Docsity
Docsity

Prepara i tuoi esami
Prepara i tuoi esami

Studia grazie alle numerose risorse presenti su Docsity


Ottieni i punti per scaricare
Ottieni i punti per scaricare

Guadagna punti aiutando altri studenti oppure acquistali con un piano Premium


Guide e consigli
Guide e consigli

La duchesse de Langeais, riassunto in lingua francese, Dispense di Letteratura Francese

La Duchessa di Langeais, riassunto critico in lingua francese

Tipologia: Dispense

2018/2019

Caricato il 26/04/2019

elisa-secolo
elisa-secolo 🇮🇹

4

(31)

15 documenti

Anteprima parziale del testo

Scarica La duchesse de Langeais, riassunto in lingua francese e più Dispense in PDF di Letteratura Francese solo su Docsity! La Duchesse de Langeais Le titre En 1843, paraît dans l'édition Furne de La Comédie humaine1 parmi les Scènes de vie parisienne, le triptyque d'Histoire des Treize contenant Ferragus, La Duchesse de Langeais et La Fille aux yeux d'or. Les deux premiers récits avaient déjà été publiés en diptyque en 1839 , mais seule La Duchesse de Langeais avait eu droit à une première diffusion « en solitaire » en mars 1834 sous le titre Ne touchez pas la hache dans la revue L'Écho de la Jeune France. Les deux titres balzaciens invitent le public à suivre des pistes de lecture différentes 1. La Duchesse de Langeais, rattache le roman à son héroïne et désigne le récit d'un côté comme étude de femme et de l'autre comme étude de mœurs (prototype social de la duchesse dans les scènes de vie parisienne), l'une focalise l'individu, l'autre le corps social. L'identification de l'héroïne par son titre de noblesse et par son nom de famille fait qu'elle soit socialement et historiquement désignée et renforce l'idée qu'elle puisse être perçue comme un prototype social, comme exemple de sa classe. Le titre la définit comme une émanation de l’aristocratie dont elle incarne le destin historique. Intégré aux Scènes de la vie parisienne, le roman est inscrit dans un cadre historique et social qui rend compte de la réalité objective : Une sorte de « déterminisme » biographique qui permettrait à l’auteur de tenir un discours rationnel sur la société, d’en faire un roman des mœurs…une des « scènes partielles dur drame national appelé les Mœurs » (intention rationnelle déjà dépassée par l’emploi des mots scènes et drame renvoyant au domaine du théâtre) Points de repère historiques Temps du récit: 1818-1823 L ‘action de La Duchesse de Langeais se déroule pendant la Restauration et se concentre dans le cercle étroit de l’aristocratie de l’Ancien Régime, revenue au pouvoir en 1814 (en 1814, louis XVIII a « octroyé » la Charte, qui reconnaît au peuple une certaine souveraineté). 1 Première édition de La Comédie humaine dite édition Furne (1842 – 1855). Au commencement de la vie éphémère que mena le faubourg Saint-Germain pendant la Restauration (. .. ), une jeune femme fut passagèrement le type le plus complet de la nature à la fois supérieure et faible, grande et petite de sa caste. Les Langeais-Navarreins figurent la pureté monarchiste, représentée politiquement par les ultra-royalistes* qui ne reconnaissent pas la Charte, et s’appuient sur le clergé. Montriveau est le fils spirituel de la Révolution et de l’Empire, de Marsay sera en 1831 ministre de louis- Philippe l (le duc d’Orléans). Les Treize représentent la tendance de l’aristocratie qui joue la carte de la modernité et peut-être même du complot orléaniste qui contribuera à l’instauration de la Monarchie de Juillet Cependant en isolant le personnage féminin dans sa singularité, Balzac prépare le lecteur à suivre son destin individuel, son parcours de transformation, voire de transfiguration, en laissant en arrière plan le personnage de Montriveau et un nombre important de figurants. Il suggère aussi la brutalité de son défi à l’ordre social, qui lui fait conquérir son individualité Ce qui dévoile la fascination de l'écrivain pour les êtres d’exception qui revendiquent leur destin et construisent leur absolu, imprimant ainsi, par l’imaginaire, leur marque au réel. En mettant l’accent sur le rôle de la duchesse, Balzac prépare le lecteur à sa complexité intérieure et au caractère exceptionnel de sa transformation. 2. L'expression Ne touchez pas la hache possède le mystère d'un « avertissement- menace », a la forme d’un impératif négatif et renvoie par conséquent à un dialogue et il a une origine anecdotique précise : selon la légende, il s’agirait des propos que Charles 1er d’Angleterre, sur le point d’être décapité, aurait tenus à son bourreau, le menaçant d'un horrible châtiment si jamais il avait osé procéder à l'exécution. La référence est lointaine dans le temps et probablement inaccessible à un public contemporain, elle demeure nébuleuse et le côté « noir » de l'image prévaut sur son sens. Cette menace laisse deviner un univers de peur, d'intimidation, d'actions criminelles, mais elle n'en dit pas davantage. Elle prépare le public non seulement à un affrontement mais aussi à un romanesque de la « terreur » dont elle ne donne aucune spécification. En outre, ce titre sous forme d'impératif négatif, Ne touchez pas la hache, certes moins attendu et moins courant que ceux ayant une forme nominale, et c'est le cas de La Duchesse de Langeais, est une véritable réplique exhortant un interlocuteur imaginaire à ne pas accomplir un geste : l'expression désigne donc un coup de théâtre, au sens propre et figuré du terme. La nature dramatique du titre permet à l'idée d'un dialogue de s'instaurer d'emblé et laisse deviner le processus de compression du récit autour de la confrontation entre deux personnages. Le 1 Premier chapitre Sœur Thérèse: La construction romanesque à rebours – l’introduction du sublime Dans le premier chapitre du roman, intitulé La sœur Thérèse, le narrateur décrit un couvent de Carmélites, situé sur les hauteurs d’une île espagnole non identifiée où l'armée française est envoyée pour rétablir l’autorité du roi Ferdinand VII après la chute de Cadix. Le général qui commande l’expédition reconnaît dans le chant des religieuses la voix d’une femme qu’il recherche en vain depuis cinq ans. Il demande à la rencontrer et l'entretien débouche théâtralement sur le cri de la femme avouant que l'homme, présenté à la mère supérieur comme son frère, est en réalité son amant. Le narrateur clôt le chapitre sur l’annonce d’un retour en arrière éclairant leur drame : « Voici maintenant l’aventure qui avait déterminé la situation respective où se trouvaient alors les deux personnages de cette scène » (p. 923). Il s’ensuit le « crescendo » romanesque balzacien destiné à montrer « les faits dans toute leur simplicité positive » car après ces « faits », comme l'annonce le romancier, « viendront les émotions » (p. 908).Le narrateur a choisi de mener le lecteur pas à pas à la rencontre de cet univers romanesque exceptionnel. Le phénomène de rétrospective Le premier chapitre coïncide avec l’aboutissement du parcours amoureux des personnages principaux. Le couvent de l’île le chant de l’orgue et le chœur des religieuses correspondent à la dernière étape d’une quête pour Montriveau et à un prélude de mort pour Antoinette de langeais. Placé en préalable au récit de la rencontre et de l’aventure amoureuse, cet épisode initial leur confère la dynamique de l’ascension, la perspective du dépouillement et du tragique. De plus, le texte évolue selon une circularité qui en renforce l’unité. Le chapitre IV sublime au plus haut point chacun des éléments du récit antérieur : le renoncement de la duchesse, l’énergie de Montriveau à le vaincre, l’esthétique de l’extrême qui court dans le texte depuis le début chronologique de la rencontre entre les deux personnages. Le dénouement : concentration, amplification des éléments déjà contenus dans le premier chapitre. Début de roman tout à la fois spectaculaire et énigmatique : la description du décor, le thème de la claustration et de la magnificence des chants religieux, le mystère dont ils sont entourées les raisons profondes de la quête d’Armand de Montriveau : mystère à dévoiler Dés le début : apothéose de l’intensité romanesque Tous les éléments du récit sont en effet marqués du signe de l’exceptionnel • paysage et son association immédiate avec le sublime et le divin Ce dernier insiste particulièrement sur l'inaccessibilité du couvent haut perché sur un rocher perdu au milieu de la mer : il s'agit d'une image prémonitoire qui prélude à l'assaut des treize, il le motive presque, car toute attaque gagne en valeur si la forteresse est désignée comme « inattaquable ». Le rocher reflète également la difficulté dans la conquête, anticipant l'impossibilité d'accès à l'intimité amoureuse de la part de Montriveau au cours de la partie parisienne du récit. Il laisse également présager la défaite finale du conquérant et la victoire de l'œuvre de la nature sur l'œuvre de l'homme et il traduit enfin l’élévation spirituelle de la ducehsse, la rigueur et « l'éminence » de la règle monastique à laquelle la duchesse de Langeais s'est volontairement soumise, affirmant ainsi sa « mort » à l'amour charnel et anticipant sa mort véritable. • les émotions vécues par le général lors de l’audition des chants religieux, accompagnées d’hyperboles et amplifiées par des comparaisons Les sensations que lui causèrent les différents morceaux exécutés par la religieuse sont du petit nombre des choses dont l'expression est interdite à la parole, et la rend impuissante, mais qui, semblables à la mort, à Dieu, à l'Eternité, ne peuvent s'apprécier que dans le léger point de contact qu'elles ont avec l'homme. (178) • la théâtralité de l’entretien entre Armand de Montriveau et Antoinette de Langeais, accentuée par les détails du décor, grille, rideau, effets d’ombre et de lumière : cet entretien est traversé par une tension tragique , qui s’énonce à travers l’aporie des discours, la véhémence des demandes d’Armand, l’intransigeance radieuse des refus de la duchesse. Les personnages en scène s’accordent à cette intensité romanesque. Les qualificatifs qui construisent leurs portraits sont fréquemment hyperboliques. · Armand est décrit comme un être énergique, inscrit dans l’action, pétri du discours de l’autorité et de la volonté, orienté dans la perspective de la vie et de la satisfaction de ses désirs ; · la sœur Thérèse est décrite comme une femme dont le corps a été délibérément effacé, sacrifié, dont la vie s’oriente dans la perspective de l’éloignement du réel et des passions humaines, et qui absorbe son être dans un absolu à la fois mystique et passionnel. D’emblée le chapitre s’oriente autour du personnage de la sœur Thérèse = marques d’une existence délibérément vouée au suicide de soi, personnage de religieuse inscrit par les mots du texte dans la perspective d un renoncement lumineux 1 Deuxième chapitre L’amour dans la paroisse de Saint- Thomas d’Aquin digression historique et première étape de la guerre amoureuse. Le chapitre II commence par une longue description du faubourg Saint-Germain et par une analyse de l’aristocratie de la Restauration et de ses devoirs à l’égard de ce que le texte établit comme étant sa destination naturelle : le pouvoir, la gestion politique. Cette description éclaire la distorsion entre ses légitimités pouvoirs et ses insuffisances effectives ; le texte légitime la prééminence de l’aristocratie et son pouvoir mais les subordonne à un ensemble de qualités intellectuelles et morales et à une volonté d’agir dans le sens d’un intérêt collectif et populaire. Armand incarne pour une part ce versant social. Tandis que la duchesse illustre une figure compassée de l’aristocratie attachée à des considérations féodales. À l’occasion d’une soirée, elle rencontre le marquis Armand de Montriveau (poésie d’une vie d’aventures et de mystères). Chacun décide de séduire l’autre, le marquis de faire de la duchesse sa maîtresse, la duchesse d’attacher Armand à sa personne. Il retrace donc la rencontre parisienne entre le général et la duchesse, suivie par une succession de demandes et de refus amoureux dans le boudoir d'Antoinette de Langeais. Il s'achève sur la déclaration de guerre d’Armand de Montriveau (« acier contre acier ») et anticipe l'accélération du romanesque qui aura lieu dans le troisième (menace adressée à la duchesse par l'évocation de la décapitation du roi d'Angleterre, enlèvement nocturne de la femme, lettres sans réponse de la duchesse, épisode de la pendule et définitive fuite d’Antoinette après sa vaine attente dans la rue) Un Faubourg en voie de disparition Longue digression historique qui se relie à diverses interventions du narrateur tendant à éclairer les mœurs et les valeurs du « monde à part » (c'est ainsi que Balzac qualifie le Faubourg Saint- Germain) auquel appartient l'héroïne du roman. Le deuxième titre que Balzac donne à son œuvre, La Duchesse de Langeais, centré sur la lignée aristocratique du personnage principal, indique ce parcours de lecture à suivre. Un Balzac philosophe de son temps, impliqué dans la vie sociale, engagé dans les faits politiques, décrit et commente le contexte socio-politique où l'histoire a lieu. L'action de La Duchesse de Langeais se concentre dans le cercle étroit de l’aristocratie de l’Ancien Régime, revenue au pouvoir en 1814. L'irruption dans le récit de l'aventure du monde moderne - sanctionnée pourtant par sa défaite - a l'aspect sauvage et taciturne d'Armand de Montriveau, héros napoléonien et explorateur des déserts qui suscite la curiosité de ce monde De ce point de vue les digressions politiques balzaciennes seraient plutôt une forme de critique sévère de la noblesse d'épée qui, après avoir regagné sa position au sein du royaume, s'achemine inexorablement vers son propre déclin et s'apprête à être remplacée au pouvoir par les classes émergentes. Critique de l'affaiblissement du gouvernement aristocratique pendant la restauration, de son impuissance face aux transformations sociales, la méditation historique balzacienne relève avant tout d'une pensée philosophique par laquelle le romancier s'aventure dans une analyse politique au sens strict du terme. Il s'agit de l'expression d'une participation active de l'homme de lettre à son époque. D'une pensée mobile, qui assume ses contradictions et se met en jeu. Balzac instruit le procès de l’aristocratie restaurée au nom de deux principes qui fondent son discours politique : la vocation de l’aristocratie à gouverner, la nécessité pour elle de s’adapter à l’évolution historique, sous peine de disparaître. Une vision métaphorique de l’aristocratie monde fermé, défini : À la clôture de l’espace se superpose l’immobilité du temps. C’est au regard de cette composition harmonieuse de la société que Balzac dénonce les carences du faubourg Saint »Germain : à la plénitude du passé exprimée par les termes d’harmonie, d’ordre, d’unité, s’opposent les carences du présent, inscrites dans les notions de paraître, de jeu, de stérilité. L’aristocratie a substitué les insignes du pouvoir au pouvoir lui-même, l’époque est froide, mesquine, sans poésie… l’égoïsme y a remplacé la générosité Ainsi dans La Duchesse de Langeais, Balzac nourrit sa représentation du monde de la nostalgie d’un état originel perdu, fait de grandeur et d’héroïsme. L’idéal héroïque laissé vacant est réinvesti par des individus d’exception qui affirment leur existence dans un affrontement violent avec le réel : en allant jusqu’au bout de leur choix, Montriveau et la duchesse, devenue une femme vraie, imposent au monde la marque de l’absolu Au roman de mœurs se substitue un roman d’amour, relayé par un roman d’aventures, lui- même brutalement interrompu par une sentence finale ambiguë, voire cynique, à l’allure de morale (récit constitué d’éléments narratifs arbitrairement en suspens) Le conflit amoureux Contrairement au premier chapitre, ce chapitre se déroule conformément au schéma balzacien qui fait précéder les personnages de leur portrait, et qui met en œuvre ces portraits à travers la succession des discours et des comportements qui fonde l’intrigue. L’écriture de la contradiction qui caractérise le portrait de la duchesse, la métaphore de la chaleur et du feu qui accompagne celui d’Armand de Montriveau, se répercutent dans cette ambiguë coquetterie et cette ardeur du désir qui construit le conflit passionnel. 1 L’amour se définit comme une succession de demandes et de refus, ne peut se vivre que dans l’espace abstrait des discours, tout en étant la rencontre de deux absolus qui, s’ils n’ont pas le même langage, partagent les mêmes intransigeances. Le thème du conflit marque tous les niveaux d’analyse et dans le cadre de la relation amoureuse, les personnages illustrent deux figures de l’amour. La duchesse est présentée comme une coquette, qui nie l’amour à travers l’artifice et la théâtralité d’une série de discours et de comportements, qui, à travers ces codes et ces réticences, parvient à formuler une revendication audacieuse tant dans le regard sur la femme qu’elle induit que dans l’absolu de l’amour qu’elle proclame. Vécue par la duchesse de langeais, la coquetterie est une occasion de vouloir la liberté au féminin, et une manière de rencontrer un amour qui ne soit pas prisonnier ni du temps ni du corps, et qui puisse transcender les contraintes de la réalité Armand de Montriveau est présenté comme une figure du désir et de la passion, pour qui l’absolu se vit en termes de conquête, de possession et d’adoration. Réduit à l’espace clos d’un boudoir, l’amour se cristallise autour d’une irréductibilité qui en entretient l’intérêt. • Opposition et parallélisme • Espace clos du boudoir • Cristallisation tout à tour inversée Symétrie narrative du récit : l'asservissement amoureux du général, qui voue à la duchesse un véritable culte, et l'adoration exaltée de cette dernière envers Montriveau lorsqu'il s'éloigne d'elle. On distingue un « avant » narratif, caractérisé par l'esclavage amoureux du général et son insistance fébrile auprès de la duchesse, et un « après » marqué en revanche par les manifestations d'amour toujours plus pressantes d'Antoinette qui se heurtent à la permanence du refus du général, dont l'intransigeance est montrée par le silence et par l'absence. Le parallélisme entre le général et de la duchesse, introduit par le romancier lorsqu'il affirme qu'ils étaient également inexperts en amour, est ensuite développé en suivant un schéma de reprise analogique : […] les positions respectives des personnages s'inversent : elle était une «idole » depuis qu'il la délaisse il est « sa religion ». Son fétichisme, lorsqu’elle quitte la chambre d’Armand – dont elle emporte le bonnet de nuit – s'apparente au comportement du dévot adorateur de reliques. Il avait le désir de lui « sauter au cou» au milieu d'un bal ; elle l'« aime à [lui] sauter au cou dans le bal, devant tout le monde «. Nous pourrions multiplier les exemples de cette symétrie dans le comportement des héros...11 Symétrie de mise en scène Les deux héros font de leurs appartements le théâtre d'une mise en scène : la duchesse prédispose et joue une comédie sentimentale dans son boudoir, le général un épisode noir dans sa chambre secrète. Leur conquête, conduisant à l'alternance de l'emprise qu'ils ont l'un sur l'autre, se fait donc sur un mode théâtral commun bien que sur des registres différents. Troisième chapitre La femme vraie 1 11 ROY REVERZY, Eléonore. « La Duchesse de Langeais : un romanesque de la séparation? » in L'Année balzacienne, 1995, n° 16, p. 63-81. p. 76. Il réinsère les personnages dans la chronologie du cadre externe et achève l'aventure d'Armand de Montriveau et d'Antoinette de Langeais par l'échec de l'expédition des Treize, destinée à ravir la religieuse à son couvent. Le narrateur reprend la chronologie en rapport avec les événements évoqués dans le premier chapitre. L’action est située en 1823. Montriveau, après avoir retrouvé la duchesse, est retourné à Paris, et sous le couvert d’une expédition savante, a préparé un coup de main avec les Treize pour ravir la sœur Thérèse à son couvent. Le projet qui a été conçu est désigné, à travers les détails de sa mise en œuvre, comme une entreprise diabolique à la mesure d’hommes d’exception, comme un double défi, à la nature et à Dieu. La description du narrateur s’attarde sur les préparatifs de l’enlèvement et en fait ressortir l’audace et le génie. Armand de Montriveau s’isole deux nuits au le sommet d’un rocher, tout à côté du couvent, et se perd dans l’adoration de la voix aimée dont il distingue le timbre parmi toutes les voix du chœur. Son bonheur atteint l’absolu, dans la paradoxale certitude d’être au plus près d’Antoinette et de ne pouvoir la rejoindre. . .. la nuit de l’enlèvement a lieu : onze des compagnons d’Armand escaladent le rocher, s’introduisent dans le couvent. De Marsay déguisé en religieuse et Montriveau parviennent, par les corridors et les couloirs déserts, à la cellule de la sœur Thérèse, au moment même où retentit l’office des morts. Ils trouvent la duchesse morte, dans sa cellule, éclairée par deux flambeaux. Montriveau enlève le corps de la duchesse, et laisse le couvent épouvanté. Il veille son corps sur le bateau, puis le jette à la mer. Ronquerolles l’invite à renoncer à l’amour. L’épitaphe que Montriveau prononce sanctionnant la transmutation de la femme aimée, désormais cadavre, en « poème », clôt brutalement – et sur un ton caustique - le récit. Le titre Dieu fait les dénouements. Placé sous le signe de Dieu, le dernier chapitre impose tant le thème de l’inéluctable que celui du sublime. Placés dans la sphère de l’absolu, les deux personnages ne pouvaient que clore leurs parcours respectifs dans une double transcendance, celle de l’action jusqu’au défi des lois des hommes et de la nature, celle du renoncement et du sacrifice de soi jusqu’à la mort. Les deux absolus se donnent à lire comme des signes d’amour. La rapidité du dénouement Le dernier chapitre est bref et fondé sur une esthétique de l’intensité et de la rapidité. L’action des Treize, leur projet d’enlèvement, est traité avec un vocabulaire de l’exceptionnel et du spectaculaire qui les désigne comme les maîtres de la mer, de la nature, du temps. La chute du récit est précipitée, laissant en ellipse les sentiments de Montriveau, ellipse accentuée par le choix que fait le narrateur de donner le dernier mot au cynique Ronquerolles . Par cet effet de construction, le texte est en dernière instance comme détaché de lui même, séparé de sa propre substance romanesque. atmosphère du roman noir Le dernier chapitre accumule les références au roman noir, amorcées dans le chapitre antérieur : déguisement, préparation d’un enlèvement, société secrète, atmosphère nocturne et obscure, messe des morts, découverte et enlèvement d’un cadavre, corridors et couloirs déserts. Cette atmosphère souligne aussi la séparation irréductible entre les deux figures du roman. Montriveau entre en effet de plain-pied dans cette atmosphère. La duchesse, au contraire, s’efface dans ce dernier épisode, ne s’introduisant dans le texte que sous des formes transcendantes : voix mêlée aux vents de la mer, chant religieux, corps éclairé par des flambeaux, et sublimé par la sérénité de la mort. A travers ce contraste, les personnages sont menés jusqu’à l’absolu de leur choix. Un univers de transcendance Le chapitre est placé sous le signe de l’ascension : l’enlèvement de la duchesse s’identifie à la conquête d’un lieu que le texte insiste pour désigner avec un lexique du minéral , roc, rocher, qui en suggère en permanence l’inaccessibilité. Le monde extérieur est délibérément tenu à l’écart, exclu de la moindre perspective romanesque, qui lui substitue l’infini de la mer et du ciel. La voix de la duchesse, ultime manifestation de sa vie et de sa spiritualité, son corps rejeté à la mer, la délient de toute pesanteur charnelle. Subliment sa propre matérialité. Les derniers sentiments de Montriveau s’abstraient du texte, son dernier mot consacre en la duchesse le sublime et la transcendance du « poème », et la dernière page du récit absorbe l’ensemble du roman dans le non lieu de la mer, consacrant la séparation finale des deux figures héroïques. Le texte s’achève, une fois la réalité devenue œuvre d’art, à travers le passage de la sylphide parisienne à la religieuse dépérie dans les élancements de l’amour L’espace Paris : l’espace absent pour une aventure au-delà du réel. 1 A Paris, mythique dans l’univers balzacien, support de toute une réalité, se substitue dans La Duchesse de langeais un microcosme d’emblée désigné comme monde à part, en situation d’écart par rapport au réel, le monde fragile, clos et protégé des jardins et des hôtels du faubourg Saint-Germain. Portée par un absolu qui nie le réel, l’aventure qui rapproche Armand de Montriveau et Antoinette de langeais débute ainsi dans un lieu qui affiche ne tenace quoique précaire volonté d’exclure la réalité. Paris, et l’ensemble de la société qu’il véhicule, n’apparaît qu’à la fin du chapitre III, dans un regard de la duchesse qui de fait le nie, l’anéantit au profit d’un définitif renoncement au monde et aux hommes : Elle pleura quand elle atteignit le boulevard d’Enfer. Là, pour la dernière fois, elle regarda Paris brumeux, bruyant, couvert de la rouge atmosphère produite par ses lumières ; puis elle JI monta dans une voiture de place et sortit de cette ville pour n’y jamais rentrer. Boudoirs et chambres : l’espace cloisonné d’un amour impossible L’essentiel du roman se joue dans le boudoir et le salon d’Antoinette de langeais. Cet espace assure à l’amour la garantie de son intimité tout en préservant le jeu du désir. A l’inverse des salons illuminés du soir, il correspond à un espace accessible aux discours vrais, aux émotions, mais marqué par une succession d’interdits : la musique de piano y tient lieu d’aveu d’amour, il n’est que fragilement protégé du regard inquisiteur des domestiques. La chambre reste l’espace inaccessible où seule la duchesse en proie aux tourments d’un amour méconnu, connaît les troubles de la passion. Ces lieux, codés à l’excès, et où se noue le drame d’un amour que le refus de la trivialité condamne à la transcendance ou à la disparition, sont concurrencés par les lieux monacaux : la chambre de Montriveau, sorte de préfiguration de la cellule de la sœur Thérèse, doubles et mêmes lieux du renoncement à l’autre, en solidarité d’un côté avec les hommes de l’énergie, les compagnons de la bravoure et les associés du diable, et de l’autre avec Dieu. Les espaces naturels . Le couvent sur son rocher. Le gothique et le minéral, tous deux signes d’un même sacré, s’accordent à une perspective du renoncement dans l’élévation qui accompagne le sublime passionnel et humain que le texte choisit de mettre en scène. Ouvrant et fermant le récit, les lieux naturels , se trouvent mis en valeur, exacerbés par les descriptions du narrateur et leur permanente association au thème de la musique. Marqués par l’absolu d’un contexte marin, ils expriment à travers cet infini de la mer, le double renoncement et d’une quête amoureuse Le boudoir Jean-François Richier étudie le boudoir comme espace romanesque de la confrontation amoureuse et parcourt l'évolution historique de ce terme et du concept spatial qu'il désigne. Il Témoignée d'ailleurs par « le lexique théâtral, délibérément adopté pour le titre général de l'œuvre romanesque et pour chaque section »17 - elle relève de la volonté du romancier d'atteindre une forme romanesque totale, « capable le donner en même temps la sensation visuelle et auditive d'un spectacle concret et les explications circonstanciées d'un long récit »18. Non seulement Balzac enrichit son œuvre de références théâtrales diverses, issues de sa connaissance approfondie des classiques et de la scène de son temps, mais il exploite toutes les ressources que le théâtre met à sa disposition pour la construction de ses récits (choix des comédiens et distribution des rôles, entrées et sorties de scènes, éclairage, son et décor, dialogues, ponctuation du récit par l'alternance de scènes descriptives et de coups de théâtre, etc) jusqu'à faire du roman […] un ensemble de scènes choisies reliées entre elles par des passages explicatifs, un tableau vivant à plusieurs volets, une fresque à épisodes dont le sujet sera alternativement raconté et illustré. Cette conception toute théâtrale du récit romanesque s'accorde parfaitement avec la vision balzacienne d'un Theatrum mundi. Actualisant ce topos très ancien, Balzac compare explicitement la vie humaine à un spectacle, tantôt drame, tantôt comédie19 Balzac récupère de manière personnelle la notion de Theatrum mundi, allégorie baroque inspirée des penseurs grecs qui porte sur la comparaison entre la réalité et une scène où les êtres jouent tous, plus ou moins consciemment, un rôle et s'exposent au regard des autres, à la fois partenaires et spectateurs de cette pantomime20. L'expression, désormais acquise dans le vocabulaire courant, rentre dans l'œuvre balzacienne comme image de la réalité saisie par le regard du romancier ; elle est sujet romanesque par excellence, mais aussi image en miroir du processus fictionnel. Elle exprime l'ambition balzacienne de représenter sous tous ses aspects et sous tous les angles de vision, une réalité vivante et animée, en créant, parallèlement, une mise en abyme de cette même représentation. Car […] la vie sociale n'est que comédie ; chacun de nous y joue son rôle, y arbore son masque, y fait sa propre mise en scène. C'est bien ce que Balzac a voulu souligner par le titre qu'il a choisi en 1840 pour l'ensemble de ses romans, pour cette « ample comédie à cent actes divers» comme dit La 1 17 BARON, Anne-Marie. Balzac cinéaste, op. cit. p. 10. 18 Ibid. p. 10. 19 Ibid. p. 19. 20 Véhiculée partout en Europe à travers les grandes tragi-comédies françaises et espagnoles, comme L'illusion comique de Pierre Corneille et Le grand théâtre du monde de Pedro Calderon de la Barca. Fontaine, qui a l'ambition d'être « la représentation totale d'une réalité sociale saisie en action »21 La vie sociale étant une « duperie » où chacun s'exhibe pour parvenir à ses fins et chaque échange est faussé par l'adoption d'un masque, il ne reste à l'auteur de La Comédie Humaine qu'à renforcer l'illusion théâtrale : il s'en sert comme d'un procédé technique et il en fait un thème d'exception à étaler sur son entière production. Car « seul l'artifice serait capable de traduire la réalité dans toute sa force. Tel est le paradoxe du romancier. »22. hypotypose = présence « vivante » que la langue faussement réaliste du romancier sait multiplier en vigueur et en puissance dramatique. Car l'hypotypose23 caractérise le style du romancier : tout est dépeint dans La Comédie Humaine toute entière d'une manière si vive, si frappante, si énergique que le lecteur y voit un tableau vivant dont on s'attend à ce qu'il soit « mis en scène ». • Mise en scène de soi : les personnages/acteurs de leur propre comédie La Duchesse de Langeais (2 chapitre) Il est intéressant de remarquer que Balzac ne thématise pas le théâtre proprement dit dans une œuvre qui en est pourtant imprégnée comme La Duchesse de Langeais : la mise en abyme de l'artifice théâtral consiste d'abord dans la mise en scène de soi de la part de l'héroïne lors des réceptions mondaines ou dans son propre boudoir devant un seul spectateur qui est aussi son – involontaire – partenaire du jeu, Armand de Montriveau. La société aristocratique au sein de laquelle se déroule le récit balzacien destine des lieux spécifiques (les salles de théâtre et les salons) et des événements rituels (les spectacles proprement dits et les bals) à la mise en scène de l'individu ou du corps social dans son ensemble et rend ainsi manifeste le concept de « théâtre du monde ». Antoinette de Langeais règne sur cet univers en représentation perpétuelle et, lors des réceptions mondaines dans les salons aristocratiques, elle est le point de convergences des regards des acteurs/spectateurs appartenant à sa caste : Depuis dix-huit mois, la duchesse de Langeais menait cette vie creuse, exclusivement remplie par le bal, par les visites faites par le bal, par des triomphes sans objet, par des passions éphémères [...]. 21 BARON, Anne-Marie. Balzac cinéaste, op. cit. p. 19. 22 Ibid. p. 24. 23 Hypotypose : figure du discours qui peint les choses d’une manière si vive et si énergique qu’elle les met en quelque sorte sous les yeux, et fait d’un récit ou d’une description, une image, un tableau, ou même une scène vivante (Pierre, Fontanier. Les figure du discours, introduction par Gérard Genette, Paris, Flammarion, 1968 p. 390.) Quand elle arrivait dans un salon, les regards se concentraient sur elle, elle moissonnait des mots flatteur, quelques expressions passionnées qu'elle encourageait du geste, du regard, et qui ne pouvait jamais aller plus loin que l'épiderme ; son ton, ses manières, tout en elle faisait autorité (p.939) Balzac donne à son héroïne l'assurance et la distance d'une « primadonna » sur scène ; il la met en condition de contrôler chaque regard et chaque geste en feignant la spontanéité, il l'investit de cette attention particulière portée simultanément sur elle-même et sur son public qui seule garantit aux comédiens la maîtrise de leurs personnages et l'emprise sur les spectateurs. La duchesse de Langeais exhibe dans son jeu social la technique d'une comédienne expérimentée telle qu'elle est décrite dans le Paradoxe sur le comédien24 de Diderot, selon lequel un acteur convaincant se sert de son corps comme d’un instrument et parvient à exprimer parfaitement une émotion qu'il ne ressent pas. Le paradoxe25 consiste dans le fait que moins on éprouve de sentiments, mieux on parvient à les manifester sur scène. L'extrême sensibilité ferait des acteurs médiocres, tandis que le manque de sensibilité produirait des acteurs sublimes. La maîtrise de l'émotivité est liée au regard : le grand acteur ne cesse de s'observer en même temps qu'il observe son public et les effets qu'il produit sur lui, pour renforcer l'illusion et mieux le prendre à son piège. Chez la duchesse, le contrôle de l'ensemble de ses impulsions conduit à un écart entre l'expression corporelle (à laquelle on associe le langage) et l'intimité émotionnelle, qui reste « muette » jusqu'à la révélation « parlée » qui a lieu dans la chambre secrète de Montriveau. Créature faite de mousseline, de voiles et de rubans au lieu d'être une créature de chair, la duchesse de Langeais travaille à la composition de soi avant de se montrer au monde ou tout simplement au général. Elle choisit les couleurs, les formes et les accessoires de ses costumes et les associe de manière à en tirer un résultat harmonieux ou à en faire un instrument de séduction. Elle n'est pas simplement « à l'aise » dans son univers, elle semble être à la fois son émanation et le démiurge qui en tire les ficelles : elle gère chaque détail de sa propre mise en scène et cherche à établir une sorte de communion entre soi-même et son espace de représentation. « créature vraiment multiple » à qui seule « la grâce servait d'unité » (p. 935) « la mobilité toute française de sa personne » ainsi que sa nature « incessamment changeante » ayant « un prodigieux attrait pour les hommes » (p.935). Le marquis, à la fois imposant et gauche, ne porte que son uniforme ou une redingote citadine: « Il portait dans la société une figure grave et recueillie, silencieuse et froide. Il y eut beaucoup de succès, précisément parce qu'il tranchait fortement sur la masse des physionomies convenues qui meublent les salons de Paris » (p.943). définition que le narrateur balzacien utilise 1 24 Essai sur le théâtre rédigé sous forme de dialogue par Denis Diderot entre 1773 et 1777 et publié à titre posthume en 1830. DIDEROT, Denis. Paradoxe sur le comédien, in Œuvres Esthétiques, Paris éditions Garnier, Bordas, 1988. De p. 297 à p. 381. 25 Au sens où indiqué par l'Encyclopédie : « proposition absurde en apparence, à cause qu'elle est contraire aux opinions reçues, et qui, néanmoins, est vraie au fond ». Le chapitre Il, L’Amour dans la paroisse de Saint-Thomas d’Aquin évoque une nouvelle édition de La Femme sans cœur, mais l’évolution de l’héroïne vers la passion puis l’amour, l’ouverture et la clôture du récit coïncident avec une exaltation du sublime et du tragique qui donne au texte d’autres perspectives. • La guerre mondaine, la comédie de salon et le jeu du langage Opposition apparente : la duchesse de Langeais est décrite comme une jeune fille de vingt ans28 à la chevelure blonde, « le type le plus complet de la nature à la fois supérieure et faible, grande et petite, de sa caste », l'aristocratie affaiblie du faubourg Saint-Germain. Le général est massif et lourd, à la chevelure noire, « petit, large de buste, musculeux comme un lion » Balzac lui avait donné ses traits pour élaborer, dans la fiction, sa déception amoureuse auprès de la Duchesse de Castries. L’évolution de la duchesse dans le microcosme du faubourg et l’expérience de vie du soldat dans l’infini du désert / l’artifice du bal e la sincérité de M / le langage précieux d’Antoinette et le silence de M / 'action ferme du soldat s’oppose l'abstraction mobile de la duchesse / l'obstination et l'intransigeance parfois aveugle de la volonté de Montriveau / une pensée en mouvement qui se dévore elle-même dans une quête également obstinée de l'idéal qui seul lui paraît à sa mesure la duchesse. Le bestiaire que Balzac dessine dans La duchesse de Langeais, se traduit dans leurs aspects physiques et dans leurs attitudes : […] les salons sont dépeints comme un univers de singes ( entendons une vie de mimétisme); la Duchesse y est à la fois un cygne, une libellule, une bergeronnette et un poisson, idéal féminin assez traditionnel, fragile, agile et subtil, mais preuve que l'état social se caractérise par un éparpillement qui tue la vie; Montriveau apparaît comme un lion ou un taureau, un cheval ou un aigle : là aussi, il s'agit d'un idéal viril assez conventionnel, mais on peut y voir également le symbole de la concentration d'énergie dans l'état de flamme. Et précisément, quand cette énergie est trop comprimée, la bête sauvage devient bête féroce, le lion devient tigre.29 28 La jeunesse du personnage contribue d'ailleurs à en motiver l'inexpérience amoureuse 29 FRANGI, Françoise. « Sur La Duchesse de Langeais. Un essai de lecture stylistique », op. cit. p. 239 Ce réseau métaphorique contribue à exprimer la question philosophique de l'énergie vitale, centrale dans l'œuvre de Balzac30. l'expression physique de l'énergie comprimée : le lion sauvage, s’appuyant sur son physique épais et raide, mal à l’aise face à sa passion, mène son combat contre un oiseau volage, mobile dans le regard et dans les gestes, et contre un poisson sinueux qui glisse dans son précieux aquarium et lui échappe. Cependant au cours de l'enlèvement d'Antoinette, Montriveau la désigne comme un de ces « tigres du désert, qui font d'abord la plaie, et puis la lèchent » (p.995) la rapprochant ainsi de sa propre personne. Auparavant, pendant le bal qui précède la scène en question, le narrateur balzacien affirme que les yeux du général « plongeaient sur cette tête tournoyante, comme ceux d'un tigre sur sa proie. » (p.989). Deux fauves, donc, l'un sauvage, l'autre éduquée aux manières du Faubourg Saint- Germain, se guettent et se reniflent, s’éloignent et se rapprochent dans des huis-clos aristocratiques qui ne sont pas à la mesure de leur énergie. Thème du fétichisme amoureux et de l’idolatrie qui se relie à l'emploi de la métonymie dans l'œuvre de Balzac : le gant et le cigare Le marquis d'abord et la duchesse ensuite, selon l'alternance de l'emprise qu'ils gardent l'un sur l'autre, transfèrent leur désir et leur affectivité sur des objets qui appartiennent à l'être aimé et l'expriment en son absence ou dans l'impossibilité de sa possession. Le narrateur souligne maintes fois la tendance de la femme à couvrir - ou voiler - et découvrir - ou dévoiler- en alternance des parties de son corps, en parallèle aux actions opposées de mettre et d'enlever des accessoires. Or, ces « pièces détachées » ont une valeur métaphorique bien évidente dans le jeu de séduction de la duchesse, mais également dans le jeu « d'écriture » de Balzac : les détails physiques ou les objets reliés aux personnages parviennent à les signifier. Dans ces passages du roman, la duchesse pour laquelle le général brûle de désir ne montre d'elle que le pied, censé la définir dans l'éclat de sa beauté : « La métonymie est ici évidente. C'est la partie au lieu du tout. Primitif, sensuel, irraisonné, le culte de la duchesse de la part de Montriveau rentre de droit dans son obstination aveugle dans la conquête amoureuse. La scène du pied est la première d'une série destinée à évoquer le fétichisme amoureux du général qui prend la forme d'une véritable idolâtrie s'appuyant sur la connotation de Montriveau comme « sauvage » et comme « enfant », qui porterait donc sur les objets appartenant à la duchesse un regard naïf, dépourvu de malice sociale. Dans le roman, d'ailleurs, Montriveau désigne la duchesse de 1 30 Presque aucune métaphore balzacienne n'est occasionnelle ni simplement décorative, elle se répète de manière systématique dans le récit ou, plus fréquemment, dans l'ensemble de La Comédie Humaine, pour illustrer la philosophie composite et hétérodoxe du romancier. Langeais comme « croyance » (p. 242) et le narrateur affirme qu'il « avait la foi » (p. 264) envers une femme qu'il considérait « si supérieure » (p. 231) ; ensuite, au cours de l'épisode de l'enlèvement, sa désillusion lui fera prononcer la phrase « je ne me sens plus la foi », assertion qui, même si sous forme de négation, souligne l'analogie entre la femme et la religion. Si le fétichisme d'Armand à l'égard de tout ce qui entoure et désigne la duchesse se rapproche donc de l'adoration qu'il lui voue et participe du sacré qui connote la conquête amoureuse, l'ambiguïté de la mise en scène d'Antoinette fait que cette tendance à la sublimation est souvent rabaissée à un jeu de salon. Au cours du deuxième rendez-vous, les domestiques de la duchesse invitent Montriveau à attendre pendant qu'elle termine sa toilette: Armand se promena dans le salon en étudiant le goût répandu dans les moindres détails. Il admira madame de Langeais, en admirant les choses qui venaient d'elle et en trahissaient les habitudes, avant qu'il pût en saisir la personne et les idées. (p 955) Une vieille fée, marraine de quelque princesse méconnue, avait seule pu tourner autour du cou de cette coquette personne le nuage d'une gaze dont les plis avaient les tons vifs que soutenait encore l'éclat d'une peau satinée [...] en glissant avec rapidité vers Armand, elle fit voler les deux bouts de l'écharpe qui pendait à ses côtés (p.955) mouvements aériens de la duchesse et immobilité extatique de Montriveau Elle s’assit et parut fort maladroite à mettre ses gants, en voulant en faire glisser la peau d’abord trop étroite le long de ses doigts, et regarder en même temps monsieur de Montriveau, qui admirait alternativement la duchesse et la grâce de ses gestes réitérés (p. 956) l'effet de séduction tient du contraste savamment étudié entre la maladresse et la grâce du geste de la duchesse, il vient de la lenteur qui permet à l'observateur de figer son regard et de le remplir d'une attente amoureuse destinée cependant à rester insatisfaite. Balzac avait écrit un véritable traité de sociologie à l’usage du grand public sur l'art de se ganter, Études des mœurs par les gants, publié dans le journal la Silhouette en 1830 : une femme qui met ou ôte ses gants devant un « public » exprime sa sexualité, la lenteur du geste de dévoilement étant un outil à engendrer le désir en analogie avec un véritable strip-tease actuel. La partie désigne le tout, le jeu du caché-dévoilé est sans cesse réaffirmé. Si le gant désigne la femme, le cigare31, par une métaphore assez grossière, ne peut que désigner le personnage masculin. La duchesse accède au fétichisme amoureux lorsque les rôles s'inversent et qu'elle se retrouve délaissée par son ancien adorateur. En une phrase qui peut passer inaperçue à une rapide lecture, le narrateur raconte qu’Antoinette s’empare d’un cigare qu’Armand venait de mouiller pour le fumer lui 31 Balzac dédie un paragraphe entier au cigare dans son Traité des excitants modernes : « Fumer un cigare, c'est fumer du feu ». « géographique » vers un territoire qui soit proche du cœur de l'aimée, revisitant ainsi, avec humour, la célèbre Carte de tendre37 : le héros napoléonien, aux désirs violents et à la parole rare, est attiré dans un labyrinthe amoureux rendu inextricable par le langage précieux de la duchesse, et cherche à traverser cette nouvelle Carte de tendre qu'Antoinette de Langeais dessine au jour le jour dans son boudoir, comme une araignée tissant sa toile. Le récit du désert La fausse progression du général vers l'espace privé d'Antoinette de Langeais est symbolisée par le récit de ses aventures dans le désert que la duchesse l'invite à reprendre dans son boudoir. Lors de leur rencontre au bal, elle demande au héros napoléonien de lui faire le récit de son aventure comme prétexte pour s'isoler avec lui et l'inviter chez elle le lendemain. Elle l'exhorte par la suite, dans son boudoir, à reprendre la narration et elle parvient à faire de cette reprise une manœuvre dilatoire dans son jeu de séduction. Ce récit est mise en abyme du processus de narration et de construction à rebours du récit balzacien : le récit du désert est centré sur la récupération d'une entreprise héroïque du passé en forme de quête (réactualisée d'ailleurs dans la dernière lettre d'Antoinette)38. Le récit du voyage dans le désert où le soldat, attiré par un mirage qui ne cesse de lui échapper et soutenu par un guide inexorable (qui, comme Antoinette, est à la fois bourreau et sauveur), a failli perdre la vie et la raison, est le miroir de la quête amoureuse que la duchesse impose à son « chevalier ». Selon l'idéal courtois qu'Antoinette lit dans l'aventure de Montriveau et qu'elle réécrit dans l'aventure bien statique qui se joue dans son boudoir, toutes les forces du chevalier sont tendues vers un idéal de dépassement de lui-même, au service de la dame à laquelle il se voue entièrement. La torture physique et morale que l'expédition représente n'est que la représentation des épreuves auxquelles il doit se soumettre pour parvenir à son but ultime, une oasis apparaissant comme un paradis au-delà de l’humain. Elle figure l'obstination et la douleur de la quête amoureuse. L'étirement temporel du récit n'est qu'une prolongation des temps morts du désir, dont la consommation apparaît comme une source d'eau « spatialement » proche et pourtant distante, inaccessible. La clôture spatiale (le boudoir) s'oppose à l'extension géographique du désert, mais ce dernier évoque une idée d'infini subjectif, l'infini temporel auquel la duchesse voudrait faire correspondre sa passion. La proximité du mirage 1 37 La carte de Tendre (dite aussi, erronément, Carte du tendre) est la carte d’un pays imaginaire appelé « Tendre » inspiré au XVIIe siècle par Clélie de Madeleine de Scudéry. Il s'agit de la représentation topographique et allégorique des différentes étapes de la vie amoureuse. 38 Au risque d'une sur-interprétation, nous pourrions même voir comme un ultérieur exemple de mise en abyme du processus de reconversion du passé en récit le passage où Sœur Thérèse transcrit musicalement l’histoire de son amour passé et de ses sentiments successifs et parvient à se faire comprendre par Montriveau au delà des barrières qui les séparent. ne fait que rendre plus dur le martyre du soldat, lequel non seulement ne parvient pas à s'apaiser à la source, mais il endure une captivité plus cruelle que celle subie en Afrique. Le romancier dessine un personnage féminin outrancier, qui se veut – et se construit - comme héroïne du grand siècle : l'appartenance de la duchesse à sa caste est donc mitigée par l'affirmation romantique du moi, d'un moi anachronique par rapport à l'époque où se situe l'histoire. La «paroisse Saint-Thomas d'Aquin « ne serait que l'espace des mondanités d'une aristocratie en pleine stagnation, empêchant toute aventure et toute action : à partir de ce constat, on peut voir Antoinette de Langeais non comme le produit de cette société, mais comme l'incarnation « des valeurs chevaleresques autrefois spécifiques de sa caste »39. Comme l'explique Arlette Michel, Ce refus du romanesque par le faubourg Saint-Germain nous oblige à réviser une conviction que le romancier affecte de nous imposer : Antoinette de Langeais serait l'incarnation de l'aristocratie sous la Restauration. Il serait plus exact de dire que si elle diffuse en effet une idéologie, si elle remplit une fonction sociale caractéristique de sa caste, elle symbolise aussi, dans cet ordre qui eut autrefois ses héroïnes, tout ce qui survit d'instinct de grandeur et d'esprit chevaleresque (désormais incompris et inefficace).40 Le critique renforce cette explication en comparant Antoinette de Langeais, qui « règle sa vie sur un modèle qu'eussent avoué les Valois »41 et « entend vivre en 1820 sa vie comme un roman du grand siècle »42 avec Mathilde de la Mole, l'héroïne également anachronique de Le rouge et le noir de Stendhal43. Anne-Marie Baron rectifie : Il est vrai qu'elle aussi est née dans un milieu qui l'ennuie et qu'elle cherche à rompre la monotonie de son existence par une grande passion. Toutes deux ont besoin d'être domptées et d'avoir peur pour aimer. Mais une fois maîtrisées, elles acceptent sans hésiter toutes les conséquences de leur choix. Il y a, chez ces deux héroïnes très stendhaliennes un peu de l'orgueil de Médée. Mais si Stendhal a fait de Mathilde une figure d'exception qui tranche sur les habitants du faubourg, Balzac a fait de sa duchesse une émanation de ce milieu, le symbole de toute une caste dont il dénonce les faiblesses.44 39 MICHEL, Arlette. « La Duchesse de Langeais et le romanesque balzacien » op. cit. p. 94. 40 Ibid. p. 95. 41 Ibid. p. 95. 42 Ibid. p. 95. 43 Ultérieure possibilité de rapprochement entre les deux écrivains et exemple ultérieur de désir transfigurée par la femme qui aime. 44 BARON, Anne Marie. « La Duchesse de Langeais ou la coquetterie du narrateur » op. cit. p. 9. L'adoption et la revendication d'un défi héroïque ne sont pas immédiates chez la duchesse de Langeais, car seule la rencontre avec le général Montriveau peut révéler la « femme vraie » à elle même et laisser apparaître cette nouvelle figure derrière l'aristocrate du Faubourg.45 Trois identités : la duchesse de langeais (cette identité renvoie au personnage mondain et aristocratique, désigné dès le départ du texte comme une incarnation du noble faubourg, portant à leur extrême les valeurs et les comportements qui le caractérisent) Antoinette de Navarreins (cette identité seconde coïncide avec une identification de la duchesse à une noblesse féodale, indifférente aux codes et aux convenances, soucieuse d’éclats héroïques et d’authenticité. Ce personnage intermédiaire prépare par la mutation des valeurs morales qui le traversent, le personnage grandi et sublimé de la sœur Thérèse) La sœur Thérèse femme inaccessible à amour humain. Le personnage titre, la Duchesse de langeais, résume ces trois figures d’elle-même, déployées et mises en concurrence par le récit, illustre une évolution romanesque dite comme l’éclosion, la révélation d’une identité héroïque sublime latente. L'authenticité retrouvée d'Antoinette de Langeais est pourtant bien « littéraire » et fort illusoire, car elle porte sur l'adoption de la part de la duchesse d'un idéal héroïque romanesque. Lorsqu'elle décide d'aimer un individu d'exception dont elle célèbre la « grande âme », elle ne peut que s'éloigner du « monde » dont auparavant elle était l'incarnation et elle redouble d’efforts pour atteindre un idéal qui seul lui paraît à sa mesure. De la quête chevaleresque à la cristallisation amoureuse Balzac connaît et apprécie l'œuvre de Stendhal. Il est donc fort probable qu'il emprunte à la théorie de la cristallisation amoureuse l'idée de l'amour comme produit de 1 45 Nous verrons de quelle manière cette nouvelle naissance peut s'inscrire dans un parcours philosophique balzacien liée à l'énergie et au choc, à la rencontre conflictuelle provoquant une sorte de révélation. « sert d'exutoire terrible à l'énergie du barbare »49. Figure héroïque sur les champs de batailles, explorateur sauvage du désert et impitoyable pirate des mers, Armand de Montriveau évoque à lui seul l'image de la révolte romantique, il somme en lui « trois figures où s'incarne l'énergie avec tous ses prestiges 'horribles' et 'sublimes' »50. Expression d'une jeunesse qui cherche la poésie dans l'action et se retrouve désœuvrée et impuissante dans les salons du Faubourg, le général est le « héros d'un véritable 'drame de l'école moderne' ayant « à souffrir de la platitude prosaïque du monde »51 sans savoir où canaliser la puissance de son sentir. À l'époque de la Restauration, le général est un de ces «grands hommes inconnus» qui ne peuvent «s'attacher à la vie, parce qu'ils ne trouvent pas à y développer leur force ou leurs sentiments dans toute leur étendue » Au vertige de l'héroïsme sentimental d'Antoinette, il oppose le vertige de l'action de conquête, car il participe du même excès dans son « sentir » et il s'expose aux souffrances comme à l'occasion de dépasser ses limites. La violence de l’amour Violence des désirs parallèle à la violence de leur insatisfaction Le texte insiste pour dire l’inexpérience amoureuse d’Antoinette et de Montriveau. L’amour les livre à l’expérience du désir, dont le récit dit la force à travers deux stratégies d’écriture : · le lexique de la chaleur, de la brûlure · des situations romanesques exacerbées : l’enlèvement d’Antoinette, le projet de vengeance de Montriveau qui projette à travers son geste l’appropriation suprême du corps, et révèle en Antoinette la force des désirs. Violence des conflits L’amour se vit dans des conflits extrêmes qui révèlent aux personnages leur grandeur à travers la souffrance d’aimer. Le conflit verbal dans le boudoir : Balzac décrit des blocs de résistance « physique » dévoilant, par instants, l'élan des sens mainte fois réprimé, la force d'un désir que l'un ne parvient pas à maitriser et que l'autre veut éternel, craignant qu'il ne se révèle, une fois assouvi, éphémère. L’étirement temporel des préambules 49 Ibid. p. 96. 50 Ibid. p. 96. 51 Ibid. p. 97. Le vocabulaire de la cruauté traverse tout le troisième chapitre, et le cadre fantastique, la présence menaçante des hommes masqués, la flétrissure évoquée distribuent les rôles de victime et de bourreau très à même de traduire cette violence au sein des rapports amoureux. Violence des défis Armand se vengeur suprême, dont les lois obscures se substituent aux lois des hommes. La duchesse, renoue à travers son amour avec les grandeurs du XVIIIe siècle dont la Restauration a perdu l’éclat. Antoinette exige un amour capable de dépasser le sacrifice du désir, Armand exige un amour capable d’accepter l’exercice du désir. L’équilibre des discours, la symétrie de leurs formules, les rapprochements permanents que le texte suggère entre Antoinette et Montriveau désignent encore plus cette irréductibilité qui les oppose. Dans les deux cas, les personnages défient le social, et leur défi mutuel les érige en force, acier contre acier, combat de l’absolu contre l’absolu qui ne peut se résoudre que dans une double mort, mort au monde pour Antoinette dont le texte associe la prise de voile à un suicide, mort à l’amour pour Montriveau à qui Ronquerolles sert de mentor ultime L’amour décuple l’élan d’Antoinette hors de soi (effacement du corps, accès à une relation d’amour pur) Pour Montriveau, l’amour inspire un déploiement de l’énergie dans le réel, une succession de défis à la société, à la nature, à Dieu lui-même qui prend les couleurs symboliques de l’Enfer. De la coquetterie à la claustration, la sublimation du réel la duchesse accentue une stratégie du refus, en revanche de l’expression du désir au défi à l’ordre religieux, Armand de Montriveau amplifie une stratégie du vouloir, du pouvoir. Une telle stratégie met en valeur une double orientation : • d’une part l‘idée que l’amour est poème, création, construction et déroulement de l’imaginaire, ce qui renvoie à une conception classique de l’amour dans l’œuvre de Balzac ; • d’autre part, l’idée du tragique et de la Passion, L’amour comme figure de l’absolu, moyen d’accès au sublime, autre obsession de La Comédie humaine. 1 Spiritualité et transcendance Le roman d'une bataille des sexes et l'étude d'une femme qui découvre tragiquement le pouvoir de l'amour se transforme en traité cruel de l'empêchement amoureux et en quête spirituelle autour de la souffrance comme dépassement de soi : amour éternellement frustré, demeuré à l'état de recherche, de désir - lente torture d'abord, souffrance enragée ensuite et suicide à la vie ou mélancolique acceptation à la fin. . Balzac ne se limite pas à mettre en scène un amour impossible et tragique, il en accentue les implications spirituelles et philosophiques. Il l'insère dans son système philosophique centré sur la lutte comme principe générateur de la vie et en même temps destructeur, sur l'usure des forces vitales causée par l'exercice excessif de la pensée ou par la concentration obsessionnelle des énergies dans une entreprise perdue d'avance. Histoire d'une « quête ardente »52 où les deux combattants prêts à se dépasser pour atteindre une forme d'absolu amoureux mettent en jeu leur vie , Ce combat se révèle être meurtrier et 52 MICHEL, Arlette. « La Duchesse de Langeais et le romanesque balzacien », op. cit. p. 93. comprend que ce « poème » musical «était l'avenir, le présent et le passé » (p. 914). Il s'agit de l'apparition soudaine et inattendue à travers la musique d'une unité artistique capable de résumer une vie entière et de lui donner un sens. Peu après, le narrateur pose au lecteur une question rhétorique : « La Religion, l'Amour et la Musique ne sont-ils pas la triple expression d'un même fait, le besoin d'expansion dont est travaillée toute âme noble? » (p. 914) et illustre ainsi l'élan métaphysique qui sous-tend l'incessant travail d'écriture du romancier. La musique, dans l'œuvre de Balzac, est souvent désignée comme l'instrument privilégié d'une transmission non verbale qui, touchant aux sens, conduit à une révélation et à la communion des âmes le langage musical s'avère être poétique car capable de toucher simultanément à l'esprit et aux sens et de transmettre intégralement non seulement des concepts mais la plénitude et l'unité finalement retrouvée de l'âme humaine. chants religieux au début et à la fin, accompagnées d’hyperboles et amplifiées par des comparaisons le motif du fleuve du Tage repris deux fois dans La Duchesse de Langeais, comme expression sublimée de l'amour entre Antoinette et Armand (analogie évidente entre et la petite phrase de Vinteuil revenant à plusieurs reprises dans l'œuvre de Proust pour évoquer le lien entre Swann et Odette.54) Quant au « Magnificat », il sera transformé par Sœur Thérèse en poème symphonique de ses amours passées.55 « Sœur Thérèse transcrit musicalement l’histoire de ses amours passés, ses sentiments successifs jusqu’à ce jour où son amant la retrouve. La musique comble donc un vide temporel en même temps qu’elle est un moyen privilégié de communiquer avec le seul Montriveau »56. 1 54 Lise de Laguérenne, dans son texte critique De la duchesse de Langeais à la sonate de Vinteuil cherche à établir un rapprochement entre la présence et le rôle de la musique dans le récit balzacien et la reprise de la sonate de Vinteuil dans l'entière Recherche proustienne, constatant que « beaucoup de caractéristiques de la petite phrase sont déjà en germe dans La Comédie Humaine. ». Les deux écrivains abordant le même sujet, celui de la musique comme langage destiné à mettre en communication deux interlocuteurs privilégiés, il en résulte assez naturellement qu'ils empruntent à un lexique et à un réseau d'images proches, mais il se peut également que Proust, connaisseur de Balzac, lecteur de La Duchesse de Langeais, ait été influencé par la conception musicale balzacienne, telle qu'elle émerge dans le récit. 55 LAGUERÉNNE (de), Lise. « De la duchesse de Langeais à la sonate de Vinteuil » in L'Année balzacienne, 1995, n° 16, p. 83-97. p. 86. 56 Ibid. p. 91. Dans La Duchesse de Langeais, la musique est donc pour Montriveau l'aboutissement de la quête du passé, elle lui indique que le couvent des carmélites déchaussés57 est le lieu de ses retrouvailles amoureuses, l'espace d'une passion finalement retrouvée et à jamais inscrite dans son histoire. […] à la fin du Magnificat, Montriveau comprenait que ce « poème était l'avenir, e présent et le passé » (p), l'organiste lui ayant annoncé que « la réunion des deux âmes ne se ferait plus que dans les cieux : touchante espérance! »...58 Le thème musical permet l'accès à l'éternel, inaccessible à l'intelligence rationnelle qui guide le soldat à l'action. Ce parcours n'aboutit pas, pourtant, dans le récit balzacien à une véritable sublimation musicale de la passion amoureuse ; la mutuelle reconnaissance des deux amants fait naître chez Montriveau l'espoir bien concret de la renaissance de son amour, d'une résurrection sur terre qui contraste avec le lieu sacré où la musique résonne59. Montriveau retrouve dans le Te deum « le vague rappel d'un air délicieux de mélancolie, l'air de fleuve du Tage, romance française dont souvent il avait entendu jouer le prélude dans un boudoir de Paris à la personne qu'il aimait... « (p. 910). Profondément « bouleversé » par une « romance jadis écoutée avec délices »(p. 911), le général fait de la musique le lieu d'une découverte qui l'amène à « espérer la résurrection d'un amour perdu »(p. 910), car « le jeu de la musique lui dénonçait une femme aimée avec ivresse, et qui s'était profondément ensevelie au cœur de la religion... » (p. 910 Balzac fait de la musique l'émanation de son héroïne, la reliant à la fois à une nécessité romanesque (elle est indice de la présence d'Antoinette dans le couvent et engendre la suite des actions) et à la progressive « sublimation » d'une femme de chair qui trouvera son accomplissement dans sa transformation en « poème ». L'image mythologique d'Eurydice s'impose : Pendant la rencontre des amants au parloir, l'analogie clôture/suicide est réaffirmée à travers la réplique de Montriveau « vous 57 Le choix de cet ordre monastique de la part de Balzac n'est pas anodin : le détail du « pied » exhibé dans sa nudité est central dans le texte, car, comme nous l'avons remarqué, il est à la fois l'objet fétiche du désir de Montriveau et l'image métonymique de la femme aimée. 58 LAGUERÉNNE (de), Lise. « De la duchesse de Langeais à la sonate de Vinteuil », op. cit. p. 92. 59 Le public est ainsi au cœur du paradoxal matérialisme métaphysique balzacien dont nous essayerons de donner un aperçu en relation au dénouement du récit. quitterez ce tombeau, vous qui êtes devenue ma vie ». Nouvel Orphée, Montriveau se promet de « revoir cette femme, de la disputer à Dieu, de la lui ravir » et s'apprête à descendre dans des profondeurs inconnues pour l'arracher au tombeau de pierre où elle s'est volontairement ensevelie vivante. Bien que adressé aux puissances célestes et non aux ténèbres infernales, son défi ressemble à celui de l'aède mythologique en ce qu'il a d'héroïque et de désespéré. Perdue d'avance, l'entreprise de Montriveau est à lire dans ces quelques mots prémonitoires : « tu ne me verras pas ».60Montriveau est défini comme un « poète en action », la duchesse s'intéresse à lui car elle le trouve « poétique ». Il pénètre les ténèbres du couvent pour ramener son Eurydice à la lumière éblouissante du jour. Nouvel Orphée, il incarne une exaltation de la volonté individuelle dictée par la passion amoureuse commune à tout le romantisme, mais il la dépasse pour se projeter dans des « romans » qu'il écrirait par ses actions, prétendant « diriger la Fatalité ». Le personnage de Montriveau, qui « appartient à la race des aventuriers de l'ombre et des espaces insoumis qui reconnaissent leurs modèles dans les hors-la-loi légendaires flibustiers et pirates »61, participe de la réinvention balzacienne du roman d'aventure, célébré et démystifié à la fois par l'écrivain. Le roman noir prête ses « accessoires » de scène, ses « décors » et ses « canevas » au soldat amoureux qui célèbre le culte de la duchesse en même temps que sa propre religion de la volonté et du plaisir, un culte du moi conquérant soutenu par sa congrégation mystérieuse et puissante s'opposant aux institutions et au sacré. de l’esquisse au poème Au début de son histoire, la duchesse est présentée comme une esquisse un portrait inachevé, presque de la poésie, une confusion poétique, Elle est le lieu de contradictions multiples qui en font un personnage en attente de son unité. La grandeur farouche d’Armand en l’ouvrant à l’absolu de l’amour la fait accéder à la plénitude et donne un sens à sa vie : sa retraite en Dieu est dépassement de soi dans un don total à l’être aimé. Le dessèchement du corps dit la vanité des 1 60 Ovide, Métamorphoses, X, trad. GF-Flammarion, 2001 : Orphée [...] la reçoit sous cette condition, qu'il ne tournera pas ses regards en arrière jusqu'à ce qu'il soit sorti des vallées de l'Averne ; sinon, cette faveur sera rendue vaine. [...] Ils n'étaient plus éloignés, la limite franchie, de fouler la surface de la terre ; Orphée, tremblant qu'Eurydice ne disparût et avide de la contempler, tourna, entraîné par l'amour, les yeux vers elle ; aussitôt elle recula, et la malheureuse, tendant les bras, s'efforçant d'être retenue par lui, de le retenir, ne saisit que l'air inconsistant. 61 MICHEL, Arlette. « La Duchesse de Langeais et le romanesque balzacien » op. cit. pp. 95-96. La désillusion Le thème de la désillusion qui clôt l'aventure romanesque associé à celui de l'apprentissage « en négatif » de la vie adulte, est constant dans La Comédie Humaine : il a lieu lorsque l'acharnement dans la quête d'un absolu - ayant forme différente selon les cas, mais étant toujours présenté comme réceptacle de toutes les pensées et de tous les désirs de celui qui s'y voue - ne parvient pas à tuer le « chercheur », lorsque celui-ci décide d'affronter l'échec et d'accepter le réel. Cette acceptation est toujours liée à « la perte de l’enracinement original »65 et sanctionnée par « la mise à mort d’un idéal »66. Désignant la fin de l'illusion romantique pour Armand de Montriveau, cette acceptation ne peut subsister que par la mise à mort d'Antoinette de Langeais. Première phase du dénouement, introduite par l'entreprise des Treize, la découverte du cadavre reprend sur des tons tragiques la fausse punition réservée à la duchesse par Montriveau Sœur Thérèse a succombé à sa quête. Montriveau resta seul dans sa cabine avec Antoinette de Navarreins, dont, pendant quelques heures, le visage resplendit complaisamment pour lui de sublimes beautés dues au calme particulier que prête la mort à nos dépouilles mortelles. (p. 1037) La phrase de conclusion est énoncée par un personnage, et se fonde sur une tonalité morale. Le récit, avec ironie, se boucle sur un propos qui nie sa trame, celle de l’amour malheureux et méconnu, condamné au sublime et au renoncement comme l’annonce la première phrase. Si le texte s’ouvre sur l’esthétique de l’exceptionnel, il s’achève sur un point de vue ironique et 65 VANONCINI, André. « La Duchesse de Langeais ou la mise à mort de l’objet textuel » op. cit. p. 215. 66 Ibid. p. 215. cynique et renvoie la passion à une cruelle défaite devant le réel. La phrase de conclusion est exclusivement orientée vers un pôle masculin (importance du mot final, vocabulaire masculin, locuteurs en présence, Ronquerolles et Montriveau, et implicitement les Treize), ouvert au futur (importance de l’adverbe Désormais qui ouvre la phrase) et exploitant une série d’antithèses (homme/femme, amour/passions, premier/dernier) qui énonce un rapport irréductible entre les êtres. conseil du cynique Ronquerolles de se débarrasser du cadavre en le jetant à la mer. : […] attachons un boulet à chacun de ses pieds, jetons-la dans la mer, et n'y pense plus que comme nous pensons à un livre lu pendant notre enfance. Oui, dit Montriveau, car ce n'est plus qu'un poème. (p. 1037) Les faits, dans leur cruauté mécanique, témoignent de l'impuissance humaine devant le hasard et de la perte de toute illusion romanesque. Tout semble rentrer dans un jeu gratuit et paradoxal sanctionné par les mots de clôture. Le rêve du public se termine en même temps que celui de Montriveau. Le réveil est sec, angoissant et incompréhensible. Dans ce sens on doit lire la référence à l'enfance dans le propos final exprimé par Ronquerolles La mention du livre lu pendant l'enfance suscite un lointain, rejette Mme de Langeais au fond du temps individuel comme les boulets la rejettent au fond de l'espace marin. D'autre part l'aventure de Montriveau se trouve ramené à un épisode infantile, à la fois distraction et initiation...67 Les épreuves que le soldat a dû affronter l'ont en quelque sorte initié à la vie sur terre, au désenchantement qui est aussi éloignement du rêve d'absolu et perte des illusions : C'est par la désillusion, le « dessillement » ou encore le « désillusionnement » comme il est dit dans Béatrix qu'un homme devient homme : « voilà donc comme finissent nos plus beaux rêves, nos amours célestes! »68 La désillusion de Montriveau met un terme au roman romantique écrit par son action et renvoie au domaine artistique la mise en scène héroïque d'Antoinette de Langeais . C'est alors que l'énigme de l'écriture est partiellement dévoilée : La Duchesse de Langeais est avant tout le récit de la quête d'un premier récit que l'on récupère pour ensuite le jeter à la mer. Mis en scène comme un récit d'aventure, gothique, sentimental ou tragique, il s'agit toujours d'un récit 1 67 FINAS, Lucette. Le Toucher du rayon. Proust, Vautrin, Antinoüs, op. cit. p. 132. 68 Ibid. p. 133. d'autrefois, d'un récit perdu. D'un romanesque dont on rêve car il est écrit en tons majeurs par rapport au réel. Le narrateur inscrit en abyme le geste de l'écrivain et fait de son héroïne « un poème », l'embryon d'une histoire à écrire ou l'image en miroir de celle qui vient de s'achever Les paradoxes du sublime balzacien Une tragédie ironique : le décalage du destin La concentration du récit se lit aussi à travers un phénomène de mise en abyme qui délivre une impression de fatalité tout en assurant l’unité du texte. La rencontre de Montriveau et de la duchesse est précédée par un récit symbolique qui en contient l’essence et la structure, la quête douloureuse d’une oasis dans le désert en compagnie d’un guide inexorable. Dans ce bref épisode, Montriveau est présenté comme une victime, le guide comme un bourreau, l’oasis comme un paradis au-delà de l’humain. Cette structure préfigure l’issue de la relation entre Montriveau et la duchesse. La mise en abyme, réactualisée dans la dernière lettre d’Antoinette, accentue la théâtralité et la fatalité du dénouement. Chaque fin de chapitre est marquée par une accélération du dramatique et correspond à un temps fort du récit : séparation brutale entre la sœur Thérèse et Armand de Montriveau ; menace violente de Montriveau, départ définitif de la duchesse, rejet de son corps à la mer. Ce choix de in extremis, ce parti-pris d’accélération marque le texte du double rythme de la passion et de l’exceptionnel, rappelle le choix que les personnages font d’un absolu toujours brutal et intransigeant, et par là même exemplaire. L’ultime occasion de construire le couple et de vivre l’amour échoue à cause d’un problème d’horaire, traité comme un coup du sort, une irruption de la fatalité tragique dans le drame , amoureux Le dernier chapitre amplifie ce thème tragique du « trop tard» en se fondant entièrement sur l’opposition entre, d’une part, le déploiement « diabolique» de l’énergie chez Montriveau pour enlever la duchesse, et, d’autre part, le glissement quasi imperceptible de cette dernière dans la mort et vers Dieu, au moment même où sont vaincues par des hommes les lois de la religion.
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved