’épopée. * Dans L’Art poétique, Boileau s’adresse aux honnêtes gens et aux jeunes poètes, auxquels il prodigue ses conseils et critiques. Il n’invente pas les principes du classicisme, mais il en donna une synthèse frappante, pour la postériorité. Les Satires Une partie importante de l’œuvre de Boileau est d’inspiration satirique : il attaque les vices et les ridicules de son temps. En particulier, Boileau s’amuse à parodies le style épique, en l’appliquant à des sujets prosaïques, selon les procédés de ce qu’on appelle l’héroï-comique. Cet esprit se développe particulièrement dans les Satires : un recueil de satires publié à partir de 1666 (cette édition contenait sept satires), inspiré des Satires d'Horace et de celles de Juvénal, et entièrement écrit en alexandrins. L’édition définitive qui compte douze satires est publié en 1716, après la mort de l’auteur. Les thèmes abordés sont très variés, et il n'y a pas de plan d'ensemble : de la dénonciation des ridicules des comportements, Boileau passe à une réflexion religieuse plus profonde sur l’homme, pour enfin aborder les problèmes religieux. Les Satires sont inspirées d’Horace. Dans ces discours poétiques, Boileau attaque ses contemporains qu’il juge de mauvais gout. EMANUELA URSI 127 Les Épîtres Le terme « épître », issu du latin epistula, désigne une lettre (au sens de correspondance). Avec ses douze Épîtres (publiés entre 1670 et 1698), Boileau, défenseur inconditionnel des Anciens, reprend la tradition de la lettre littéraire (l’épître) que les auteurs de la Rome antique utilisaient pour livrer leur avis ou leur impression sur les sujets les plus différents, en utilisant encore une fois sa tonalité satirique. Les sujets traités sont par exemple : la manie des procès (dénoncé dans l’Épître II), l’ignorance jésuite (dénoncée dans l’Épître XII) ou encore l’éloge du calme et de la campagne, en déplorant l’agitation de la ville (analysé dans l’Épître VI). La satire est l’un des thèmes principaux de l’œuvre de Boileau, mais il s’est aussi intéressé à un autre domaine, celui de la critique littéraire. Il a été toujours considéré comme le « législateur du classicisme » : il n’en est pas l’inventeur, mais il a eu le mérite d’en codifier les règles. Dans une grande partie de son ouvrage, il se consacre à cette tâche, prodigue ses conseils et impose les règles à respecter. Madame de Lafayette (1624-1693) Femme du comte de Lafayette, elle s’installe toute seule à Paris. Très liée à Mme de Sévigné, la comtesse fréquente les personnalités littéraires les plus influentes de l’époque : La Fontaine et surtout La Rochefoucauld. Ensuite, elle ouvre son propre salon et commence à fréquenter la cour ; c’est pendant cette période mondaine qu’elle se consacre à la rédaction de son chef- d’œuvre, La Princesse de Clèves, qui suscite immédiatement une grande admiration dans les salons. Ce roman paraît en 1678 dans l’anonymat, car Madame de Lafayette savait que la cour ne pouvait pas accepter que l’une de ses dames s’occupait de frivolités romanesques. De plus, le rôle joué par les amis de Madame de Lafayette dans la composition du roman n’est pas encore clair : on sait que l’écrivaine, peu confiante dans ses propres capacités, faisait relire et corriger chaque page à ses amis les plus intimes, comme, par exemple, le duc de La Rochefoucauld. La Princesse de Clèves (1678) Vers 1660, les longues fictions baroques, pleines de péripéties et d’épisodes secondaires, sont passées de mode. En revanche, c’est la doctrine classique qui influence les auteurs des romans, généralement des aristocrates qui fréquentent la cour. Le nouveau goût de l’époque impose un récit bref, une intrigue linéaire (qui implique un noyau unique avec peu de personnages) et, surtout, un cadre historique et des personnages vraisemblables. Le roman de Madame de Lafayette s’adapte parfaitement à ces conditions : par exemple, le cadre historique est étudié dans les moindres détails (bien que la description de la cour d’Henri II cache en réalité celle de Louis XIV). De plus, on peut considérer La Princesse de Clèves comme un premier exemple de roman d’introspection psychologique, vu que la psychologie des personnages est soigneusement décrite et analysée. En effet, l’intrigue est plutôt ténue et linéaire : ce qui compte est l’analyse des sentiments et des contradictions des personnages, de leur souffrance intérieure et tout à fait humaine. De plus, à travers l’aveu de la princesse à son mari, l’écrivaine donne aussi une image différente des héroïnes tragiques de Racine : celles-ci succombent à leur destin, tandis que la princesse de Clèves le construit à travers la raison. Certains ont vu dans la rigueur et la raison de l’héroïne des traces de la pensée janséniste. Par le contrôle qu’elle exerce sur ses EMANUELA URSI 130 Les Mémoires de Saint-Simon Une première édition de ces Mémoires est publiée, encore incomplète et anonyme, en 1781. Plus tard, en 1830, les Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon paraissent en vingt et un volumes ; le récit couvre une trentaine d'années, de 1691 à 1723. En fonction de mémorialiste, Saint-Simon décrit les événements historiques dont il fut témoin pour les commenter, car, selon son idéal, la Grande Historie dépend beaucoup du caractère de ceux qui la font. Le but de Saint-Simon est celui de révéler les intérêts, les vices, les vertus, les passions et les haines : c’est privilégier la psychologie à l’analyse logiques des faits. Par conséquent, son portrait de la cour de France se transforme en une fresque cruelle et féroce. Témoin capital, Saint-Simon décrit les coulisses du pouvoir politique, révèle les intrigues et les ambitions de personnages historiques ou d'inconnus promis à l'oubli. Il fait part de ses réflexions, de son idéologie politique et de sa pensée historique. Il abonde en portraits, anecdotes, généalogies, chroniques, conversations, commentaires, qui se succèdent en un ensemble disparate. François de Salignac de La Mothe-Fénelon (1651-1715) En 1689, Fénelon est nommé précepteur du duc Bourgogne, le petit-fils de Louis XIV. C’est pour son emploi qu’il commence à rédiger des œuvres didactiques, comme Les aventures de Télémaque. Sa carrière s’ouvre ainsi à de nouvelles possibilités : en 1695, il est nommé archevêque de Cambrai et il continue à diriger son élève. Mais la condamnation du quiétisme et la circulation des aventures de Télémaque sont la cause de sa disgrâce. Au début de 1699, Fénelon perd son poste de précepteur et quand son Télémaque est publié, Louis XIV lit dans l’œuvre une critique à son système monarchique : Fénelon est forcé à l’exile. Le quiétisme : le quiétisme est une doctrine espagnole, condamné dès 1687 comme hérétique. Elle propose une union totale avec Dieu jusqu’à rendre l’âme si étrangère au corps qu’elle n’est plus responsable des fautes qu’il peut commettre. Les aventures de Télémaque Rédigé en 1695 et publié en 1699, Les aventures de Télémaque est un roman pédagogique, écrit par le petit-fils de Louis XIV. Le roman est présenté comme une continuation di IVe livre de L’Odyssée d’Homère : en effet, le but de l’œuvre est celui de faire revivre les héros de l’Antiquité, qui doivent servir de modèles au futur roi. Excellent helléniste, Fénelon imite les Anciens avec une grâce et une aisance souveraine, dans une prose poétique au rythme enchanteur. Résumé : accompagné du sage Mentor (qui n’est d’autre que Minerve) Télémaque part est à la recherche de son père, Ulysse. Au cours de son voyage, il étudie le mode de vie et l’organisation des peuples qu’il rencontre (en Sicile, en Égypte, à Tyr, etc.) et il fait aussi la connaissance d’une société utopique, la Bétique, étrangère au luxe et à la corruption, qui rappelle l’âge d’or. Les enseignements que Télémaque reçoit de son Mentor ne sont qu’une métaphore de Fénelon qui prépare le duc de Bourgogne à son métier de roi. Cet œuvre met aussi en évidence la pensée politique de Fénelon et sa vision de la monarchie : précurseur de Montesquieu, il combat l’absolutisme : le roi doit se soumettre aux lois pour exercer un pouvoir qui respecte la morale. EMANUELA URSI 131 Il est aussi précurseur de Voltaire, car il enseigne l’amour et la paix. Il insiste aussi sur la fraternité des hommes et il revient sans cesse sur l’injustice et l’horreur de la guerre. Pour lui la guerre est un désastre, le roi doit l’éviter à tout prix et rechercher toujours le bonheur de son peuple. A travers ce roman, Fénelon expose au duc de Bourgogne un sage idéal politique qui reprend en partie l’idéal chrétien. La lettre à l’Académie (1714) Dans la lettre à l’Académie (française), Fénelon propose aux académiciens un programme de travaux linguistiques et littéraires et, en même temps, il expose ses idées sur la langue, l’éloquence, la poésie et la Querelle des Anciens et des Modernes. Après les projets concernant la Dictionnaire et la Grammaire, Fénelon expose un projet pour enrichir la langue. Il voudrait multiplier les vocables et les synonymes, par la formation de mots composés et l’emprunt de termes harmonieux aux langues étrangères. En ce qui concerne l’éloquence, Fénelon montre la supériorité de l’éloquence des orateurs anciens. Hostile au genre fleuri et plein d’ornements, il veut une éloquence directe et spontané. Il exalte aussi le rôle civilisateur de la poésie, « plus sérieuse et plus utile que le vulgaire ne le croit », même s’il met en évidence les difficultés de la versification. Fénelon tente la conciliation des idéaux antiques et modernes. LES LUMIERES Le XVIIIe siècle s’ouvre sur les dernières années d’un monarque presque divinisé, Louis XIV qui meurt en 1715 et de renferme sur la décapitation d’un autre souverain, Louis XVI en 1793, après la révolution qui a bouleversé la France depuis 1789. En moins d’un siècle, les institutions basculent sous la poussée d’une contestation qui remet en cause les fondements du pouvoir, de la morale et de la société tout entière : les progrès techniques, la réflexions philosophiques, l’analyse politique et la littérature contribuent à ce renouvèlement. Le XVIIIe siècle est aussi appelé le siècle des Lumières : les Lumières correspondent à un « mouvement » culturel, philosophique et intellectuel qui émerge à la fin du XVIIe siècle et se développe en toute Europe au XVIIIe siècle. Ce mouvement contribue aussi à bouleverser toutes les certitudes traditionnelles : confiants en la capacité humaine à se déterminer par la raison, les philosophes des Lumières s’efforcent de libérer les hommes de l’obscurantisme et de défendre la liberté, le progrès et le bonheur. D’un point de vue littéraire, le siècle des Lumières est partagé entre l’influence hérité du classicisme et les tendances modernes qui vont s’épanouir avec le romanisme. Le statut de l’écrivain se modifie : à l’honnête homme classique se substitue l’intellectuel littré. Les cercles intellectuels sont dominés par la figure du philosophe qui est au cœur du monde et s’engage dans la vie publique. Guidé par la raison et par un sens aigu de l’observation, le philosophe veut affirmer la liberté de pensée et d’expression, la justice et le bonheur. La diffusion des idées La circulation des livres : malgré la censure qui frappe très souvent, les œuvres des philosophes sont vite appréciées. Avant même d’être commencée, l’Encyclopédie a eu 4 000 souscripteurs, ce qui pour l’époque est énorme. Le journalisme aussi se développe : il explosera littéralement sous la Révolution. EMANUELA URSI 132 L’œuvre littéraire devient une arme au service de la vulgarisation des idées. C’est pourquoi de nouveaux genres se développent : le conte philosophique, le roman à thèse, le dialogue philosophique, le dictionnaire, l’encyclopédie. Au fil des genres : au cours du XVIIIe siècle, le roman est en pleine expansion. Il n’est soumis à aucune règle et peu donc passer tranquillement de l’exotisme, de l’aventure, de l’imagination à une reproduction plus ou moins fidèle de la vie quotidienne et de la société. Il sert aussi à dénoncer chez les philosophes. En effet, le siècle des Lumières est avant tout celui des idées qu’il faut divulguer, grâce à la prolifération d’ouvrages destinés à convaincre, dénoncer ou proposer de nouveaux modèles. Associé à Voltaire, le conte philosophique est un cas particulier : les éléments qui le composent (voyages, naufrages, duels) appartiennent au répertoire romanesque, mais placés au service des idées de l’écrivain. Les contes philosophiques sont la réalisation de l’idéal littéraire du siècle. En outre, on assiste à la naissance au XVIIIe siècle d’un nouveau genre théâtral : le drame bourgeois ou drame sérieux, dont Diderot est le premier théoricien, qui représente le monde moderne et ses conditions sociales. En revanche, la comédie s’adapte rapidement aux nouveautés du siècle grâce à Marivaux et à Beaumarchais. Montesquieu (1689-1755) Charles Louis de Secondât, baron de la Brède et de Montesquieu, aristocrate provincial de Bordeaux, est l’un de premiers philosophes éclairés dont les réflexions porteront à la Révolution. Les intellectuels français comme Montesquieu remettent en cause les certitudes sur lesquelles se fondaient l’absolutisme politique, le principe d’autorité et la vérité religieuse. Mais ce sont surtout les voyages et les rapports avec les intellectuels étrangers qui provoquent un renouveau profond chez les philosophes français. Beaucoup d’intellectuels français, contraints à l’exil, sont attirés vers l’Angleterre et les Pays-Bas où il y a plus de liberté et où la censure n’existe pas. C’est là qu’on publie les ouvrages interdits en France. L’Angleterre est considérée comme supérieure sur le plan religieux, pour l’esprit de tolérance qui y règne, et sur le plan politique, pour la forme de gouvernement où le roi accepte de gouverner sous le contrôle du Parlement. Montesquieu respire cette atmosphère de liberté : il voyage en Allemagne, en Autriche, en Angleterre et dans les états italiens, où il peut comparer la vie sociale en France avec celle des autres pays. Il jette un regard nouveau sur la société et établit les fondements des sciences politiques modernes. La définition de la loi : « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et dans ce sens tous les êtres ont leurs lois ». Montesquieu montre comment les « lois positives », qui sont inventées par les hommes, dépendent des « lois naturelles ». Il montre aussi l’influence du milieu sur les lois des hommes, en distinguant entre le milieu géographique et le milieu humain. Le milieu géographique : Montesquieu est l’un des premiers à penser que les lois sont conditionnées par la situation matérielle que les hommes connaissent. Il élabore la célèbre théorie des climats où il montre comment le climat influence la politique et la morale. Le milieu humain : chez les peuples « civilisés », toutefois, d’autres facteurs conditionnent les lois: les échanges commerciaux, la religion, l’exemple de l’histoire passée, les mœurs. Montesquieu résume toutes ces variables sous le terme d’« esprit général d’une nation». EMANUELA URSI 135 La fiction prend le plus souvent la forme d’un voyage extraordinaire, et s’organise autour d’un protagoniste, acteur ou témoin d’événements symboliques dont il faut déchiffrer le sens. Dans ses contes, Voltaire utilise une écriture extrêmement efficace : • Apparente objectivité dans la narration : il évite de commenter, car les épisodes parlent d’eux-mêmes ; • Recours à l’ironie : il dit le contraire de ce qu’il pense, pour stimuler le lecteur ; • Récit vif et alerte : les phrases sont souvent concises et le rythme soutenu; Voltaire sait susciter la surprise et jouer sur les contrastes. La structure du conte chez Voltaire est très similaire à celle des contes de fées (présence d’une situation initiale brisée par un élément perturbateur, péripéties, etc.) mais les propos sont différents : il s’agit d’un genre parodique et satirique qui détourne les caractéristiques du conte traditionnel pour délivres des problématiques « philosophiques ». Zadig ou la destinée (1747) Voltaire raconte dans ce bref récit, les mésaventures d’un jeune Babylonien, Zadig. La structure est tout à fait originale dans le panorama littéraire du temps : comme les Mille et Une Nuits, ce roman se compose de dix-neuf contes réunis pour former une histoire suivie. Cette technique a bien sûr suscité les critiques de certains détracteurs qui ont attaqué la structure du récit. En réalité, bien conscient de ce danger, l’auteur a accordé beaucoup de soins à l’intrigue qui relie les différents épisodes entre eux : il fait souvent le point, renvoie d’un chapitre à l’autre et ménage le suspense. L’amour contrarié entre Zadig et Astarté est le fil conducteur, mais l’unité du récit va beaucoup plus loin et met en évidence l’intention philosophique, telle qu’on l’entendait à l’époque. Voltaire même souligne l’existence d’un sens profond du récit : les vicissitudes de Zadig mettent en évidence l’importance du hasard et, pas conséquent, de l’absurde dans la vie humaine. Tout cela met en doute l’utilité des mérites individuels et de la foi en la Providence. Zadig est aussi une parodie du roman de formation où le héros doit surmonter une suite invraisemblable d’épreuves qui l’éloignent de son but. Les adversités l’amènent à s’interroger sur les sens de la vie, notamment sur la possibilité d’être heureux dans un monde gouverné par le hasard. Cependant, la conclusion favorable du récit laisse entrevoir une pensée optimiste : la leçon, en fait, est de se soumettre à sa propre destinée parce qu’il est vain de chercher à savoir le pourquoi et le comment des choses. Zadig est un jeune homme beau, riche, sage et avisé. Par son seul mérite et grâce à l’amour de la reine Astarté, il devient premier ministre de Babylone. Mais, victime de jalousies, il est chassé. Au terme d’une série d’épreuves et de révélations (en Égypte, en Arabie), il retrouve Astarté qu’il épouse, monte sur le trône de Babylone et inaugure un règne de paix et de vertu. Micromégas (1752) Dans Micromégas, Voltaire veut nous livrer une leçon de relativisme physique et moral. Micromégas n’est pas le fruit de la pure fantaisie. Voltaire, qui venait de rédiger Les Éléments de la philosophie de Newton, déplace son personnage dans le cosmos en fonction des lois de la « gravitation universelle » . Micromégas délivre aussi un important message moral : l’homme, ayant été remis à sa juste place dans l’univers depuis la révolution copernicienne, doit accepter EMANUELA URSI 136 cet état des choses et les limites de la condition humaine, et se rendre compte que rien n’est absolu. Voltaire en profite pour dénoncer la métaphysique et ses discours vides, tout en louant la raison qui permet à l’homme de progresser. Candide ou l’optimisme (1759) Comme Zadig et comme la plupart des contes philosophiques, Candide a la structure du roman d’apprentissage. Secoué par la dure loi de l’expérience, le jeune héros, Candide, se débarrasse peu à peu de toutes ses illusions pour accepter la réalité telle qu’elle est. Les personnages sont victimes de catastrophes naturelles et d’injustices sociales : ils deviennent des véritables marionnettes inertes qui permettent à Voltaire d’exposer la stupidité, l’intolérance et le fanatisme. Pour briser toute vision optimiste du monde, Voltaire se sert de l’ironie et de la satire qui soulignent le ridicule. Candide est un catalogue de méfaits, qui marque une évolution dans la pensée voltairienne en réduisant l’optimisme à un syllogisme grotesque. Comme c’était déjà le cas pour Zadig, le sous-titre permet à Voltaire d’annoncer le sujet du conte : l’ « optimisme », très à la mode au XVIIIe siècle. En effet, le philosophe allemand Leibniz avait déjà expliqué le sens du mot « optimisme » : il explique comment l’univers est mauvais par nécessité puisque sa création est une dégradation de l’être ; cependant, notre univers est le meilleur des univers possibles, car il dérive d’un choix de Dieu, l’être parfait. Le public de l’époque apprécie les théories de Leibniz, car ils concilient l’existence du mal avec la foi en la bonté divine. Cependant, Voltaire ne partage pas cette opinion et il oppose la réalité des faits aux théories de ses contemporains. Dans les années qui précèdent la rédaction de Candide, Voltaire est bouleversé par le tremblement de terre de Lisbonne (1755) et par les combats sanglants de la guerre de Sept ans qui commence en 1756. Il est fermement convaincu d’une part du caractère imprévisible des événements naturels et, d’autre part, de la barbarie et du comportement irresponsable des hommes : il croit, donc, à l’existence du mal. La représentation excessive dans Candide sert aux philosophes pour souligner paradoxalement le désenchantement d’un bonheur limité. Le héros n’est plus un monarque idéal comme Zadig, mais un simple individu qui applique la « loi naturelle » et qui ne dépend plus du monde pour survivre, mais de ses propres forces. En effet, Candide découvre que seule ses actions, dans la mesure de ses possibilités et de ses compétences, peuvent avoir du sens : « Il faut cultiver notre jardin », dit Candide. S’il est vrai que le monde n’est pas parfait, pour entretenir une vie heureuse il faut entretenir notre bonheur en privilégiant une vie modeste et fondée sur le travail. Résumé : Candide est chassé du château de son bienfaiteur pour en avoir séduit la fille, Cunégonde. Il est enrôlé de force dans l’armée, s’en échappe, se trouve à Lisbonne lors du tremblement de terre, s’embarque pour l’Amérique, découvre l’Eldorado. Dans tout ce périple rocambolesque qui n’est qu’une succession de malheurs, il rencontre de nouveaux compagnons (Martin et Cacambo, son serviteur noir), perd et retrouve plusieurs fois son maître à penser, Pangloss, et Cunégonde. Il revient en Europe, fait étape à Venise et finit en Turquie avec tous les amis réunis, où les clés de la sagesse lui sont révélées, d’abord par un derviche qui leur conseille de se taire face au mal et ensuite par un vieil homme qui leur explique qu’il se contente de vendre les produits de sa terre sans s’occuper des affaires du royaume. EMANUELA URSI 137 L’Ingénu ou l’histoire véritable tirée des manuscrits du Père Quesnel (1767) En mettant en scène un jeune « ingénu » qui ne partage pas les valeurs de la société occidentale, Voltaire démontre l’arbitraire de certaines croyances ou de certains comportements sociaux qui apparaissent naturels mais qui font partie, en réalité, d’une convention pas toujours rationnelle. La naïveté de son personnage lui permet de dénoncer les abus qui traversent de la société, tout en faisant sourire. Résumé : Le conte retrace l’histoire de l’intégration sociale d’un jeune ingénu, arrivé du Canada à St-Malo. Le jeune Ingénu, qui comme son nom l’indique dit toujours ce qu’il pense, est baptisé et tombe amoureux de Mlle de St-Yves. Ensuite, il repousse une attaque anglaise et se rend à Versailles pour rencontrer le roi où son ignorance de l’étiquette provoque quelque stupeur. Arrêté sur lettre de dénonciation, il est enfermé à la Bastille, il en profite pour étudier la philosophie et le théâtre. Sa fiancée, pour obtenir sa libération, cède aux avances d’un ministre et en mourra de honte. Éploré, l’Ingénu, dont le mérite sera enfin reconnu, deviendra officier. Dramaturge, poète et historien En réalité, Voltaire voulait passer à la postérité pour ses tragédies, mais les lecteurs ont toujours préféré ses contes philosophiques. De nos jours, ses 52 pièces (qui apparaissent souvent comme des pales imitations des tragédies du siècle précédent - ex. Zaïre ou Irène) n’intéressent plus qu’un petit nombre de spécialistes. Voltaire a voulu faire l’éloge du classicisme, mais, en réalité, il humanise le théâtre en enlevant à Dieu toute place dans les affaires humaines, et ses pièces annoncent le pathétique du mélodrame bourgeois. Quant à ses vers, on retrace des recueils de rimes galantes et de longues épopées qui sont pratiquement tombés dans l’oubli. Le Poème sur le désastre de Lisbonne, écrit à la suite du tremblement de terre qui a détruit la capitale du Portugal en 1755, est le seul à susciter encore un certain intérêt. Sur un ton pessimiste qui rappelle les réflexions amères de certains contes philosophiques, l’auteur médite sur l’inéluctabilité du mal. Voltaire a été historien aussi. Fasciné par le passé, il y consacre plusieurs ouvrages, dont le plus célèbre est Le Siècle de Louis XIV. Il étudie le mode de vie d’un peuple à une période donnée ; plus que les grands événements politiques et militaires, il s’intéresse à l’évolution des sciences, de l’agriculture, des arts, du commerce. Mais surtout, il retrace les témoignages, les faits et interroge les survivants de l’époque du Roi Soleil. Ce travail remarquable de documentation fait du Siècle de Louis XIV l’une des premières œuvres historiques modernes du point de vue de la structure. Les textes de réflexion philosophique (mais qui ne sont pas littéraires) Les Lettres philosophiques (1734) Lorsqu’il s’exile en Angleterre, le jeune Français découvre la littérature anglaise et notamment Shakespeare (si éloigné des conventions classiques françaises), la philosophie anglaise, représentée par Locke et Newton, et le système politique parlementaire anglais. Un peu sur le modèle des Lettres persanes de Montesquieu, Voltaire met en scène un spectateur naïf qui délivre ses observations dans tous les domaines : religion, économie, philosophie, politique, science et art. À la gloire de l’Angleterre, premier pays des Lumières, pays de la tolérance, de EMANUELA URSI 140 La politique Comme d’autres, Diderot s’élève contre l’absolutisme, l’injustice, l’arbitraire. Mais sa pensée oscille entre le désir de reconstruire le monde et le désir de le réformer. Son grand principe étant le bonheur des hommes, il pense que tout système politique doit d’abord répondre à cette exigence. C’est pourquoi il subit l’attraction des monarchies éclairées, où la justice dans une société donnée conduit au bonheur. Les dialogues philosophiques La forme dialoguée existe depuis l’Antiquité et Diderot la connaît bien. Mais le XVIIIe siècle va revivifier le genre : les idées s’affrontent et s’affinent dans la mise en scène dialectique de deux ou plusieurs voix qui se répondent, et la nécessité de plaire sert la réflexion philosophique. Diderot va utiliser fréquemment cet artifice littéraire rendant ses textes encore très accessibles et intéressants aujourd’hui, par le style et par les questions soulevées. Le Rêve de D’Alembert (1769) Le Rêve de D’Alembert est le deuxième dialogue d’une trilogie écrite en 1769. Dans ces trois dialogues, le philosophe expose ses théories matérialistes, et en particulier sa conviction que l’esprit et la matière sont une seule substance, que l’homme est un agrégat de molécules et que la pensée est issue de l’union de la sensibilité et de la mémoire. Diderot met en scène des personnes réelles : D’Alembert, membre de l’Académie des sciences et co-directeur de l’Encyclopédie ; le docteur Bordeu, très connu pour ses théories sur le système nerveux et la hiérarchie des organes ; Julie de Lespinasse, femme lettrée qui suscitait l’admiration des encyclopédistes, qui n’ayant pas apprécié d’être ainsi représentée, fit brûler le manuscrit écrit en 1769. Entretien d’un père avec ses enfants (1771) Le texte est un dialogue entre le père de « moi » (= Diderot), sa sœur, un abbé et un docteur et tourne autour du bienfondé des lois et de leur application. Le père raconte ainsi son dilemme devant le testament d’un curé qui déshéritait les légataires, pauvres gens, pour favoriser de riches libraires. Faut-il alors agir selon la loi ou selon la pitié à cause de l’injustice flagrante ? Faut-il donc parfois s’abstenir d’obéir à la loi, si on en estime les conséquences mauvaises ? « Moi » le susurre à son père, qui répond qu’il n’habiterait pas une ville où tous les hommes penseraient de même. Supplément au voyage de Bougainville (1772) En 1771, le navigateur français Bougainville, qui a exploré la Polynésie, publie son journal de voyage où il soutient l’idée de la colonisation de ces terres. Diderot, dans le Supplément, réplique et développe ses propres réflexions sur ce thème. Il met en scène un vieux Tahitien qui dialogue avec les «colonisateurs» européens (Bougainville, un prêtre), mettant dans la bouche du vieux sage indigène – incarnant le bon sauvage de Rousseau – ses convictions sur la liberté des peuples, sa condamnation de l’esclavage, de l’impérialisme et des dérives de la religion chrétienne. Il fait l’apologie de la culture et de la morale des indigènes, plus proches de la nature, plus authentiques, par rapport à la civilisation occidentale corrompue. EMANUELA URSI 141 Entretien d’un philosophe avec la maréchale de *** (1776) Un philosophe, appelé Crudeli, va rendre visite à un maréchal et en son absence discute avec sa femme, «belle et dévote comme un ange». Le court dialogue porte essentiellement sur l’existence de Dieu, les croyances, la religion, la vérité sur un ton à la fois sérieux et léger à travers de courtes répliques incisives. Le Neveu de Rameau (1762 -1777) Diderot n’a pas voulu publier son texte, parfois subversif, dans la France de l’Ancien Régime, par crainte de la censure. Une copie parvient toutefois à Catherine II de Russie. Schiller et Goethe en prennent connaissance et publient une traduction allemande du Neveu en 1805. En 1821, paraît en français une traduction de cette traduction ! Et c’est par hasard à la fin du XIXe siècle, chez un bouquiniste, qu’on retrouve le manuscrit original. Deux personnages installés au café de la Régence se donnent librement la réplique : Moi, le philosophe narrateur, et Lui, bohème original, génie raté et cynique sympathique, inspiré d’un personnage réel, le neveu du musicien Jean-Philippe Rameau. Moi et Lui toutefois apparaissent comme les deux faces contradictoires de Diderot. Moi, c’est le Diderot philosophe, raisonnable. Lui, c’est le Diderot bohème, bouffon, truculent et extravagant. Ce roman-conversation permet à l’auteur d’aborder avec naturel tous les thèmes qui lui tiennent à cœur : morale, politique, esthétique, de faire la satire des puissants, d’égratigner les adversaires de l’Encyclopédie. Le théâtre de Diderot : le drame bourgeois Diderot s’intéresse au théâtre aussi bien dans la théorie que dans la pratique. Il veut peindre sur la scène des conflits qui existent dans la vie de tous les jours et où les personnages luttent contre des problèmes familiaux ou professionnels. Diderot a ainsi créé un nouveau genre théâtral, le drame bourgeois qui n’a rien à voir avec le théâtre classique. Il est en prose et les trois unités sont abandonnées pour que le spectateur puisse profiter de l’idée de mouvement et de vérité. A mi-chemin entre la comédie et la tragédie, le drame bourgeois ne met pas en scène des êtres exceptionnels, mais des hommes et de femmes en prise directe avec l’actualité. Le drame bourgeois disparaîtra avec la Révolution, sans doute à cause de son caractère trop moralisateur. Exemples de drames bourgeois de Diderot : Le Fils Naturel ou Le Père de Famille. Les textes « romanesques » La Religieuse (1760) Ce roman est le fruit d’une mystification. Un des amis de Diderot, le marquis de Croismare, avait quitté Paris, et tous regrettaient son absence. Pour le faire revenir, Diderot se sert d’un fait divers qui avait ému le marquis : une jeune religieuse avait perdu le procès qu’elle avait intenté contre ses parents qui l’avaient mise de force dans un couvent. Diderot imagine qu’elle s’évade, et, de chez la personne chez qui elle s’est réfugiée, écrit au marquis pour demander sa protection. Le marquis tombe dans le piège. De nombreuses lettres, réelles, seront échangées. EMANUELA URSI 142 Lorsque le marquis offre à la jeune religieuse une place de femme de chambre, Diderot, ne pouvant la faire exister, imagine une maladie puis sa mort. Pour l’écriture de ce roman-mémoires, Diderot s’inspire non seulement de ce fait divers, mais il intègre aussi des éléments de la vie de sa propre sœur, morte folle dans un couvent. À partir de ce faux échange de lettres, Diderot écrit les mémoires de son personnage, Suzanne Simonin. Dans la veine sentimentale de l’époque, il relate, à la première personne, la triste vie de la jeune femme, fille illégitime qui entre au couvent à la fois poussé par les siens et de son propre gré, mais se sent vite prise au piège. Méchanceté, perversion, folie, c’est ce que Suzanne découvre dans les trois couvents où elle vit jusqu’à son évasion finale. Diderot dénonce surtout l’hypocrisie qui règne dans le milieu clos des couvents. Pourtant certains personnages religieux ne sont pas négatifs et la foi elle-même n’est jamais attaquée quand elle se fonde sur la sincérité, comme chez Suzanne, trouve toujours la force de supporter l’insupportable. En revanche, Diderot dénonce du point de vue social les familles et l’Église, qui emprisonne dans les couvents des personnes contre leur volonté pour des motifs d’héritage ou de naissance illégitime. Jacques le Fataliste et son maître (1796) Ce roman est un dialogue philosophique entre Jacques, qui est un serveur ou un valet et son maître, qui à la différence de Jacques, croit à la liberté individuelle. En effet, comme son nom le souline, Jacques est « fataliste » : bien que Diderot ne soit pas fataliste, son personnage (Jacques) est convaincu que le fatalisme est à l’origine de toute action. Jacques pense donc que le monde est dominé par le fatalisme et il affirme que tous les événements sont déterminés par le principe de causalité, donc l'individu n’a pas de responsabilités ou bien des choix à faire. Les hommes n’agissent pas à travers leur propre volonté mais, inconsciemment, leurs actions sont déjà déterminées. Jacques et son maître partagent vers une destination inconnue, au cours duquel Jacques promet à son maître de lui raconter le récit de ses amours, mais son raconte sera constamment interrompu par des histoires ou par discussions philosophiques. Diderot renonce ici à tous les éléments qui caractérisent le genre romanesque : les personnages ne sont pas décrits, ni situés dans un espace géographique précis. Jacques le Fataliste est un œuvre qui sort de l’ordinaire et qui met en évidence cet amour pour la recherche typique des encyclopédistes. Ce roman déroutant n’a pas de véritable intrigue, mais plutôt un fil conducteur qui inclut des récits secondaires (par exemple, le récit des amours de Jacques). C’est pourquoi l’œuvre donne l’impression d’un labyrinthe. Le roman propose aussi, à mesure qu’il se déroule, une réflexion sur la création romanesque et sur le pouvoir de l’auteur et, plus en général, sur la liberté de l’artiste (l’auteur peut bien décider de faire attendre le lecteur ou de faire de ses personnages ce qu’il veut). De plus Diderot brise aussi la convention de l’illusion romanesque qui consiste à faire croire au lecteur que ce qu’il lit est vrai. EMANUELA URSI 145 • À partir de 12 ans : l’éducation « positive » qui correspond à l’âge de la raison. Le maître guide davantage la réflexion intellectuelle toujours fondée sur l’observation du monde. Il forme son jugement moral et religieux (croyance en un Dieu qui est la suprême intelligence). Ainsi Émile pourra développer les passions naturelles (amitié, pitié, etc.) et rejeter les passions mauvaises (ambition, haine, jalousie, orgueil). Émile fait aussi son éducation sentimentale : il épouse la femme idéale, Sophie, pour fonder avec elle une famille et éduquer son propre fils. Rousseau est l’un des premiers à ne pas considérer l’enfant comme un adulte en miniature. L’enfant a sa propre individualité et il est innocent par nature. Rousseau radicalise l’idée d’une éducation fondée sur l’expérience et sur le contact avec la nature. Et le rôle du pédagogue est d’éveiller et de susciter la curiosité de l’élève. Il s’agit donc d’un enseignement actif. Rousseau est l’écrivain qui mieux incarne la double tendance qui caractérise le siècle des Lumières : le partage entre l’esprit et le sentiment. Le lyrisme personnel fait son retour : le « moi » est à l’honneur, tantôt exalté, tantôt mélancolique. L’écrivain solitaire célèbre à nouveau la nature et sa grandeur Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) Le roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse est d’abord une histoire d’amour dont le titre est un hommage aux deux amants médiévaux malheureux, Abélard et son élève Héloïse. Il se présente sous la forme d’un échange de lettres où transparait le lyrisme ardent de la passion malheureuse. Dans le roman, Rousseau aborde des sujets moraux, sociaux et politiques, comme la famille, l’éducation et les conventions sociaux. Il analyse aussi le conflit entre la ville et la campagne, et invite le lecteur à s’identifier avec la matière sentimentale du roman. En particulier, selon l’auteur ce roman s’adresse à un public bien précis : les familles de campagne qui peuvent trouver dans le roman du réconfort, en s’amusant. Le parcours des personnages met en scène les bénéfices d’une vie proche des principes de la nature. On ne prône pas un retour à l’état sauvage mais plutôt une vie gouvernée par la Raison et la Morale. Les Confessions (1765 -1770) Les Confessions retracent en douze livres la vie de Jean-Jacques, de sa naissance à l’exil en Angleterre. Pour définir l’homme qu’il est devenu, Rousseau remonte à son enfance, car il est convaincu qu’une autre enfance lui aurait donné une autre vie. Écrire pour Rousseau prend une valeur de purification. En outre, il fait de lui-même l’illustration de sa pensée philosophique en montrant comment lui, un être pur par nature, a subi la corruption des hommes et de la société. Son goût de la solitude n’est qu’une tentative de retrouver le paradis perdu. Rousseau emprunte le titre des Confessions à Saint Augustin. De la même façon, Jean-Jacques écrit pour se montrer à nu, mais bien vite l’écriture devient un moyen de se justifier : Rousseau se sent la victime d’une fatalité cruelle et de la société. Les Rêveries d’un Promeneur Solitaire Il s’agit d’une œuvre phare du Romantisme, à côté des Souffrances du Jeune Werther de Goethe. Le romantisme de Rousseau, à première vue bien loin de sa philosophie politique, révèle cependant une « anthropologie romantique » dans la mesure où le penseur genévois y défend l’idée d’une identité du moi et de la nature, une subjectivité dont la raison peut se transcender par l’imagination. Et au fond, il semble que ce qui est habituellement jugé comme EMANUELA URSI 146 un essai purement biographique pose en fait les fondements de la philosophie politique de Rousseau. Les Rêveries sont aussi une quête de soi, dont les déambulations dans la nature serviraient de révélateur, la nature étant présenté comme vraie refuge de la réalité, contre les vicissitudes du monde civil, vain et mauvais, contre le « torrent de ce monde ». A partir de ce lieu isolé, solitaire, Rousseau, dans ses Rêveries, dévoile l’éclat, la douce liberté de la nature, qui n’est pas sans rappeler les descriptions de l’état de nature faites dans le Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes. Les principaux thèmes des Rêveries sont donc : - La résonance de l’homme avec la nature, qui lui permet de reconquérir son authenticité ; - L’exacerbation du moi, signe d’une philosophie de la subjectivité, au sens de l’amour de soi - Le rejet réactionnaire du monde moderne, jugé corrompu. L’œuvre se compose de dix sections inégales, appelés « promenades », qui sont des réflexions de l’auteur où il présente une vision philosophique du bonheur, proche de la contemplation, à travers un isolement relatif et une vie paisible, à travers une relation fusionnelle avec la nature. Marivaux (1688-1763) Pierre Carlet Marivaux est un auteur qui « a écrit beaucoup ». Il s’est rapproché de plusieurs genres, comme : le roman parodique, le poème burlesque, la chronique journalistique, mais surtout le théâtre. En matière théâtrale, Marivaux se consacré aux « comédies d’amour » où il explore les nuances du sentiment amoureux et aux « comédies philosophiques » (L’île des esclaves, L’ île de la raison et La colonie) où l’analyse psychologique se mêle à l’analyse social dans un cadre généralement utopique. Marivaux place au cœur de son œuvre l’essence même du théâtre : le déguisement et le jeu. Ses comédies reposent surtout sur la fiction théâtrale. Marivaux évite les dogmes et les lieux commun de la tradition classique pour mieux représenter ce qu’il appelle les « différences du cœur ». Il a beaucoup contribué à moderniser la tradition théâtrale française en préférant la spontanéité à la soumission aux règles. Le style du théâtre de Marivaux est tel que Diderot a créé le néologisme de « marivaudage » qui indique un style ou langage recherché pour exprimer des sentiments amoureux ». Au XIXe siècle, ce terme était un synonyme péjoratif de préciosité. Aujourd’hui, ce mot désigne le raffinement et la sensibilité à mener le dialogue. Le marivaudage caractérise l’amour et la délicatesse, qui se révèle à travers le jeu précieux du langage et du sentiment. L’originalité de Marivaux est d’analyser la naissance de l’amour. Les personnages prennent peu à peu conscience du sentiment nouveau qui les habite, bien que mille obstacles (la raison ou l’amour-propre) les empêchent de s’avouer à eux-mêmes et d’avouer à l’autre leur tendresse. Marivaux est habile à mettre à nu, avec beaucoup de délicatesse, les secrets de la psychologie amoureuse. EMANUELA URSI 147 Le jeu de l’amour et du hasard (1730) Chef-d’œuvre de Marivaux, cette comédie en trois actes illustre le style gai et brillant de l’auteur. Le père de Silvia veut qu’elle épouse Dorante, le fils d’un vieil ami. Pour savoir si le prétendant lui plaît, Silvia a l’idée de prendre la place de sa suivante Lisette et Lisette jouera le rôle de sa maîtresse. Mais Dorante a eu la même idée : il se présente sous les habits de Bourguignon, son valet. Or le faux Bourguignon trouve la fausse Lisette fort séduisante et vice versa. Mais chacun, croyant aimer quelqu’un qui n’est pas de sa condition, résiste dans son amour-propre. À la fin, tout rentrera dans l’ordre avec le mariage de la vraie Silvia et du vrai Dorante, et des deux vrais valets. La vie de Marianne (1731-1742) En ce qui concerne ce roman, on n’a pas de traces ou de manuscrit. Le roman se compose d’onze parties (ou livres) publié entre 1731 et 1742. Il faut souligner que chaque livre du roman est un livre indépendant. En effet, chaque partie est une unité, presque une surprise pour le lecteur qui se ne sait pas ce qui se va passer. C’est pour ça qu’on peut considérer chaque partie comme une sorte de mini-roman, où chaque livre dépasse l’autre. Dans le titre, il faut remarquer une certaine familiarité qui passe à travers le prénom « Marianne ». Dans le sous- titre on trouve son titre nobiliaire « madame la Comtesse de *** ». Donc, Marianne fait partie de l’aristocratie, mais son identité (l’appartenance à une famille) reste anonyme : ***. Il s’agit d’un roman psychologique, à cause de la présence des réflexions intimes sur la vie du personnage, dont l’un des thèmes principaux est la réussite sociale. Beaumarchais (1732-1799) Beaumarchais est un personnage controversé et aux mille facettes. Il écrivait d’abord des parades (des scènes burlesques données devant la porte d’un théâtre pour engager le public à entrer). Dans la querelle qui oppose les partisans de la comédie et de la tragédie classiques aux défenseurs du drame, Beaumarchais opte pour la fusion des genres car son but est de rénover la comédie en mêlant Molière à la philosophie de Diderot. Ses pièces traitent des intrigues et des sujets conventionnels, où l’auteur insère ses nouveaux personnages, comme Figaro par exemple. Figaro est un personnage du peuple vif, sentimental, enthousiaste, insolent, un héros populaire et sympathique, voire pathétique et dramatique, qui est témoin et catalyseur de l’histoire. De plus, Figaro est un révolté. Il insurge contre l’ordre social et dénonce les privilèges des aristocrates et devient l’emblème de la bourgeoisie qui cherchait à s’affirmer dans un monde encore dominé par les riches : en ce sens, il devient une sorte d’annonciateur des thèmes de la Révolution. Beaumarchais rénove le personnage du domestique malin et intelligent : Figaro est plus complexe que les valets de Molière et ne ressemble pas au personnage stéréotypé de la farce. Sa personnalité bien affirmée en fait le moteur de l’action. C’est lui qui donne le rythme à l’imbroglio, c’est lui qui met en scène la comédie, dans Le Barbier de Séville, comme dans Le Mariage de Figaro. EMANUELA URSI 150 Les représentants du Sturm und Drang célèbrent la force du sentiment et le génie artistique, comme préalables nécessaires à la création. La création se fait irrationnelle, inspirée ; et non plus maitrisée par la raison, comme au 18e siècle. Ce romantisme-ci va se répandre en France par le biais de traductions et par l’intermédiaire d’une figure majeure du romantisme français : Madame de Staël. Dans ses ouvrages majeurs, elle analyse avec clarté le nouvel « état d’âme romantique » et trace la voie d’une poésie remodelée : celle du mal du siècle. A la fin du 17e siècle, l’adjectif romantique est synonyme de romanesque ; le mot dérive de l’adjectif substantivé « roman » et s’applique à tout ce qui évoque le sentimentalisme et l’imagination, typique des romans, avec une nuance péjorative. Grace à l’influence de la langue et de la culture anglaises, le sens de ce terme s’élargit et perd toute connotation dépréciative : l’anglais romantic désigne les paysages sauvages et suggestifs, des lieux où la nature manifeste sa puissance. On l’adopte en France pour indiquer les paysages, mais aussi les sentiments que ceux-ci inspirent. Le Romantisme fleurit, en France, dans un contexte socio-politique pour le moins instable. De 1800 à 1900 non moins de sept régimes politiques se succèderont. Les bouleversements politiques, économiques, et sociaux qui précèdent et accompagnent le mouvement romantique décochent un coup mortel à la conception de l’homme classique. La maturation de ce mouvement est lente, et le romantisme ne triomphera véritablement que sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Davantage qu’un mouvement, le romantisme est une révolution culturelle, résultante de la Révolution politique qui avait ouvert le siècle. En l’espace d’environ 25 ans, la France a mis à bas un système de fonctionnement séculaire et les effets de ce renversement impactent toute l’Europe : la Révolution Française a paru réaliser instantanément et miraculeusement l’idéal romantique de nation libre, consciente d’elle- même et maitresse de son destin. Parmi les ouvrages fondateurs du romantisme français, on relève le Génie du christianisme (1802), De la littérature (1800) et De l’Allemagne (1813) de Madame de Staël. Il convient de souligner la profonde différence entre le romantisme français et celui des autres pays européens. Dans ces derniers, le romantisme est d’abord un retour aux fonds folkloriques. En France, il est une réaction contre la littérature nationale, qui est classique depuis la Renaissance. Sont désignés comme « romantiques » ceux qui s’affranchissent de cette tradition gréco-latine pluriséculaire. Les auteurs français nés entre la fin du 18e siècle et le début du 19e siècle sont conscients, quelles que soient leurs tendances politiques ou littéraires, qu’ils appartiennent à une époque nouvelle. Parmi les innombrables définitions que l’on a données du phénomène romantique, il faut rappeler celles qui le lient à l’idée de liberté et à la transformation des consciences. Les personnalités romantiques s’accordent aussi sur la supériorité des droits du cœur sur ceux de la raison, et préconisent l’exaltation du moi, l’expression subjective des passions. Les romantiques s’opposent à la tradition gréco-latine et refusent la séparation rigide des genres. Ils font foncièrement pessimistes, inquiets, angoissés ; en conflit avec le monde et avec l’absolu, ils cherchent un refuge dans la nature. Si la pensée romantique repose sur l’individualisme et l’originalité, il devient difficile d’en donner une définition synthétique et univoque. EMANUELA URSI 151 Les grands thèmes du Romantisme : ❖ La nature joue un rôle important et a de multiples fonctions : c’est le reflet de la sensibilité, le refuge contre les maux de la société, une invitation à la médiation et la preuve irréfutable de l’existence de Dieu. La nature romantique est l’interlocutrice idéale du héros solitaire et rebelle, rongé par le mal du siècle. On est loin de la campagne de Rousseau : il s’agit plutôt d’un paysage sauvage et désert. La somptuosité d’un décor naturel conduit fréquemment le poète romantique à s’adresser à Dieu, car la création est l’expression concrète de la divinité et représente, par conséquent, le Créateur en personne. ❖ Les hommes romantiques se plaisent dans les décors de cimetières, ou de ruines, telles celles de châteaux médiévaux que viennent hanter les fantômes. Elles leur rappellent que l'homme n'est que de passage sur terre, et renforcent leur mélancolie. Le moyen- âge est, d'ailleurs, une époque qu'ils affectionnent : elle leur semble être encore le temps des grandes passions, celles des guerriers vaillants et des amours sublimées. Les écrivains retrouvent ainsi le goût de l'épopée. Une place importante est accordée à l'Histoire, le passé étant souvent idéalisé pour montrer la médiocrité du présent. Parallèlement, on assiste, après les temps révolutionnaires, à un renouveau de la foi. La foi paraît aussi pouvoir remplir le "vide" spirituel créé par le matérialisme triomphant ❖ Si l’honnête homme classique prônait l’effacement du moi, le moi romantique devient le principe fondamental de la pensée moderne. Le monde cesse d’être objectif et il est analysé uniquement à travers le filtre de la subjectivité. Le moi constitue à la fois la source de l’inspiration et le principal sujet de la création artistique. Il se manifeste aussi bien dans l’art que dans la vie → individualisme ❖ Le concept de "mal du siècle" est devenu l'une des thèmes récurrents de l'art romantique. Analysé par Alfred de Musset dans sa Confession d'un enfant du siècle, il retranscrit le mal-être des jeunes adultes élevés dans le matérialisme bourgeois des Lumières. Chateaubriand décrit avec précision le mal de l’homme moderne, sans illusions et pourtant débordant d’énergie : le mal du siècle romantique est un mélange d’incapacité d’agir, d’ennui et de désespoir qui caractérise les inquiétudes d’une génération entière et qui atteindra sa plus haute expression littéraire avec le Spleen de Baudelaire. René de Chateaubriand (1768-1848) Chateaubriand est conscient des changements politiques et culturels qui se sont produits durant sa longue existence, il est le premier auteur du 19e siècle à s’écarter de l’héritage des philosophes et à poursuivre sur la voie de l’introspection et du lyrisme. C’est pourquoi on le considère comme le premier représentant français du mouvement romantique. Si Chateaubriand est l’auteur qui a le mieux représenté le malaise de toute une génération, c’est à son écriture, lyrique et grandiose, qu’il faut attribuer cette lucidité. Son style, complexe et musical, se fonde sur des phrases amples, un rythme harmonieux et des images somptueuses ; à cet égard, la critique parle souvent de « prose poétique ». EMANUELA URSI 152 Atala (1801) Ce roman se passe en Louisiane, en Amérique. Atala raconte l’amour pur, sincère et naturel qui unit deux Indiens, Atala, la chrétienne et Chactas, indien de la tribu des Natchez. Malheureusement, Atala qui avait fait le vœu de se consacrer à la vierge, craignant que son amour pour Chactas ne la fasse manquer à son serment, s’empoissonne et demande à Chactas de se convertir. Selon l’auteur, ce roman est destiné à illustrer « l’harmonie de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain ». Le récit, une histoire d’un amour impossible est caractérisé par un style hautement lyrique. Le Génie du Christianisme (1802) Représentant d’une génération assoiffée de sentiments religieux que la Révolution a bafoués, Chateaubriand entreprend de réhabiliter le christianisme. Il s’agit d’une apologie de la religion contre la condamnation des siècles des Lumières. Ouvrage lourdement didactique, le succès de cette apologie fait de l’auteur un véritable guide spirituel. La religion devient une manière pour évoquer des images merveilleuses : c’est pour cette raison que les auteurs du Romantisme décide de récupérer la foi. René (1802) Paru en 1802 dans le Chapitre du Génie consacré au « vague des passions », René devait servir encore à donner l’exemple de la puissance de la religion. Le récit est en grande partie autobiographique : René, frappé par un mal inexplicable de l’âme et par l’amour incestueux qu’il éprouve pour sa sœur, cherche en voyageant un remède à ses souffrances et une source de sérénité, sans jamais y parvenir. Le mal de René est le mal du siècle, un sentiment de lassitude et impuissance à vivre qui nait d’une fracture historique. Mémoires d’outre-tombe (1848-1850) Epopée d’une âme et d’un siècle : Chateaubriand raconte sa vie et l’histoire française à son époque. Il veut transformer sa vie en légende et la transmettre à la postérité. Il évoque sa carrière politique, militaire, sa jeunesse, etc. C’est aussi un témoignage des grands bouleversements qui marquent l’histoire de France depuis la Révolution. Son jugement personnel sur les événements et les personnages se superpose à la description objective et à un autoportrait fidèle. Alphonse de Lamartine (1790-1869) Après avoir été un dramaturge médiocre, il publie un recueil de poésies élégiaques. Il sera porté à la tête du gouvernement provisoire de la République, mais il va mourir plein de dettes. Poète, historien et homme politique, Lamartine doit une partie de sa renommée à son premier recueil de vers, les Méditations poétiques, qui en feront le chef de file de la poésie romantique. Après un siècle tout en prose, la poésie renait grâce à son activité poétique : les contradictions romantiques trouvent dans les vers de Lamartine un interprète très important. Dans l’œuvre de Lamartine, le poète se charge d’une mission sociale : on souligne la fonction « civilisatrice » de la poésie, qui doit guider le peuple. Ses vers sont caractérisés par une musicalité agréable et délicate au point d’en devenir banale. Il n’innove pas sur le plan technique et des vestiges néoclassiques demeurent dans son style : la langue soutenue, l’usage fréquent des périphrases et la composition rigoureuse. EMANUELA URSI 155 Clélia est la jeune femme amoureuse caractéristique de toute histoire romanesque. Elle trahit sa famille pour son amant, mais sa moralité irréprochable l’empêche de profiter du bonheur. Le comte Mosca, politique manipulateur, est le personnage le plus lucide du roman. Il épouse finalement la duchesse Sanseverina, et demeure l’un des seuls personnages principaux en vie à la fin du récit. L’inspiration de Stendhal est à chercher dans les chroniques italiennes de la Renaissance et les récits militaires contemporains. Il ne cherche pourtant pas le réalisme à tout prix, et use souvent de subjectivité pour donner du sel au récit. C’est le cas dans la scène de la bataille de Waterloo, où les remarques ironiques de l’auteur retranscrivent la naïveté du héros. Cette ironie, qui imprime tout le texte, transparaît dès l’« Avertissement » par lequel s’ouvre le livre. Stendhal opte pour la satire lorsqu’il s’agit de décrire la vie de cour et le fonctionnement de l’Etat. Les remarques acerbes qu’il destine à cette cour imaginaire de Parme sont bien évidemment transposables aux gouvernements existants à son époque. L’ironie est enfin contrebalancée par le déploiement d’un véritable idéal esthétique, au moyen d’un style poétique recherché. Derrière le roman d’aventure se cache un récit sur les amours heureux ou contrariés, dans lequel le style lyrique de Stendhal fait merveille. Victor Hugo (1802-1885) Victor Hugo est devenu l’auteur le plus célébré d’un siècle qu’il traverse de part en parte. Hugo est un monument de la littérature française, il a touché de nombreux genres littéraires et est devenu le chef de file incontesté du mouvement romantique dont il représente la deuxième génération. Son activité est frénétique :il écrit pour le théâtre et ses vers sont indifféremment épiques, dramatiques, satiriques ou lyriques. Les premiers recueils sont de véritables bancs d’essai qui se prêtent à toutes sortes d’effets brillants, et sont marqués par la maitrise technique et le gout, dominant à l’époque, du détail pittoresque, curieux, qui fait couleur locale. Plus tard le ton va devenir lyrique (Les Rayons et les Ombres), satirique (Les Châtiments), élégiaque (Les Contemplations), épique (La Légende des siècle) ou débonnaire (L’art d’être grand-père). Il fait paraitre Notre-Dame de Paris, un roman qui se situe au Moyen Age, ainsi que deux ouvrages polémiques. Il ne peut tolérer le coup d’Etat de 1851 et méprise ouvertement un empereur qu’il surnomme « Napoléon le Petit ». Il se réfugie hors de France, mais son exil n’entraine aucune pause dans l’activité de l’écrivain : il compose trois grands recueils de poèmes (Les Châtiments, Les Contemplations, La Légende des siècle). Son roman Les Misérables devient l’ouvrage le plus populaire du siècle dans toute l’Europe. Les poèmes : Les Orientales (1829) Parues en 1829, ces 41 compositions des Orientales constituent le premier véritable succès de Hugo. L’Orient est très à la mode à l’époque et, bien qu’il n’y soit jamais allé, le poète s’efforce d’en recréer l’atmosphère exotique. Dans la préface, Hugo défend aussi la liberté de l’inspiration. Les Rayons et les ombres (1840) Ce recueil de poèmes est le dernier avant l’exil. Hugo propose une nouvelle conception du poète : chargé d’une mission sociale et politique, le poète ne peut plus se contenter de jongler EMANUELA URSI 156 avec les syllabes mais il faut qu’il affronte l’histoire de l’humanité. L’antinomie du titre évoque la variété et la complexité de la vie, où coexistent la lumière (l’amour, la nature joyeuse, la beauté, les souvenirs heureux) et l’obscurité (la mort, l’oubli, la tristesse…). C’est dans ce recueil qu’apparait le poète visionnaire, dont les songes anticipent l'avenir, le voyant qui place sa lucidité au service de la communauté. Les Châtiments (1853) Virulent attaque satirique contre Napoléon III, appelé ‘Napoléon le petit’ pour sa taille physique et morale. Il est opposé à Napoléon le Grand. L’œuvre nait d’un désir de vengeance contre le coup d’Etat de Louis Napoléon. Les Contemplations (1856) Hugo, après la mort de sa fille Léopoldine, cherche le sens de la vie. Il s’agit d’onze mille vers sur la condition humaine. (Pouvoir de la poésie -> immortaliser ce que la mort fait disparaitre) La Légende des siècles (1859) Gigantesque épopée de l’humanité. Analyse du chemin des êtres humains pour sortir des ténèbres. Le théâtre : Cromwell (1827) Il s’agit du premier drame de Hugo, qui est inspiré de l’histoire anglaise du 17e siècle. Bien qu’injouable, ce drame passe à la postérité pour sa préface : c’est une réflexion qui expose la conception romantique de l’art dramatique, mais offre aussi une vision nouvelle de la littérature. La préface de Cromwell est donc un véritable manifeste en faveur du drame romantique. Hugo distingue tout d’abord trois grandes époques dans l’histoire de l’humanité auxquelles correspondent des expressions littéraires spécifiques : les temps primitifs (l’âge du lyrisme), les temps antiques (le temps de l’épopée gréco-latine) et les temps modernes (l’âge du drame). Victor Hugo développe ensuite les caractéristiques du drame, comme par exemple : ▪ le refus de la règle des trois unités : les unités de temps et de lieu sont contraires à la vraisemblance. Seule l’unité d’action doit être maintenue. Dans Cromwell, les cinq actes se déroulent dans cinq décors : ▪ le mélange des genres (Cromwell en est un excellent exemple) : mêler le grotesque au sublime pour peindre le réel. Hugo alterne dans Cromwell scènes historiques, comiques, mélodramatiques et tragiques. Hernani (1830) Ce drame est l’aboutissement des transformations subies par la tragédie classique et provoquées par la nouvelle sensibilité qui s’est répandue en Europe. Le 25 février 1830, la première représentation du drame, prend le nom de « bataille de Hernani » à cause du violent affrontement qu’elle suscite entre les partisans et les opposants d’un nouvel art dramatique. L’action est certes unitaire et partagée classiquement en cinq actes, mais Hugo met en pratique les théories qu’il a présentées dans la préface de Cromwell : les événements se déroulent dans différents lieux et s’étalent sur plusieurs mois ; la bienséance est bafouée et le héros tragique a EMANUELA URSI 157 beaucoup changé. Hernani, par exemple, est tourmenté par des contradictions insolubles : il hésite entre la quête du bonheur et le désir de vengeance, il déborde d’énergie mais il est aussi fasciné par la mort. Le succès théâtral de Hugo s’interrompt brusquement en 1843 avec Les Burgraves, un long drame en vers qui a pour cadre un Moyen Age sombre et inquiétant. Indigné, Hugo abandonne définitivement la scène, et l’échec des Burgraves marque la fin de la courte saison du théâtre romantique, dont Hugo a sans aucun doute été l’un des principaux représentants. Les romans : Notre-Dame de Paris (1831) L’histoire tragique se déroule autour de la Cathédrale (véritable protagoniste) : c’est autour d’elle que s’organise toute l’histoire de ce roman mélodramatique. Personnages : Quasimodo (monstre au grand cœur), Esméralda (jeune dont tout le monde est amoureux), Frollo (prêtre), Phoebus (capitaine). C’est une fresque qui a pour but de peindre les mœurs, les arts et la civilisation au XVe siècle. Quasimodo est un personnage très typé qui a beaucoup frappé les lecteurs : il unit l’émotion poignante et la caricature et représente à la perfection l’univers de Victor Hugo. Monstre difforme, il sait aussi être généreux et capable d’aimer. Il incarne la poétique du sublime et du grotesque, préconisée par l’auteur dans la préface de Cromwell. L’intrigue du roman est très mouvementée est il en résulte un tableau vivace de Paris. Les Misérables (1862) "Les Misérables", le chef-d'œuvre du célèbre écrivain Victor Hugo, est un roman historique et un récit épique qui illustre le mouvement romantique dans la littérature au 19e siècle. L'histoire a lieu entre la fin des années 1700 et le début des années 1800. La période après la Révolution Française de 1789 constitue l'arrière-plan du roman, avec la tension entre l'Etat et les républicains évidente partout. Jean Valjean est un criminel qui décide de changer sa vie à cause de la bonté d’un évêque. Il devient Monsieur Madeleine, mais sa nouvelle vie sera bouleversée quand on va condamner un innocent en le prenant pour lui. Il prend garde à Cosette, la fille d’une ouvrière (Fantine). Mais il est recherché par l’inspecteur Javert, qui ne croit pas à sa reconversion mais qui va se suicider puisqu’il n’a pas le courage d’arrêter son sauveur. Valjean sauve aussi Marius, qui sera le futur mari de Cosette, et les deux jeunes entoureront Jean sur son lit de mort. Roman sociale, protestation véhémente contre la misère, conséquence d’un ordre social et économique (thèmes : passage des ténèbres à la lumière, du mal au bien). Victor Hugo exprime son point de vue sur l'injustice sociale en France, sur l'endurance de l'amour et de la compassion et sur la nature de l'homme. C'est une histoire qui fait appel principalement au pathos, évoquant une émotion dans les lecteurs qui se font champions de la transformation de Jean Valjean. En même temps, ils deviennent indirectement les supporteurs de la transformation politique et sociale de la société française. EMANUELA URSI 160 Lorenzaccio (1834) Selon Théophile Gautier, Lorenzaccio, le drame le plus célèbre et le plus complexe de Musset, serait une « magistrale étude philosophique ». Lorenzaccio est le cousin de Alexandre de Médicis, qui règne en tyran sur Florence. Le personnage de Lorenzo est le symbole du héros romantique et un double de Musset. C’est un héros moderne qui comprend l’inutilité de son geste qui ne pourra rien changer. (->conflit entre la tyrannie et les aspirations du peuple). Lorenzo tue le tyran et s’enfuit à Venise, où il est assassiné. Lorenzo est une personnalité ambiguë : héroïque et débauché à la fois, il incarne jusqu’à ses ultimes conséquences le héros romantique et fait bien sur penser à l’auteur lui-même, déçu de l’amour et de la vie, incapable de renoncer au vice. Partagée en séquences discontinues qui se déroulent dans des lieux différents, l’intrigue rejette volontairement toute convention ; cette liberté de composition fait de Lorenzaccio une œuvre magistrale. En ignorant les unités de temps et de lieu et en mélangeant les personnage comiques, burlesques et tragiques, l’auteur ne fait qu’appliquer les théories de Victor Hugo dans la préface de Cromwell. Musset a su créer un monde de masques, dans ses drames comme dans ses comédies, où sourires et larmes sont à l’origine d’une atmosphère éthérée qui dissimule le tragique de l’existence derrière la gaieté et l’insouciance. Les Nuits (1835-1837) Quatre longs poèmes qui donnent la mesure du lyrisme de Musset. Leur thème central est le problème de l’inspiration et de la création poétique liées à l’état d’âme du poète qui privilégie toujours les « élans du cœur » et veut traduire l’intensité des émotions. Les Nuits forment un véritable itinéraire : la lacération après la rupture et l’impossibilité de l’exprimer puisque la lyre abandonne le poète ; les mots reviennent mais ils sont désormais marqués par la solitude ; la frénésie rageuse tente d’effacer la douleur avant la guérison, où le poète retrouve sa lyre et peut enfin se remettre à écrire. Les confession d’un enfant du siècle (1836 ) Il s’agit d’un roman autobiographique Le protagoniste Octave décrit les causes du mal du siècle en évoquant sa propre vie. Il est désœuvré et sans espoirs après l’éclat de la Révolution et de l’Empire. Aloysius Bertrand (1807-1841) Il meurt jeune et pauvre à 37 ans. Il laisse derrière lui un manuscrit que ses rares amis, stupéfaits de sa nouveauté, font éditer un an plus tard) Le Gaspard de la Nuit (1842-posthume) Recueil de courts textes autonomes, en prose, consacrés au monde médiéval et notamment au Paris nocturne de cette époque. L’œuvre consacre le divorce de la poésie et de la versification et il dote la prose de spécificités qu’on croyait jusque-là réservées au poème : l’importance de la forme, le primat des images et des effets musicaux... Pour ces raisons, on peut parler d’un nouveau genre : le poème en prose. EMANUELA URSI 161 Alexandre Dumas (1802-1870) Fils d’un général napoléonien, Dumas est l’écrivain le plus populaire de l’époque romantique avec ses quelque trois cents ouvrages, souvent rédigés par des collaborateurs payés à la ligne. Il devient richissime, mène une existence de prince et fait preuve d’une prodigalité peu commune envers ses amis ou quiconque sollicite son aide. Autodidacte, Dumas est connu surtout pour ses romans, publiés en feuilletons dans les années 1840, notamment pour le Comte de Monte-Cristo (1844-1846) et la trilogie de D’Artagnan : Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne. Mais l’œuvre de Dumas est immense : de 1823 à 1870 paraissent 20 comptes rendus de voyage, 60 pièces de théâtre, 120 romans et une quarantaine d’ouvrage divers, dont Mes Mémoires, une autobiographie en deux volumes. Quant à ses romans, il s’agit pour la plupart de romans historiques palpitants, qui mélangent les atmosphères de Shakespeare et de Walter Scott mais où l’histoire est déformée pour les besoins de l’auteur et devient aussi le cadre idéal où faire évoluer des personnages, réels ou inventés, et échafauder des intrigues qui se plient aux exigences des feuilletons. Le style de Dumas est souvent négligé à cause de la hâte avec laquelle il écrit pour gagner son pain. Il accumule les aventures sans trop se soucier de la vraisemblance. Pourtant, il possède un sens inné du théâtre ; il pratique, dans des drames comme dans ses romans, le mélange des genres (il marie le tragique au ridicule et le sérieux à l’humour) ; les dialoguent sont brillants, le rythme endiablé des intrigues cloue littéralement le lecteur à la page. Le Comte de Monte-Cristo (1844-1846) Ce long roman de 117 chapitres reçoit un accueil chaleureux, à en juger par le nombre de rééditions, adaptations au théâtre puis à l’écran dont il fait l’objet, Tous les grands thèmes romantiques y sont réunis : la critique de la société bourgeoise, le mythe de Napoléon, l’exotisme. Le cadre choisi, la Restauration, permet à Dumas de faire revivre les conflits typiques d’une époque de transition entre l’utopie révolutionnaire et le retour de la monarchie. L’auteur jette un regard noir sur une période de l’histoire récente que les romantiques ont toujours détestée ; la distinction entre bons et méchants est très nette : les ennemis du héros ont tous fait fortune sous la Restauration alors que les personnages positifs sont bonapartistes. Ce roman raconte l’histoire de Edmond Dantès, un capitaine de navire qui sera dénoncé comme agent bonapartiste. Il sera incarcéré pour sept ans : au bout de cet isolement complet, il fait la connaissance d’un abbé qui, jusqu’avant de mourir, lui révèle l’existence d’un trésor caché sur l’ile de Monte-Cristo. Se substituant au cadavre de l’abbé, Dantès parvient à s’évader et à s’emparer de l’immense fortune. Devenu comte de Monte-Cristo, il s’introduit dans la haute société et prépare sa vengeance. Ses ennemis, ceux qui l’ont dénoncé, connaitront la ruine, le déshonneur et la mort. Théophile Gautier (1811-1872) Figure marquante de la vie littéraire du XIXème siècle, Théophile Gautier aborda autant la critique d'art que le conte fantastique ou le récit historique. Grâce à sa théorie de « l'art pour l'art », il est surtout connu pour être le maître du mouvement poétique du Parnasse. Ecrivain français, il s’illustra comme poète, auteur de contes fantastiques et critique d’art et fut l’auteur d’un célèbre roman de cape et d’épée, le Capitaine Fracasse. Gautier a connu la disgrâce d'être EMANUELA URSI 162 un poète proscrit sans être un poète maudit. Il n'en demeure pas moins un merveilleux professeur d'écriture. Gautier se distingue nettement des autres romantiques par son souci formaliste, qui annonce celui de Baudelaire et des Parnassiens. Dans l’ensemble de l’œuvre de Gautier, en effet, le sujet importe moins que les mots et le plaisir de raconter : davantage encore qu’un partisan de l’art pour l’art, il fut un esthète, privilégiant d’une manière provocatrice l’esthétique au détriment des autres fonctions de l’œuvre, en particulier de ses fonctions morales. Cet esthétisme est le principal point commun entre ses poèmes, Émaux et Camées (1852) et ses grands romans, comme le Roman de la momie (1858) ou le Capitaine Fracasse (1863), paru en feuilleton de 1861 à 1863. Émaux et Camées (1852) Émaux et Camées, qui se situe à la croisée du romantisme et de la poésie parnassienne, illustre idéalement les principes esthétiques de Gautier et son exigence de perfection. Chaque poème, composé en octosyllabes, est la représentation textuelle, parfaitement ciselée, d’un objet choisi pour sa beauté, qu’il soit réel ou mythologique, vivant ou minéral, naturel ou produit par l’Homme. Gérard de Nerval (1808-1855) Nerval fut un pionnier de la quête du monde par le recours au rêve. Homme tourmenté, passionné par l’ésotérisme et les sciences occultes, il finit sa vie rongée par des problèmes mentaux. Plusieurs liens vont unir Nerval aux symbolistes. Ils ont en commun ce gout du mystère, d’un monde qui n’obéit plus aux cadres rationnels et aux lois du réel. Il est en lien avec un au-delà, un autre monde auquel on ne peut accéder qu’au prix d’une descente sur soi, d’une plongée libre dans la folie, d’où une ambiguïté entre rêve et réalité. Il a passé sa jeunesse en pleine tourmente romantique. Il mène une vie de bohème avec son ami Gautier mais son écriture va prendre des accents très personnels, qui annoncent la poésie de la deuxième moitié du siècle. La vie et l’œuvre de Nerval sont mêlées. Son histoire personnelle se fond dans le mythe et le rêve à travers les réminiscences de la mémoire. L’œuvre de Nerval, en vers et en prose, a une qualité poétique et stylistique exceptionnelle, entre les évocations simples au charme subtil et les visions surréelles servies par une langue aux accents mystérieux, à la richesse lexicale infinie. L’érudition dans les domaines mythologiques ou religieux se fond avec les souvenirs personnels transfigurés : c’est le syncrétisme nervalien. Les Chimères (1854) C’est un recueil de poèmes où au-delà et réalité s’interpénètrent à tel point que la poésie a comme fonction de transformer la réalité, banale et triviale, en poésie. Par le songe, le lecteur doit pénétrer dans un monde invisible qu’il ne comprend pas et dont il doit soulever les énigmes : c’est le même défie auquel est confronté Nerval quand il se confronte au monde réel. Dans son poème célèbre, El Desdichado, Nerval tente de reconstruire son identité fragmentée par la folie à travers une langue poétique nouvelle, dans le cadre d’un romantisme noir. EMANUELA URSI 165 Le titre des Fleurs du mal pose d'emblée les marques d'une esthétique nouvelle, «moderne», où la beauté, le sublime (que désigne le terme de «fleur») peuvent, grâce au langage poétique, surgir des réalités triviales de la nature et de la chair (le «mal»). Avec cette matière en guise d'inspiration, alliée à un travail méticuleux sur le langage poétique (utilisation de formes traditionnelles comme le sonnet, et de vers classiques, comme l'alexandrin), Baudelaire révolutionnait l'univers esthétique en prenant non seulement le contrepied de la tradition selon laquelle l'œuvre d'art était d'autant plus admirable que le sujet en était noble, mais surtout en réalisant la synthèse entre deux choix esthétiques jusque-là inconciliables : le lyrisme romantique et le souci formel. Le Spleen de Paris ou Petits Poèmes en prose (1869) L’œuvre regroupe 50 poèmes publiés après la mort de Baudelaire en 1869. Dans ce recueil original par sa forme et son contenu, l’auteur libère la poésie de la forme versifiée et la fait résider dans le choc des mots entre eux, dans la musique qu’ils créent sans rime ni rythme imposées. Baudelaire peint Paris dans tous ses aspects négatifs, avec ses habitants, mendiants et exilés dans des ruelles sinistres, et qu’il considère comme ses frères. Dans la grande métropole se joue le drame de l’homme moderne qui veut la fuir, rêve d’ailleurs et en reste prisonnier. Le thème de la fenêtre et de la vitre est symbolique dans le recueil, et peut être aussi une métaphore de la création : la vitre est à la fois fermeture aux autres et ouvertures vers un monde autre que le poète recrée par l’imagination. Gustave Flaubert (1821-1880) Fils d’un chirurgien, médecin à Rouen, Flaubert grandit dans un univers où l’observation méticuleuse et objective et la règle. Il a consacré toute sa vie à l’Art : les raisons sont sans doute liées en partie à une crise d’épilepsie alors qu’il avait 22 ans. Son père renonce à pousser son fils à faire carrière et celui-ci décide de se retirer dans la propriété de Croisset sur les bords de la Seine où il vivra, après la mort de ce dernier, avec sa mère et sa sœur. Flaubert peut alors se consacrer entièrement à l’écriture. Flaubert va bien au-delà du Réalisme, car s’il représente dans ses romans le quotidien dans toute sa médiocrité et parfois sa bêtise, s’il dénie à ses personnages un statut de héros, il affirme par là même que ce qui compte dans le roman, c’est moins le contenu que la façon dont on le présente. C’est pourquoi il y a chez Flaubert ce désir de perfection du style qui seul donne sa légitimité au roman. Madame Bovary (1857) Madame Bovary est le premier grand roman réaliste. Flaubert s’est inspiré d’un fait véridique. Un médecin, élève de son père, avait épousé une jeune femme très romanesque. Celle-ci s’éprit d’un Dom Juan local, puis d’un clerc de notaire, et mourut à vingt-sept ans s’étant probablement suicidée. Non seulement Flaubert est fidèle à l’histoire, mais son réalisme va plus loin. La minutie des détails dans la peinture des lieux, des personnages et des milieux (paysannerie, petite bourgeoisie et aristocratie normandes) laisse une impression de vérité profonde, et peut-être aussi de malaise, car le regard de Flaubert est ironique, décapant et sans aucune complaisance pour la laideur, la mesquinerie, la faiblesse de Charles Bovary ou la bêtise de l’apothicaire. EMANUELA URSI 166 Dans ce roman, Emma Bovary croit trouver dans le mariage un remède à son ennui, qu’elle peuple depuis l’enfance de rêveries exaltantes et passionnées. Mais Charles Bovary, son mari, n’est qu’un médiocre. Déçue par deux liaisons, Emma sombre dans la dépression dont elle tente de sortir par une frénésie de dépenses. Les dettes s’accumulent, sans que diminue sa lassitude morale : elle s’empoisonne à l’arsenic, laissant son mari ruiné et désemparé. Ecriture sèche et neutre, Flaubert décrit l’héroïne sans pitié ni préjugés. La condition de Emma est à l’origine du mot bovarysme, c’est-à-dire un état de malaise psychologique qui correspond à un sentiment de profonde inadaptation sociale, compensé par l’évasion dans le rêve et dans l’imagination. Emma déteste la vie banale, étriquée et monotone qu’elle mène aux côtés d’un mari sans aucune envergure, dans une province où il ne se passe rien. Ses ambitions sociales sont déçues, d’où un sentiment de frustration qui va bien au-delà de l’ennui. Elle trouve refuge dans ses rêves «romanesques», fruits de ses lectures, et s’invente une autre réalité en «cristallisant» sur des hommes qui ne sont que médiocres. Éternelle insatisfaite, elle finira par se suicider. Salammbô (1862) Histoire d’une révolte de mercenaires contre Carthage. On y trouve la description de la Carthage antique grâce à un extraordinaire travail d’érudition et grâce à un voyage de Flaubert en Tunisie. L’éducation sentimentale (1869) L’Éducation Sentimentale est tout à la fois un roman personnel, le roman d’une génération et un roman historique. Le génie de Flaubert est sans doute d’avoir su rendre en même temps l’échec de l’individu et l’échec collectif. L’Éducation Sentimentale est le deuxième grand roman de Flaubert. Il a mis cinq ans à l’écrire, mais sa gestation est en fait plus longue encore, puisque l’expérience personnelle de sa rencontre avec Mme Schlesinger, qu’il transpose dans le roman, était déjà au cœur des écrits de jeunesse. Toutefois, le projet romanesque de Flaubert est beaucoup plus ambitieux que ne pouvait l’être par exemple la première version de l’œuvre tout se terminait selon les vœux du héros. Flaubert a mûri et l’amour de Frédéric ne peut que se diluer dans le néant, condamné à l’échec. Dans les dernières pages, Frédéric et Mme Arnoux se voient pour la dernière fois ; elle lui donne une mèche de ses cheveux blancs, et part. Et Flaubert conclut laconiquement : « Et ce fut tout». Ainsi se termine l’histoire d’un amour rêvé et jamais vécu. Flaubert ancre sa fiction dans la réalité historique. Le romancier nous fait pénétrer dans les milieux des jeunes opposants au régime de la Monarchie de Juillet. Il peint une jeunesse emplie d’espoir, d’idéaux, dans une période historique agitée par deux révolutions (1830 et 1848), mais qui ne parvient pas à concrétiser ses rêves, et se dilue dans l’inaction. C’est l’échec du Romantisme, non seulement sur le plan personnel de l’amour, mais aussi sur celui de la morale collective. Frédéric est un jeune homme statique, inepte, superficiel. Il est un spectateur de sa vie, il n’est pas capable de gérer son patrimoine. Il est tombé amoureux d’une femme mais il n’ose pas se révéler. Même le titre est ironique puisque l’éducation suppose une évolution que le protagoniste ne vivra jamais. L’échec de l’individu correspond à celui collectif : c’est un roman personnel, d’une génération et un roman historique, il est le roman des désillusions d’une époque entière. EMANUELA URSI 167 Trois Contes (1877) Les trois sujets (moderne, médiéval et antique) proposent une réflexion sur la sainteté. Un cœur simple : Après son échec sentimental, la jeune servante Félicité reporte toute son affection sur sa patronne Mme Aubin et sa famille, sur son neveu et sur un perroquet. Progressivement, elle perd tous ceux qu’elle aime, et à la mort de son perroquet, elle le fait empailler et lui voue un culte presque idolâtre. Au moment de mourir, c’est à l’oiseau empaillé qu’elle dit au revoir. La Légende de Saint Julien l’Hospitalier : Julien, jeune seigneur qui éprouve un amour cruel pour la chasse, se voit prédire par un cerf qu’il assassinera ses parents. Pour échapper à son destin, il s’enfuit. Courageux et dévoué, il est estimé de tous et il épouse la fille de l’empereur d’Occitanie. Un jour, ses parents se présentent au château. Lorsque Julien rentre de la chasse, il se méprend sur leur compte et les tue. Alors, pour expier son crime, il se fait «passeur» (il fait passer les gens d’un bord à l’autre de la rivière avec sa barque). Un jour, il accueille avec bonté et abnégation un lépreux; ce sera le signe de sa rédemption. Hérodias : Le récit rapporte la légende de Saint Jean-Baptiste, Iaokanann de son nom juif. Le roi Hérode voudrait épargner le prédicateur, mais Hérodias, sa concubine, fait demander sa tête par sa fille Salomé qui avait dansé pour lui. Bouvard et Pécuchet (1881) Bouvard et Pécuchet est un roman inachevé de Gustave Flaubert (1821-1880) publié en 1881 à titre posthume. Il s’agit d’une vaste raillerie de Flaubert sur la vanité de ses contemporains. Bouvard et Pécuchet, deux promeneurs du dimanche près du bassin du port de l’Arsenal, se rencontrent par hasard sur un banc public. Ils découvrent qu’ils exercent le même métier de copiste, ont les mêmes centres d’intérêt, et désireraient tous deux vivre à la campagne. Un héritage opportun de Bouvard leur permet de changer de vie. Bouvard et Pécuchet achètent une ferme près de Caen et se lancent dans l’agriculture, leurs seules connaissances provenant d’ouvrages de vulgarisation et de quelques conseils pratiques glanés au hasard. Ils n’engendreront que des désastres, et il en sera de même lorsqu’ils s’essaieront à divers autres domaines auxquels ils ne comprennent en vérité pas grand-chose. Le comique vient de la frénésie de Bouvard et Pécuchet à tout savoir et tout expérimenter, et surtout de leur incapacité à comprendre correctement. Sur le moment, l’accueil de ce roman inachevé est plutôt réservé. Néanmoins, le temps passant, « Bouvard et Pécuchet » est reconnu comme un chef-d’œuvre de Flaubert, et comme le roman de la maturité. LE REALISME Le réalisme, en tant que mouvement littéraire, n’existe à proprement parler qu’à parti des années 1850, comme résultant de l’échec des révolutions romantico-socialistes de 1848. Pour autant, le cheminement de la littérature vers le « réel » s’accélère dès la première moitié du 19e siècle : conséquence, d’abord, de l’approche romantique de la littérature ; et miroir, ensuite, d’une nouvelle répartition sociale qui s’enracine sous la monarchie de Juillet. EMANUELA URSI 170 se complaire dans la vulgarité. Le mouvement n’en a pas moins laissé des traces profondes dans les mentalités. Le néo-réalisme cinématographique n’est pas trop éloigné du naturalisme Eugène Labiche (1815-1888) Labiche est le maitre du vaudeville (->une comédie sans intentions psychologiques ni morales, fondée sur un comique de situations). Mais son comique n’exclut pas toute profondeur : il est moraliste sans être moralisateur. Labiche maitrise parfaitement les techniques du comique, il use et abuse du comique de répétition. Ses personnages parlent par clichées ou formules dont ils sont les seuls à ne pas percevoir l’absurdité. Leurs gaffes deviennent presque légendaires. Le voyage de M. Perrichon (1860) L’histoire débute à Paris, gare de Lyon, dans les années 1860. M. Perrichon, sa femme et sa fille, prennent pour la première fois le train, pour aller en vacances à Chamonix. À la gare, ils sont abordés par deux jeunes hommes, Armand Desroches et Daniel Savary, charmés par la fille de M. Perrichon, qui les avait rencontrés à un bal, dans le huitième arrondissement de Paris. Une lutte loyale mais acharnée commence entre les deux jeunes hommes, chacun voulant faire route avec la famille Perrichon pour gagner sa confiance et son affection, et ainsi la main d'Henriette. Jules Verne (1828-1905) Jules Verne est considéré comme le père français de la Science-Fiction. C'est l'auteur des Voyages extraordinaires, recueil de 54 livres où l'impossible paraît possible à l'époque des grands progrès scientifiques. Jusqu’alors dramaturge à succès, Verne est poussé à écrire des romans à la fois modernes et riches en aventures. Voyage au centre de la terre (1864) Les thèmes du livre sont la science, la découverte et le voyage. Un savant allemand (Otto Lidenbrock) et son jeune neveu (Axel Lidenbrock) découvrent un manuscrit runique très ancien. Accompagnés de leur guide, ils se rendent au centre de la Terre en passant par le Sneffels, un volcan islandais dit éteint. Ce voyage initiatique les marquera à tout jamais. Les sciences abordées sont la cryptologie (la science du secret), la paléontologie et la géologie. Les deux dernières disciplines sont en plein essor au moment de la publication du roman. Les thématiques du voyage et des découvertes sont abordées par le biais de la forme du récit de voyage, du récit de leurs aventures par Axel, de descriptions d’êtres et d’éléments naturels que l’on n’imaginerait pas (des dinosaures, une forêt de champignons fossiles géants, une mer sous la surface de la Terre, des mastodontes, des chutes d’eau qui permettent de remonter à la surface de la Terre etc.). Le monde créé, bien qu’en partie appuyé par des notions scientifiques, est tout à fait fantastique. Le style enjoué, reflétant la jeunesse et la curiosité du narrateur, est un autre outil qui transporte les lecteurs. Ainsi, ce roman qui mêle science, fiction et imagination est un renouvellement du récit de voyage. Jules Verne lui a apporté un caractère scientifique avec ses nombreuses recherches, ses références à des innovations scientifiques et à des êtres du passé comme les dinosaures. En effet, il ne fait pas que divertir, il instruit et éduque l’esprit critique des lecteurs. EMANUELA URSI 171 Vingt Mille Lieues sous les mers (1870) Un monstre parcourt les océans et terroriser les marins. Un bateau part à sa poursuite. Il coule. Les rares suivants su naufrage se retrouvent à bord d’un mystérieux sous-marin, le Nautilus, commandé par l’inquiétant capitaine Nemo. Commence alors un nouveau voyage. Emile Gaboriau (1832-1873) Gaboriau est un écrivain français, considéré comme le père du roman policier. Son personnage, l'enquêteur Lecoq, a influencé Conan Doyle pour la création de Sherlock Holmes. Il exerça divers métiers : clerc d'avoué, hussard en Afrique, chef d'écurie. Il s'engagea dans la cavalerie pour sept ans mais résilia son contrat rapidement pour gagner Paris où il écrivit des chroniques pour gagner sa vie. Il devint le secrétaire de Paul Féval avec qui il découvrit le journalisme. Son premier roman, L'affaire Lerouge, connut un immense succès. On y voit l'apparition de Lecoq, agent de la sûreté qui deviendra un commissaire célèbre. Ce personnage inspira Conan Doyle, comme modèle du détective ingénieux qui résout des énigmes par ses capacités déductives hors normes. Mais, à la différence de Sherlock Holmes, les enquêtes de Lecoq reposent sur des investigations plus réalistes, plus proches des progrès de la police scientifique de l'époque. Les romans policiers de Gaboriau font pénétrer l'intrigue dans les milieux sociaux. Il décrit l'environnement d'une manière qui peut être qualifié de « naturaliste ». En cela, son influence sur le roman policier français reste très importante. Lautréamont (1846-1870) Son vrai nom est Isidore Ducasse : ses œuvres sont interdites en France parce que respirent trop le satanisme. Il est considéré le père spirituel du surréalisme pour la radicalité de sa révolte, pour sa conviction que la poésie est d’abord la vie. Les Chants de Maldoror (1869) Comme l’indique la première syllabe de son nom, Maldoror est un héros du Mal. Il fait souffrir les autres parce que lui-même souffre d’être né : la vie est une blessure à jamais ouverte. Il meurt paralysé, et sera libre et heureux. Libéré des contraintes logiques, de la morale et de la rhétorique, le langage se nourrit de trouvailles et d’inventions. Stéphane Mallarmé (1842-1898) Discret professeur d’anglais, Mallarmé s’impose comme chef de file des poètes symbolistes. On admire son exigence poétique élevée à la dignité d’un sacerdoce. Ses premiers poèmes sont d’inspiration baudelairienne : ils concernent la laideur du monde, la fuite vers un ailleurs, l’aspiration à l’Idéal. Mais cet Idéal demeurant inaccessible, Mallarmé conclut à son inexistence. Ne reste dès lors que le Néant. Il s’est éloigné des émotions. Il met l’accent sur la forme, le sens des mots peu conventionnels, et en ce faisant, il enseigne des leçons d’écriture qui impactent d’autres domaines, notamment à toute la poésie du 21e siècle. Dans l’Après-midi d’un Faune (1876), la poésie de Mallarmé devient hermétique, impénétrable au profane. EMANUELA URSI 172 Les constructions sont difficiles, le symbole devient compliqué et susceptible d’interprétations très diverses. C’est surtout la structure de la phrase qui est typique : elle est complètement disloquée parce qu’il écarte les verbes des sujets, accumule les appositions … En plus, il choisit des mots vieux ou rares parce qu’ils sont plus évocateurs. Les mots sont groupés selon leurs affinités musicales. Cette poésie risque de devenir tout à fait incompréhensible. Mallarmé s’est coupé du grand public et beaucoup de ses poèmes ne peuvent être lus sans avoir recours à des explications volumineuses. La langue de Mallarmé est étrangère, en raison notamment de sa syntaxe. Le poème réclame donc d’une lecture poétique, attentive à ses effets de structures et à la syntaxe. Le poème mallarméen échappe à l’assignation sociale de dire le réel, de représenter le monde qui est l’apanage et la servitude de la parole ordinaire. Le poète est descendu jusqu’aux fondements du langage et du sens mais n’est pas parvenu à trouver le Verbe divin. Cette aspiration de l’homme vers un Idéal inexistant est l’objet même de la poésie symboliste et, plus particulièrement, de la poésie mallarméenne, faite de plusieurs pauses. Pour Mallarmé, la poésie est une religion et le poète, son prêtre. Loin au-dessus des contingences de la vie ordinaire, tout comme Baudelaire qui cherchait l'Idéal dans l'élévation le portant au-delà des miasmes morbides, Mallarmé a voulu créer une langue sacrée, inaccessible au commun des mortels, et qui ne dirait que l'Essentiel. Les mots ont été salis par les usages quotidiens qui en ont été faits, et Mallarmé comptait leur redonner la pureté de leur origine. En défaisant la syntaxe de la phrase française (À la nue), en jouant sur des sonorités rares, étranges ou savamment balancées, en œuvrant sur les blancs typographiques, le poète, par l'hermétisme, a créé un art à portée mystique, religieuse. Dès lors, l'expérience poétique acquiert une exigence de plus en plus haute, de plus en plus ardue aussi. Pour le poète d'abord, qui doit se montrer digne de sa vocation : ainsi, chez Mallarmé, l'angoisse de la feuille blanche, c'est d'abord la crainte de la salir par une inspiration trop banale, incapable d'atteindre l'Azur. Poésie d'exigence pour le lecteur aussi, toujours sur le point de comprendre l'Idée, presque capable de remonter à la source où la pensée a jailli, mais qui, en définitive, perd pied encore et encore. L’après-midi d’une faune (1876) Poème en cent dix dodécasyllabes. Il s'agit du monologue d'un faune qui évoque les nymphes et la nature qui l'entoure, dans une succession d'images poétiques. Poésies (1899) Dans ce recueil, Mallarmé a voulu que chacun de ses poèmes soit précédé d’une feuille blanche, signe d’une digestion nécessaire, d’une assimilation préalable pour pouvoir apprécier chaque poème. Un coup de dés n’abolira jamais le hasard (1914) Il s’agit d’une œuvre graphique composée de 11 pages doubles, liée par une trame principale : un coup de dés n’abolira le hasard. Ce poème se présente comme l’un des aboutissements mallarméens d’une esthétique littéraire qui fait la part belle au procédé de l’épure au formalisme. Par ailleurs, des mots passablement décousus, sans ponctuation, se lisent de droite à gauche sur les deux pages. Ici les mots ne valent pas simplement par leurs significations mais aussi par leur disposition ou dimension. L’écriture explose et se développe sur la page. Le poème est entouré par le silence, qui est symbolisé par l’espace blanc. C’est comme si l’écriture veuille EMANUELA URSI 175 Il fallait, si on peut dire, ériger le changement en système ; et le vertige émanant de poèmes tels Après le déluge ou Vies en fait foi. Mais si le poète s'est révolté contre le monde tel qu'il est, si ses œuvres ont constamment évoqué l'aube, l'adieu, le départ, le mouvement, toutes choses impliquant une métamorphose ou un déplacement c'était pour en arriver à quoi ? Peut-être, et cela de manière apparemment paradoxale, s'est-il agi de toujours aller ailleurs pour, enfin, aboutir à l'état le plus statique qui soit : la contemplation. En ce sens, ces fusions où le poète se noie dans les paysages qu'il décrit expriment sans doute le plus haut degré de bonheur que Rimbaud ait jamais atteint. Rimbaud, en somme, se distingue par son écriture fiévreuse, où les images se déploient comme des hallucinations. Il disloque le vers traditionnel, affectionne les accumulations et dédaigne les contraintes. Une saison en enfer (1873) Présenté délibérément sous forme de fragments, ce texte qui tient de la poésie et de l'autobiographie, est nourri par les années passées avec Verlaine. Au-delà des faits biographiques, Une Saison en Enfer est, sur le plan poétique, un constat d'échec, puisque le poète y renonce, non pas à la poésie comme on a pu le dire, mais à son entreprise du «Voyant». Avec une tonalité furieuse et amère, l'ouvrage dit la nécessité de revenir au monde réel et d'accepter la matérialité de la condition humaine. Les Illuminations Publiées par Verlaine, ils furent probablement écrits entre 1873 et 1875, lors des voyages de Rimbaud en Belgique, en Angleterre et en Allemagne. Les Illuminations regroupent des poèmes en prose et en vers libres qui, en cristallisant expériences vécues et lectures, sensations et visions, constituent un tableau de l'univers intérieur du poète. Leur nouveauté provient de l'incohérence volontaire des images, des ruptures de constructions, de l'emploi systématique de figures de style peu usitées jusque-là, telle l'oxymore, enfin de la préférence marquée pour la juxtaposition au détriment de la subordination. De fait, les Illuminations, admirées plus tard par les surréalistes, constituent l'un des premiers textes où le signifiant prend le pas sur le signifié, c'est-à-dire où les caractéristiques matérielles des mots (volume, accent, sonorités) l'emportent sur leur sens dans l'élaboration et la création poétique. Avec ce recueil, Rimbaud inaugure en outre le vers libre, qui libère la forme versifiée des contraintes de la métrique syllabique et lui ouvre de nouvelles perspectives rythmiques. LE PARNASSE On peut dater la naissance du mouvement à 1866, quand l’éditeur Alphonse Lemerre réunit des poèmes qu’il décide de publier dans un recueil qui se nomme « Le Parnasse Contemporain ». Ces poèmes viennent d’une quarantaine de poètes différents qui se rassemblent sous l’étiquette de « parnassiens ». Le mot « parnasse » est associé au mont situé en Grèce où, selon la mythologie, s’assemblaient les Muses. Par extension, le mot sert à désigner le lieu de réunion des poètes, le lieu où ces poètes peuvent entrer en communion avec les Muses et profiter ainsi d’un élan créateur. Le mouvement finira par s’éteindre en 1876 : il n’a pas su perdurer car de nombreux poètes dissidents ont décidé d’explorer d’autres voies poétiques. EMANUELA URSI 176 La sensibilité parnassienne entre en opposition aux excès lyriques des romantique et à la littérature « putride » des naturalistes : ils se construisent contre l’idéologie romantique d’un « moi » omnipotent et omniscient. Lassés des variations du moi et de ses fluctuations, les parnassiens prennent le parti de l’intransitivité poétique, autrement dit du fait que la poésie ne doive exister qu’en elle-même sans se restreindre à une poésie plaintive ou militante. De la même façon, les parnassiens rejettent les prétentions romanesques des naturalistes qui se cristallisent essentiellement autour de description putrides, morbides, quotidiennes, dans un souci de réalisme exacerbé. Théophile Gautier, chef de file du Parnasse, formalise sa vision de l’art pour l’art en 1834 : les parnassiens ne recherchent que le beau, et ils rejettent l’engagement pris par les romantiques de l’allier à l’utile : ce serait, selon eux, impossible. Les Parnassiens sont les premiers à associer deux positions antagonistes : celle du Beau et celle d’une pratique raisonnée de la poésie. D’ici résulte une poésie ciselée, taillée, sculptée, dans laquelle l’accumulation d’éléments disparates, appartenant à des réalités différentes, n’est pas concentrée en désordre mais, au contraire, savamment retravaillée et agencée avec brio. Ainsi chaque poème, retranscrivant une forme de beauté, devient lui-aussi une métonymie de cette beauté. ❖ Ils veulent une métrique rigoureuse ❖ Ils souhaitent explorer d’autres champs lexicaux et sémantiques en refusant les mots usagers ❖ Ils recherchent un style brillant, saturé d’échos phoniques et de jeux rythmiques. Caractéristiques littéraires et thématiques du Parnasse Le rejet du lyrisme : le lyrisme de Musset ou de Lamartine apparait à la fois impudique et usé. Chez les Parnassiens, on remarque une sorte de froideur, qui n’est pas un défaut, mais au contraire un gage de beauté. En découlera une poésie certes un peu sèche, froide et parfois même élitiste. Une poésie impersonnelle : les parnassiens, loin des crises de mélancolie des romantiques, ont cultivé la distance et l’objectivité. La poésie parnassienne, donc, recherche avant tout l’impersonnalité, ce qui conditionne la thématique parnassienne, souvent tournée vers l’évocation des civilisations anciennes, les paysages pittoresques, la méditation philosophie ou scientifique. La poésie du Parnasse n’est donc ni lyrique, ni personnelle, ni passionnée. Un refus de tout engagement : c’est une conséquence de cette volonté d’impersonnalité : les parnassiens rejettent le combat, la lutte, la défense d’une quelconque idéologie. Il reste à distance des tensions politiques ou, des réformes sociales, puisque rien ne doit venir entacher la recherche du Beau et le culte de l’Idéal. Ils préfèrent alors concentrer leurs efforts ailleurs, sur une recherche mystique du beau, dégagée de toute prétention sociale ou morale. L’exotisme et le pittoresque : les parnassiens recherchent l’exotisme, le pittoresque, la description de terres, parfois inconnues, mais dont la beauté peut irradier le poème. Le culte du travail : les parnassiens ne croient pas au cliché du poète inspiré : le poète est au contraire un homme cultivé, studieux, un arpenteur des mots qui refuse la facilité et s’adonne, avant de créer, à une recherche documentaire. A ce propos, la comparaison du parnassien avec le sculpteur est un leitmotiv pour ce mouvement, car le travail du sculpteur ou du laboureur est similaire à celui du poète : il s’agit de transformer une matière difficile et EMANUELA URSI 177 informe, le langage, en Beau par et grâce à un travail qui nécessite de la technique certes, mais surtout de la patience, prudence, défiance. LE SYMBOLISME Le mot « Symbolisme » entre dans la littérature en 1878 seulement. Il désigne les tendances d’un petit groupe de poètes qui se reconnaissent comme maîtres : Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Lautréamont, Mallarmé, Laforgue. Mais il est né à partir d’un premier mouvement, plus confus encore, issu du Romantisme et en net contraste avec le Naturalisme, la Décadence. Ses origines La Décadence Croyant vivre dans une époque de décadence semblable à celle qui a porté à la ruine de l’Empire romain, nourris de la philosophie pessimiste de Schopenhauer, certains artistes refusent avec violence la science, l’industrialisation, mais aussi le conformisme bourgeois. Les réalistes aussi dénoncent les excès de la bourgeoisie dans leurs œuvres, mais pas dans leur vie comme le font ces nouveaux artistes. Ces artistes se réunissent dans des cabarets, dont le plus fameux est Le Chat noir à Montmartre. Tous s’inspirent de Verlaine, qu’ils reconnaissent comme leur maître, et se définissent « décadents» à partir d’un de ses vers, «Je suis l’Empire à la fin de la Décadence», bien que Verlaine ait toujours refusé l’étiquette de symboliste ou de décadent. En 1884, la Décadence trouve son héros dans le personnage principal du roman de Huysmans, À Rebours. Jeune aristocrate en mal de vivre, Des Esseintes se retire loin du monde et se plonge dans la littérature latine décadente. Mais il ne parvient pas à guérir, et son seul salut est Dieu. À la suite de ce roman, les décadents sont accusés de misanthropie et de mysticisme pervers. Le mouvement s’étiole au milieu des polémiques, mode éphémère qui n’a pas produit d’œuvres importantes, à la seule exception du poète Jules Laforgue, mais qui a ouvert la voie du Symbolisme. L’école symboliste Cherchant un mot nouveau qui éveille moins de polémique que celui de Décadence, Jean Moréas va imposer celui de Symbolisme. Le 18 septembre 1886, il publie dans «Le Figaro» un Manifeste littéraire, où il définit la doctrine symboliste. La même année, paraît à Paris la revue «Le Symboliste». Le maître du mouvement est Mallarmé, même si le poète se tient à l’écart des polémiques des revues littéraires. C’est chez lui que le mardi se réunissent les jeunes poètes à la recherche des fondements métaphysiques de la poésie. Mais comme la Décadence, le Symbolisme non plus n’a pas produit de grandes œuvres, exceptées celles de ses inspirateurs et finalement meilleurs représentants: Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé. Toutefois, la génération nouvelle d’écrivains qui s’affirmera au début du X Xe siècle a grandi avec le mouvement symboliste : Valéry, Gide, Claudel, Paul Fort ou Francis Jammes lui en sont redevables. EMANUELA URSI 180 froide, sinon hostile. On reprocha à l'auteur sa tendance à l'affectation et à l'outrance, son goût de la bizarrerie prosodique et de la désarticulation du vers. Personne ne saisit sa véritable originalité ; personne ne devina le drame intérieur dont elle était l'expression, ni les efforts du poète pour en camoufler les manifestations sous une façade d'impersonnalité pudique. À la lumière de ces considérations, l'œuvre de Verlaine apparaît comme une série de tentatives et de renoncements, d'actes de foi et d'hérésies, commandés, d'une part, par les lectures entreprises et les milieux fréquentés et, de l'autre, par les drames personnels et les états psychologiques du poète, mais obéissant à un temps propre purement intérieur, celui de son paysage de rêve. Verlaine est demeuré foncièrement original avant tout par l'individualité de son inspiration. Il n'a rien écrit qui fût étranger à sa vie et à ses émotions. C'est son moi sous ses multiples aspects et dans ses diverses manifestations qui forme la trame de ses vers et la substance de son œuvre. Mais cet héritier des romantiques diffère de ses devanciers par son « éducation » parnassienne ; il en a gardé la honte de l'étalage intempestif et une certaine pudeur qui l'a préservé (du moins dans les premiers recueils) de la dramatisation des sentiments en vue de toucher le lecteur. Ennemi de l'emphase et de l'éloquence, il est dans l'expression de la passion et de la douleur d'une naïveté candide qui surprend et qui attire. Dans le domaine de l'expression formelle, cette originalité s'est traduite par deux traits essentiels : l'impressionnisme et la musicalité. Tout en respectant la forme extérieure de la prosodie classique et la langue poétique courante, dont son génie s'accommodait, Verlaine a brisé intérieurement le rythme traditionnel du vers, spécialement de l'alexandrin. Il a ébranlé ses assises et détruit « en profondeur » ses cadences. De même, il a rendu le sens de certains mots plus « volatil » et a créé des alliages nouveaux pour traduire son paysage intérieur et moduler son rêve poétique. En conférant à la sensation la primauté dans la représentation du monde extérieur, et aux données immédiates de la conscience le pas sur la raison claire, il s'est libéré de l'intellectualité de la langue. Or, l'impressionnisme est l'art de traduire, par une technique spéciale, le momentané et le fugitif. En découvrant une « quatrième dimension » temporelle aux choses, il apparente la peinture à la musique en fixant un moment de la durée et non plus seulement une tranche d'espace et de volume. L'emploi fait par Verlaine de rythmes impairs, d'assonances, de paysages en demi-teintes le confirme bien, rapprochant même, par exemple, l'univers des Romances sans paroles des plus belles réussites impressionnistes. Poèmes saturniens (1866) Les Poèmes saturniens sont placés sous l’influence négative de Saturne qui apporte le malheur aux hommes. Les motifs sont connus (soleil couchant, chanson d’automne, rêve d’une femme) mais le paysage devient univers intérieur où les sensations sont subtiles, délicates, fragiles. Fêtes galantes (1869) Vingt-six petits poèmes témoignent que Verlaine a su trouver un style qui lui est propre. Le poète se plaît à peindre l’irréel, l’évanescent, le fugitif, l’insaisissable. Il reprend avec bonheur la veine libertine du XVIIIe et évoque les personnages de la commedia dell’arte. Mais il y ajoute une tonalité plus sourde, où l’on perçoit déjà les sanglots, les pâleurs et les frissons d’un monde exténué où plane l’image de la mort. EMANUELA URSI 181 La Bonne Chanson (1870), Romances sans paroles (1874) , Jadis et Naguère(1884) Dans La Bonne Chanson et Romances sans paroles, c’est encore le thème de l’amour, non plus rêvé mais vécu. Ce dernier recueil – qui contient le célèbre poème Il pleure dans mon cœur – prouve l’intention de Verlaine de « faire de la musique avant toute chose » théorisée dans un autre poème, L’Art poétique, paru en 1884, dans Jadis et Naguère. Le titre même de ce recueil souligne la primauté de la chanson (romance) sur les mots (paroles). Sagesse (1881) En prison, le poète retrouve Dieu. Les poèmes de Sagesse rendent compte de l’itinéraire spirituel de Verlaine, de la méditation sur sa vie jusqu’à la conversion. Guy de Maupassant (1850-1893) Maupassant, initié par Flaubert et ami des naturalistes, revendique le réalisme. Toutes ses œuvres témoignent d’un sens aigu de l’observation. L’écrivain cherche à comprendre l’homme et la société qu’il a sous les yeux et à dégager les lois qui les régissent. Il met en scène les paysans normands, bêtes et cupides, la petite bourgeoisie étriquée, les notables déchus. Aucune classe sociale n’échappe à son regard scrutateur, dénué de toute bienveillance et de toute indulgence. L’acuité de son regard, capable de démasquer tous les travers humains (égoïsme, hypocrisie, bêtise, cruauté et sadisme, même sous des dehors socialement présentables), est le fruit d’un profond pessimisme. Maupassant ne se fait aucune illusion sur l’homme, qu’il compare d’ailleurs à « une bête à peine supérieure aux autres». Il pose donc dans ses œuvres le problème du mal en termes sociaux mais aussi en termes pathologiques. Disciple de Flaubert, Maupassant rejette le style trop chargé, trop pittoresque ; il aspire à une expression juste et précise, à une syntaxe claire. Comme son maître, il recherche l’objectivité, la transparence du style, mais il laisse échapper ça et là des signes de sa présence, un jugement ou un brin d’ironie. La simplicité de l’écriture est chez lui le fruit d’une technique très sûre. L’étude de la psychologie et des maladies mentales est à la mode à la fin du XIXe siècle. Maupassant s’y intéresse et présente quelques études des cas : la neurasthénie, le fétichisme, l’obsession, la hantise du double. Ces deux derniers thèmes se retrouvent dans Le Horla. C’est tout naturellement qu’il glisse alors vers le fantastique. Est-ce la réalité qui est fantastique, est- ce que ce sont les choses qui se modifient et s’animent ou bien tout est-il filtré par un esprit malade ? L’art du conteur fantastique est de laisser le lecteur dans l’incapacité de décider. D’où l’angoisse. Maupassant participe aux Soirées de Medan, il collabore à des revues, rédige des chroniques, voyage et écrit beaucoup : 300 nouvelles réunies en recueils (La Maison Tellier, Mademoiselle Fifi, Contes et nouvelles, Les Contes de la bécasse, Les Contes du jour et de la nuit, Le Horla), six romans dont Une Vie (1883), Bel-Ami (1885), Pierre et Jean. Boule de Suif (1880) Nouvelle qui fait partie des Soirée de Medan. Durant la guerre franco-prussienne, la ville de Rouen (Normandie) est envahie par les Prussiens. Pour fuir l'occupation, dix personnes prennent la diligence de Dieppe : un couple de commerçants, un couple de bourgeois, un EMANUELA URSI 182 couple de nobles, deux religieuses, un démocrate et enfin, une prostituée, la patriotique Elizabeth Rousset, surnommée « Boule de Suif ». Le voyage s'annonce difficile : les voyageurs ont faim et seule la jeune femme a pensé à emporter des provisions, qu'elle partage généreusement. Les voyageurs font un arrêt la nuit dans une auberge à Tôtes (sur le modèle de l'auberge du cygne), occupée par les Prussiens. Le lendemain, ils ne peuvent pas partir, l'officier prussien exerce un chantage, Boule de Suif doit coucher avec lui s'ils veulent repartir, mais elle refuse. Au début, tous sont choqués par le comportement du Prussien, mais les jours passant et l'ennui s'installant, ils font pression sur Boule de Suif qui finit par accepter. Le lendemain, les voyageurs obtiennent donc de pouvoir repartir. Lors du déjeuner, tous à l'exception de Boule de Suif, ont pu faire le plein de provisions, mais aucun d'eux ne donnera ne serait-ce qu'un petit morceau de pain à la jeune femme. L'histoire se termine sur Boule de Suif en larmes, éperdue et désespérée. Bel-Ami (1885) Bel-Ami est un roman réaliste de Guy de Maupassant (1850-1893), publié en 1885. Le roman paraît d'abord sous forme de feuilleton dans le quotidien Gil Blas, avant d'être édité en volume aux éditions Ollendorff. L'action du récit se déroule à Paris pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Le roman retrace l’ascension sociale de Georges Duroy (ou Georges Du Roy de Cantel), homme ambitieux et séducteur sans scrupules (arriviste et opportuniste), employé au bureau des chemins de fer du Nord, parvenu au sommet de la pyramide sociale parisienne grâce à ses maîtresses et à la collusion entre la finance, la presse et la politique. Sur fond de politique coloniale, Maupassant décrit les liens étroits entre le capitalisme, la politique, la presse mais aussi l’influence des femmes, privées de vie politique depuis le code Napoléon et qui œuvrent dans l’ombre pour éduquer et conseiller. Satire d'une société d'argent minée par les scandales politiques de la fin du XIXe siècle, l’œuvre se présente comme une petite monographie de la presse parisienne dans la mesure où Maupassant fait implicitement part de son expérience de reporter. Ainsi, l’ascension de Georges Duroy peut être comparée à la propre ascension de Maupassant. En effet, Bel-Ami est la description parfaite de l'inverse de Guy de Maupassant, Georges Duroy devenant une sorte de contraire de l'auteur, dont Maupassant se moquera tout au long du roman Pierre et Jean (1888) Deux frères qui sont opposés physiquement et psychologiquement : l’un un médecin est l’autre un avocat, la possibilité de marier la jeune veuve Mme de Rosémilly et un mystérieux héritage laissé par Léon Maréchal à Jean seront les éléments déclencheur de ce drame familial. Joris-Karl Huysmans (1848-1907) En tant que romancier et critique d’art, il prit une part active à la vie littéraire et artistique française dans le dernier quart du XIXe siècle et jusqu’à sa mort, en 1907. Défenseur du naturalisme à ses débuts, il rompit avec cette école pour explorer les possibilités nouvelles offertes par le symbolisme, et devint le principal représentant de l’esthétique fin de siècle. A Rebours (1884) Roman qui consacre la rupture et la prise de distance du Naturalisme zolien. Il est une déconstruction de l’écriture romanesque traditionnelle : toute intrigue disparait, chaque chapitre traite un thème diffèrent. EMANUELA URSI 185 le lecteur se trouve-t-il par l’intermédiaire de ce je encore plus impliqué dans l’histoire. Cela est nouveau dans l’histoire du roman. 2. Le traitement du temps. La reconstruction du passé obéit aux soubresauts de la mémoire. Pour rendre ce phénomène, l’écrivain joue sur le nombre de pages. Un événement, en apparence mineur du point de vue de l’action mais très important pour la sensibilité du narrateur, peut être dilaté au fil des pages et disséqué dans ses moindres aspects. Dans le récit de Combray, par exemple, le narrateur se souvient de son angoisse lorsqu’il attendait sa mère le soir au coucher pour qu’elle lui donne un dernier baiser avant qu’il ne s’endorme. Le moindre retard plongeait l’enfant dans une vive agitation. Cet épisode est analysé en détail, et le narrateur arrive à faire percevoir toutes les émotions ressenties alors. Ainsi le temps de l’histoire n’est pas seulement chronologique mais c’est un temps psychologique qui permet de reconstruire un monde intérieur. En ce sens, Proust rapproche sa démarche romanesque de la création poétique. 3. Le style de Proust. Pour rendre compte des subtilités de l’analyse, Proust se sert admirablement des potentialités du style. Il choisit des phrases longues, très longues, avec de nombreuses subordonnées et des incises, qui semblent pouvoir davantage épouser les sinuosités de la pensée ; elles donnent un rythme lent, un peu précieux, et souvent poétique au texte proustien qui est, de ce fait, un véritable chef-d’œuvre. Colette (1873-1954) Colette, de son vrai nom Sidonie-Gabrielle Colette, est une romancière française. À la fin de son adolescence, elle rencontre Henry Gauthier-Villars, dit Willy, avec qui elle se marie le 15 mai 1893. Ils déménagent à Paris. Grâce à lui, Colette découvre les cercles littéraires de la capitale. Willy, qui est très friand de littérature, va utiliser Colette pour qu’elle écrive des romans qu’il signe de sa main. Elle est donc « prête plume » de son mari. C’est ainsi qu’est née la collection des Claudine, tous issus de l’imagination de Colette, mais signés par Willy. Elle s’inspire beaucoup de sa vie pour écrire ces romans d’un nouveau genre. Mais Colette, entre les tromperies de son mari et cette utilisation abusive de son talent, décide de publier son premier livre Dialogues de bêtes en 1905 sous son nom, Colette Willy. En 1945, elle est élue à l’unanimité à l’Académie Goncourt et en devient la première femme présidente en 1949, ce qui est là aussi une grande première. Ses œuvres sont publiées en quinze volumes, elle devient l’écrivaine la plus photographiée du XXème siècle et elle joue son propre rôle dans le documentaire Colette. En 1953, elle devient grand officier de la Légion d’honneur. Elle enrichit son œuvre mêlant autobiographie et fiction romanesque, études des mœurs et analyse psychologique, explorant les thèmes de l’amour ou de la jalousie. Au-delà de la finesse de l’analyse psychologique, c’est dans l’écriture que Colette a innové offrant une prose souple et délicate, à la fois limpide et riche de nuances et de précisions, qui ne manque pas de lyrisme et qui atteint souvent à la poésie. EMANUELA URSI 186 Chéri (1920) Drame d’une femme d’âge mur, quitté par son copain Chéri après une tumultueuse liaison. Colette dénonce l’égoïsme et la lâcheté des hommes. André Breton (1896-1966) Médecin, Breton expérimente la psychanalyse de Freud sur des soldats pendant la guerre 14- 18. D’abord dadaïste, il fonde avec Aragon et Soupault le mouvement surréaliste (Manifeste, 1924) qu’il défendra toute sa vie. Rompant avec le communisme, il écrit avec Trotsky Pour un art révolutionnaire indépendant. Pendant la guerre, il s’exile aux États-Unis où il fonde la revue « V W» avec Marcel Duchamp. Dans ses œuvres poétiques (Champs magnétiques en 1920, Clair de terre en 1923, L’Air de l’eau en 1934), il essaie par la dislocation de la phrase et par le pouvoir de la métaphore d’atteindre la vérité cachée à la raison. Le problème de la folie – qui le fascine par son aspect créateur – est au cœur de son premier récit, Nadja (1928), où la femme aimée – qui sera internée – ouvre les portes d’un monde étranger et nouveau. Breton élabore dans ses récits (Les Vases communicants en 1932, L’Amour fou en 1937) une théorie du merveilleux qui fait irruption dans le quotidien : il existe des forces occultes qui interviennent dans la vie de l’homme et qui lui échappent. Ses publications poétiques comptent parmi les textes majeurs du mouvement surréaliste. Nadja (1928) Le problème de la folie est au cœur de ce récit autobiographique où la femme aimée, qui sera internée, ouvre les portes d’un monde étranger et nouveau. Breton rend compte « sans aucune affabulation romanesque ni déguisement du réel » des événements quotidiens survenus durant 9 jours entre lui et une jeune qui se surnommait elle-même « Nadja ». LE DADA On appelle Dada le mouvement intellectuel et artistique qui, né à Zurich en 1916, s'est étendu à l'Allemagne, la France et les Etats-Unis. Il a perdu sa virulence à partir de 1923 et s'est fondu, en France, dans le surréalisme. Il doit son nom à Tristan Tzara, qui l'aurait inventé en feuilletant au hasard un dictionnaire. Le mot « Dada » ponctue les manifestes et les textes du groupe par sa répétition et sa déclinaison graphique et montre le choix de la dérision, puisqu’il désamorce a priori tout orgueil ou tout esprit de sérieux. Dada fut beaucoup plus une riposte à une situation historique, sociale, politique qu'à une phase précise de l'histoire de l'art. Pourtant si Dada disparaît de la scène historique après 1923, son esprit a survécu en d'innombrables métamorphoses. Tout en reprenant des critères traditionnels du groupe ou du mouvement artistique et littéraire, Dada marque son esprit d’ironie et de déconstruction. Le mythe du nom, la forme du manifeste, mènent un travail de sape contre les éléments fondateurs en les démultipliant. Ce qui devrait être unique se vulgarise dans une multiplication proche de la série qui favorise EMANUELA URSI 187 l’effervescence, presque le bouillonnement, et refuse au mouvement tout ordre rigoureux. Même leur lieu de rassemblement témoigne de cet esprit ironique : le Cabaret Voltaire de Zurich, fondé par Hugo Ball. La revendication du cabaret exprime là encore une volonté de rupture. Le cabaret est un lieu de fête et de spectacle, un lieu populaire et public, lieu de divertissement en somme, qui s’oppose à l’esprit de sérieux et finesse du salon. Les refus des règles de l’art. La pratique artistique de Dada consiste elle aussi en une remise en cause : remise en cause des règles et des codes artistiques. L’art, selon Dada, n’est pas une activité supérieure et noble, il n’est pas non plus une activité culturelle qui s’admire et se respecte. C’est l’ensemble du système des valeurs artistiques qui est remis en cause. Les notion éthiques et esthétiques du beau, du bon et du bien sont malmenées et déconstruites. Dans ces conditions, l’art ne peut plus prétendre plaire ni instruire, il ne peut plus tendre vers la morale ni vers la beauté. Dada mène ainsi un travail de sape sur l’ensemble de la culture de son époque. Dada questionne la matière même des disciplines artistiques : dans le domaine poétique et littéraire, on maintient les fautes d’orthographe et les conjugaisons fautives, les déformations enfantines, les gros mots. L’onomatopée et les fragments de langage inarticulé deviennent omniprésentes, souvent par salve ou par glissement progressif. La faute, le gros mot, l’onomatopée renouent avec un langage instinctif, proche du cri, un langage directement signifiant qui manifeste une émotion débordante, ou du bruit. Dada n’exprime donc pas un refus de l’art. Au contraire, il renoue dans une certaine mesure avec l’étymologie de l’art comme savoir-faire et comme artisanat et posant la question de sa valeur et sa matière. L’œuvre devient un laboratoire d’expérimentation, elle se fait recherche active des modalités de création et non plus objet achevé destiné à être admiré. Dada désarticule le langage, le rapproche du cri et du bruit, dans une quête de spontanéité. Là où le langage poétique et construit est dénoncé comme mensonge et asservissement, le langage spontané renoue avec la pureté et la vérité. Il est conçu comme nettoyage. Au point de vue littéraire, la destruction du langage revendiquée par Dada n’est pas une tentative de détruire la poésie mais au contraire de la libérer, de la faire sortir du seul domaine du texte. Là où l’étymologie lie langage et logique dans le seul et même terme de logos, le mouvement Dada est assaut contre le langage et le discours pour faire sortir la parole poétique du seul domaine littéraire. Recherche de spontanéité et de jaillissement, questionnement des règles et des matières artistiques, Dada est un mouvement pluridisciplinaire qui n’hésite pas à expérimenter des formes et des genres divers. Dans le champ littéraire, les dadaïstes investissent le genre poétique de manière privilégiée. Sa forme courte, malléable, permet de mettre en place des techniques de découpage, de collage, de tirage au sort. A travers, par exemple, la prise en compte de la page comme espace d’écriture (Un coup de dés n’abolira jamais le hasard de Mallarmé), le texte se mêle, se confond parfois avec les arts de l’image. Le poème Dada est d’abord un objet visuel ; on le voit avant de le lire. Pour le mouvement Dada, rien n’est répété à l’identique : les pratiques du découpage et du collage introduisent quant à elles le hasard comme acteur de la création. Le Dadaïsme est une réaction brutale contre l’absurdité de la guerre et traduit le dégoût des jeunes générations pour un monde qui a fait faillite. Il faut alors dire « non» au monde, faire table rase du passé, décréter la mort de toutes les idéologies, accomplir «un grand travail négatif». Sous des formes burlesques qui veulent volontairement choquer, le Dadaïsme prône la révolte absolue. Dada veut tout refuser et tout détruire : «Je détruis les tiroirs du cerveau et EMANUELA URSI 190 Capitale de la douleur (1926) Gala entame une liaison avec le peintre Max Ernst. Eluard souffre de voir la femme qu’il aime s’éloigner et consigne sa détresse dans ce grand recueil poétique. Transfiguré par l’écriture, Eluard parvient à transcender sa crise amoureuse. François Mauriac (1885-1970) François Mauriac naît au cœur d'une famille bourgeoise et reçoit une éducation très sévère de sa mère, fervente chrétienne. Son éducation religieuse marquera toute son œuvre et toute sa vie. Après ses études, il se rend à Paris et se tourne dans un premier temps vers la poésie. Après avoir servi durant la guerre, il connaît un véritable succès avec le Baiser aux lépreux (1922). Ses œuvres reposent souvent sur des considérations religieuses manichéistes en sondant les pensées intérieures de ses personnages. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il prend parti pour la résistance en publiant des articles dans le « Cahier noir », puis soutient vivement le général De Gaulle. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1952, expose ses opinions anticolonialistes dans Bloc-notes puis produit encore de nombreuses œuvres à la fin de sa vie. Mauriac est un très grand romancier qui a exercé une influence considérable. Dans ses romans, il exprime le pathétique de la condition humaine, l’angoisse douloureuse du chrétien, torturé par le choix difficile entre Dieu et le monde, entre la chair et l’esprit, entre la foi et les passions. Dans ce choix, il n’y a pas de demi-mesure : il faut opter pour le renoncement ou pour la révolte Le style de Mauriac est très concis. C’est un écrivain qui ne dessine pas mais qui suggère : en quelques traits il évoque toute une atmosphère. De même, il réduit des personnages à quelques traits frappants. Les détails extérieurs n’importent que quand ils ne révèlent pas l’âme et le caractère. Sa langue est pure et d’une grande musicalité. Thérèse Desqueyroux (1927) Ce roman est généralement considéré comme le chef-d’œuvre de Mauriac. C’est l’histoire de Thérèse Larroque, une jeune femme intelligente et sensible, fille d’un riche propriétaire, qui a épousé sans amour Bernard Desqueyroux, un voisin de campagne qui possède deux mille hectares. Elle l’a épousé parce qu’elle avait la propriété dans le sang et parce que le mariage avait toujours été un fait accompli pour les deux familles. Bernard est un matérialiste pour qui la vie de l’esprit ne compte pas. Elle prend peur de cet homme et essaie de l’empoisonner. Bernard témoigne en faveur de Thérèse pour éviter le scandale et elle bénéficie d’un non-lieu. Thérèse est abandonnée par tout le monde, seule dans la maison d’Argelouse. Elle ne mange plus, ne quitte plus son lit et ne fait que fumer. Enfin, Bernard la conduit à Paris. Elle ne paraîtra plus à Argelouse qu’à l’occasion de fêtes de famille. Le Nœud de Vipères (1927) C’est l’histoire de Louis, un riche avare qui vit depuis longtemps dans le malentendu avec sa femme Isa. Ils ont trois enfants : Hubert, Geneviève et Marie. Celle-ci meurt petite fille et est le seul enfant aimé par le père. Les autres enfants n’aiment pas leur père et attendent impatiemment sa mort pour hériter de son immense fortune. Louis les déteste à son tour et EMANUELA URSI 191 songe à les déshériter en faveur de son fils naturel, Robert. Avant de mourir, Louis écrit une sorte d’aveu destiné à sa femme. Paul Claudel (1868-1955) Dramaturge catholique qui découvre sa foi par hasard. La puissance mystique qui s’empare de lui tranche avec la philosophie matérialiste de cette fin de siècle et fait écho à la poétique d’Arthur Rimbaud. Il revendique le théâtre baroque. Partage de Midi (1906) Publié d’abord discrètement, ce drame est issu de la crise passionnelle traversée par Claudel. Mesa, le personnage principal, a plus d’un point en commun avec l’auteur. Comme lui, il reste renté par la prêtrise, et comme lui, passionnément amoureux d’une femme rencontrée sur le bateau qui le conduisait en Chine. Midi est le moment de la lucidité absolue, du savoir : celui que partagent instantanément les deux protagonistes. Cinq Grandes Odes (1910) La lecture de la Bible est à la source de la poésie de Claudel. C’est en effet dans ce livre que Claudel puise les symboles majeurs de son œuvre. La forme d’écriture qu’il invente est calquée sur le verset biblique. Il s’agit d’un verset non mesuré, non rimé, dont les enjambements et les rejets audacieux suivent le mouvement de la respiration. Le poème claudélien répète et célèbre la création divine. Le Soulier de Satin (1929) Il s’agit d’une pièce somptueuse et gigantesque, un drame sentimental doublé d’une tragédie mystique qui questionne le péché de chair. L’œuvre prend les allures de fresque historique et allégorique. On a évoqué l’esthétique baroque pour qualifier ce drame imposant par sa longueur et foisonnant d’intrigues et personnages. A la manière d’une tapisserie, il entrecroise les fils de multiples destins autour d’un couple central. Jouant de tous les registres, du comique et du dramatique, Claudel propose un drame total, d’une grande force et d’une grande beauté. Georges Simenon (1903-1989) Auteur francophone nait en Belgique. Il devient journaliste et découvre les dessous de la politique et du crime. Il signe ses œuvres sous de nombreux pseudonymes. Auteur universel et apprécié. Son succès, Simenon le doit surtout à des romans policiers réalistes centré sur Maigret, personnage bourru et trapu, doué d’une profonde humanité, qui mène ses enquêtes selon une méthode peu orthodoxe. Il utilise l’intuition et l’empathie pour démasquer les coupables. Et comprend les raisons profondes des actions. Son succès il le doit aussi à sa langue, précise et riche, sous une apparence simple et limpide. Simenon renouvelle l’art du roman policier. Il invente un polar peuplé de personnages à la psychologie complexe, évoluant dans des atmosphères sombres et poétiques. EMANUELA URSI 192 Céline (1894-1961) Engagé volontiers en guerre, il est blessé et doit abandonner les batailles. Il concevra dès lors une haine tenace pour la guerre et va entreprendre les études de médecine et, parallèlement, va se lancer dans la rédaction d’un roman sur son expérience en guerre. Voyage au bout de la nuit (1932) C’est un cri de révolte, dans le contenu comme dans la forme. Au détriment du beau langage, Céline disloque la syntaxe et écrit comme on parla pour mieux crier son horreur du monde, son angoisse et son désarroi qui se transforment en rage contre la bêtise et l’avilissement de l’homme. C’est une sorte de roman picaresque moderne qui concerne les aventures de Ferdinand Bardamu, un médecin comme Céline, aventures qui mènent seulement vers une « nuit » dénuée de sens. Ainsi il ressort du livre une impression tragique, car les personnages semblent ballottés au fil des événements de la vie, sans être véritablement responsables de leur destin, et dès qu’ils se fixent quelque part, c’est pour avoir des ennuis qui les contraignent à repartir. Les personnages semblent en train de faire un voyage infernal, dont chaque étape est un prétexte pour dénoncer le colonialisme, la déshumanisation, la pauvreté et la méchanceté. Le tout est le fruit d’un pessimisme fondamental nourri de la hantise de la mort. Toutefois, l’angoisse existentielle, l’horreur et la noirceur sont atténuées par la dérision et l’ironie qui permettent au narrateur d’aller de l’avant et de supporter l’insupportable. L’épopée de Bardamu consiste en une série d’expériences qui se résument toutes à l’épreuve de la cruauté, à l’envie de mourir ou de tuer. La mort est au cœur de l’œuvre. L’itinéraire de Bardamu, donc, le conduit à éprouver, sous toutes ses formes, l’omniprésence du Mal et de la mort ; parcours qui n’est pas sans rappeler celui de Candide chez Voltaire, mais la conclusion de Céline est bien différente. Pas de devenir dans le Voyage, mais un apprentissage douloureux : le voyage, comme la condition humaine, ne peut connaitre d’issue que l’échec, ou l’éternel recommencement. Céline fait entrer la langue parlée populaire dans le roman. D’autres, comme Zola, l’avaient déjà fait, mais, à part quelques timides tentatives, elle était réservée au discours de certains personnages. Avec Céline, du fait qu’il s’agit d’un récit à la 1èrepersonne, la langue familière envahit la totalité du texte lui donnant cette tonalité tout à fait particulière. Non seulement Céline met dans la bouche de son Bardamu des mots argotiques, mais il fait de ce dernier un véritable créateur de langage : Bardamu invente des mots et des expressions, des images cocasses, tord la syntaxe à plaisir pour qu’elle exprime au plus près la palette de ses émotions, de la tendresse à la colère. Depuis Rabelais, médecin comme Céline qui l’admire, aucun écrivain n’avait autant osé avec les mots André Malraux (1901-1976) Ecrivain français, André Malraux est l'un des grands auteurs du XXe siècle. Homme politique et engagé dans de nombreuses luttes, il a notamment écrit "La Condition humaine". Il devient ministre des Affaires Culturels de Charles de Gaulle. Passionné par la littérature contemporaine, l'art, et plus globalement la culture, il abandonne ses études à l'âge de 17 ans pour travailler chez un libraire parisien. C'est là-bas que Malraux EMANUELA URSI 195 La Nausée (1938) Le roman relate, sous la forme d’un journal intime, l’histoire d’Antoine Roquentin. Un jour, alors qu’il est assis dans un parc, perdu dans la contemplation d’une racine d’arbre, Roquentin est soulevé par la nausée de sa propre existence. Il décide de la conjurer en écrivant un roman. Le texte dépeint la solitude de l’homme face à la menace angoissante de l’existence. Le protagoniste traduit le malaise des jeunes qui ne savent plus quelle signification donner à leur existence : l’art devient la solution envisagée pour le sens de dégout du monde. Les Mots (1964) Dans ce livre, Sartre essaie de trouver une réponse à la question : “Comment est-ce que je suis devenu écrivain ?” Il est convaincu que les germes de sa vocation littéraire se trouvent dans les névroses de son enfance. Une grande partie du livre est consacrée à son enfance jusqu’à 12 ans. Le théâtre Sartre a beaucoup écrit pour le théâtre, car la scène est un lieu privilégié pour incarner la réflexion philosophique et proposer des solutions. Sa pièce Les Mouches (1943), inspirée du mythe d’Oreste, pose le problème de la liberté et de la responsabilité individuelles, sans donner de solution politique : Oreste, poussé par sa sœur, tuera Égisthe, l’amant de sa mère, mais son acte est motivé par l’orgueil personnel. Avec Huis clos (1944), Sartre poursuit sa réflexion sur les actes qui fondent l’existence de l’homme et sur la responsabilité. C’est avec les pièces successives qu’il pose plus directement le problème de l’engagement lié à la politique et à la morale. La fin justifie-t-elle les moyens ? L’individu peut-il agir seulement par idéal ? Ce sont les questions posées dans Les Mains sales (1948). Aimé Césaire (1913-2008) En 1934, il fonde un journal, L’Étudiant noir, dans lequel apparaît pour la première fois le mot « négritude », en réaction à l’oppression culturelle du système colonial français et à la dévalorisation de l’Afrique. En 1936, paraît Cahier d’un retour au pays natal. Agrégé de lettres, il enseigne à la Martinique, où il crée la revue « Tropiques », qui veut rendre aux Martiniquais leur patrimoine culturel. Césaire se rallie au mouvement surréaliste, fait un séjour en Haïti, puis s’engage en politique : il sera maire de Fort-de-France, puis député de la Martinique à l’Assemblée nationale. Il crée le journal Présence africaine où il publie le Discours sur le colonialisme (1950), où il met en parallèle nazisme et colonialisme. Son œuvre abondante compte des pièces de théâtre (La Tragédie du roi Christophe, 1963), des poèmes (Les Armes miraculeuses, 1946), des essais (Le Discours sur le colonialisme, 1950). Cahier d'un retour au pays natal (1939) Lors de son retour en Martinique en 1939, Aimé Césaire publie son œuvre poétique intitulée Cahier d'un retour au pays natal. Cet ouvrage se décline en un long texte d'environ 40 pages dans lesquelles l'auteur évoque son retour sur les terres de son enfance. Influencée par le courant surréaliste, son écriture entremêle expressions de révolte et métaphores. L'œuvre illustre en effet la prise de conscience par l'auteur de la condition inégalitaire des noirs dans la société. Texte fondateur de la négritude, Cahier d'un retour au pays natal reflète la révolte EMANUELA URSI 196 d'Aimé Césaire face au mépris et à l'oppression culturelle du système colonialiste français à l'égard des sociétés coloniales martiniquaises et guyanaises. Humaniste actif et concret Aimé Césaire fait ici une dénonciation forte du racisme et du colonialisme. Louis Aragon (1897-1982) Aragon a suivi le dadaïsme pendant quelque temps, puis il s’est engagé dans le surréalisme. Les textes d’Aragon se distinguent de ceux des autres surréalistes par leur élégance, leur humour, leur violence et leur lyrisme. En 1927, il adhère au communisme où il assume un rôle militant. La plus grande partie de sa carrière se situe dans la période d’après-guerre et le surréalisme n’était pour lui qu’un point de départ. Ses premiers écrits appliquent les principes surréalistes : écriture automatique, collages. Le Paysan de Paris (1926) explore le quotidien merveilleux par un montage de récits, souvenirs, dialogues, poèmes, articles de journaux, etc. Après son adhésion au Parti communiste, il développe un réalisme socialiste : il célèbre l’édification du socialisme dans Hourrah l’Oural (1934) et écrit le cycle romanesque Le Monde réel, qui hésite entre volonté d’analyse sociale et lyrisme de l’amour. Pendant la guerre, il chante la liberté et exalte le sentiment national. En 1956 sa crise de conscience politique et morale face au communisme apparaît dans Le Roman inachevé (1956). Son amour pour Elsa Triolet inspire à Aragon plusieurs recueils. Les Yeux d’Elsa (1942) Un des recueils poétiques inspirés de son amour pour Elsa Triolet. Hymne à la beauté et à la passion amoureuse, le recueil marque le retour d’Aragon à la poésie après sa violente rupture avec le groupe surréaliste dont il était l’un des cofondateurs. Vers traditionnel (alexandrin) et formes fixes classique. Il emprunte aussi aux codes de la poésie médiévale et de l’amour courtois pour célébrer le charme envoutant de sa dame. Le chant d’amour est également une ode à la liberté : il se fait incitation à la révolte nationale contre l’occupation allemande, la femme mariée se confondant avec la mère patrie. Albert Camus (1913-1960) Camus est considéré comme l’une des consciences les plus lucides de notre temps. Dans ses œuvres, il s’interroge sur le sens de la vie. Pour Camus, la vie n’est qu’un enchaînement d’actions banales qui n’ont pas de lien avec le destin de l’homme. L’existence n’est qu’un chaos d’actes banals qui conduisent fatalement à la mort. Mais Camus rejette le suicide comme réponse à cette absurdité. La solution est celle de la révolte. La révolte donnera à la vie sa grandeur et rendra l’homme libre. Du moment que l’homme connaît sa condition absurde il peut se passer de règles communes. Il est sa propre fin. Après la deuxième guerre mondiale, Camus est devenu conscient des dangers de sa conception nihiliste. Il reste fidèle à l’idée de la révolte mais y ajoute une dimension humanitaire. La vie telle qu’elle est n’a pas de sens mais c’est l’homme qui doit lui donner un sens en s’engageant à améliorer la situation des autres. Ainsi, l’homme ne sera plus un étranger mais un être social qui lutte contre le mal. EMANUELA URSI 197 La langue de Camus est sobre, ses symboles sont simples et clairs. Il construit logiquement ses récits et les multiples intrigues secondaires ne nuisent jamais à la clarté de l’ensemble. Le Mythe de Sisyphe (1942) Camus choisit d’incarner sa pensée dans un héros de la mythologie grecque, condamné à rouler sans cesse une grosse pierre vers le sommet d’une montagne. Il est le héros absurde par excellence, image de l’homme condamné à une vie répétitive et inutile, mais héros parce qu’il est conscient de la vanité de ses efforts et il se révolte intérieurement : c’est pourquoi il se rend supérieur à ce qui l’écrase. Caligula (1942) L’œuvre met en scène Caligula, un empereur romain. Il cherche à atteindre l’impossible avec démesure. En s’affranchissant de toute règle, il se transforme en un tyran insensible, espérant ainsi libérer l’humanité des mensonges qui mènent l’existence en déroute. Ayant été autrefois un prince relativement aimable, la mort de sa sœur et maîtresse, Drusilla, l’a si violemment secoué qu’il se trouve sous l’emprise de pensées obsessives d’horreur et de mépris. L’Etranger (1942) Ce court roman, récit fait par le héros lui-même, Meursault, est construit autour de deux événements liés et aussi absurdes l’un que l’autre. Le premier est un assassinat accompli sans raison apparente. Meursault, jeune employé de bureau à Alger, a tué sur une plage un homme de nationalité arabe qu’il ne connaissait pas personnellement et contre qui il n’avait aucun grief. Meursault se souvient, dans la première partie du roman, des événements qui ont précédé le meurtre : l’enterrement de sa mère, sa rencontre avec Marie, les rapports avec les autres, le travail, la plage le dimanche et enfin le meurtre. La deuxième partie du livre, qui raconte la prison, le procès et la condamnation à mort, est centrée autour de l’absurdité du procès. Meursault ne sera pas véritablement condamné pour le meurtre de l’Arabe au nom du principe universel du respect de la vie, mais parce que le jour de l’enterrement de sa mère il n’a pas pleuré ; le jury et la société que celui-ci représente en concluent qu’il est un monstre au cœur insensible. Ainsi la justice humaine repose-t-elle sur un malentendu. Meursault, dans cette deuxième partie, rapporte les propos de l’avocat, du procureur, des témoins. Il semble assister à son propre procès, comme du reste à tous les événements de sa vie sans y prendre part, comme si son existence se déroulait en dehors de sa volonté. On l’accusera d’être « étranger» à la société, «étranger» à la justice, «étranger» à lui-même. C’est le troisième élément qui met en lumière la notion d’absurde dans le roman. Vers la révolte La Peste (1947) La prise de conscience de l’absurde pousse l’homme à la révolte. C’est ce que Camus va théoriser dans un essai intitulé L’Homme révolté, paru en 1951. La révolte chez Camus est une attitude de refus essentiellement individuelle, qui d’abord pousse à dire non, puis à s’engager pour éviter que les frontières du bon droit ne soient outrepassées. En ce sens, la révolte de Camus se différencie de toute forme politique de révolution que Camus juge dangereuse pour la liberté individuelle, parce que la révolution tend au totalitarisme. C’est pourquoi Camus prendra ses distances par rapport au communisme, tandis qu’il affirme le devoir de l’écrivain
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