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La follia nella letteratura francese, Appunti di Letteratura Francese

appunti di letteratura francese

Tipologia: Appunti

2020/2021

Caricato il 12/05/2023

its_seres
its_seres 🇮🇹

3 documenti

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Scarica La follia nella letteratura francese e più Appunti in PDF di Letteratura Francese solo su Docsity! LETTERATURA FRANCESE  INTRODUCTION Lorsque on pense à comment la folie était perçue et représentée dans l’Antiquité, on fait tout de suite référence à la mythologie grecque et latine. À l’intérieur de ce réservoir, les fous sont nombreux : il s’agit de personnages qui peuvent être inspirés ou bien punis par les dieux, furieux, et parfois touchés par une jalousie extrême. Un premier exemple est le personnage d’Ajax dans l’ Iliade d’Homère : un héros très courageux, le meilleur des grecs après Achille. Homère le décrit comme un homme gigantesque ayant une force prodigieuse et qui est « insatiable de combat », donc avec un tempérament désirant. Il est comparé à un fleuve débordé. Après la mort d’Achille, Homère relate le moment où les grecs doivent décider à qui donner ses armes : Ajax est sûr d’être nommé, mais elles sont enfin données à Ulysse ; à ce moment-là sa folie se manifeste et Homère relate l’épisode où Ajax égorge un troupeau de mouton qu’il avait cru être les grecs. L’auteur nous révèle que la déesse Athènes a jeté sur lui l’incapacité de distinguer les hommes des moutons afin de protéger les grecs : le fait que cette folie soit expliquée comme un ressort protectif de la part des dieux nous permet de dire que le moment de dérèglement intellectuel est fonctionnel à la limitation de la violence. Le cas d’Ajax est une des premières attestations de folie dans la littérature. La cause de la folie semblerait dériver d’un excès d’orgueil et donc la conséquence d’un vice condamnable. En outre, on peut lire derrière cet épisode la manifestation d’une folie protective. Par ailleurs, dans la culture classique il y a d’autres personnages qui sont porteurs d’une folie totalement positive. Platon, à l’intérieur de Phèdre, parle de la folie comme un « don des dieux » : le phénomène de délire est positif (ex : les prophétesses de Delphes qui s’exprimaient de façon complètement détachée de la réalité, dont les prophéties avaient aidé les grecs). Un dérèglement de la perception de la réalité est perçu comme un signal de contact avec les dieux et très utile pour la communauté. Dans la Bible, la capacité de divination est associée au prophètes qui semblent complètement détachés de la réalité (ex : Noé). Le phénomène de la folie n’est presque pas stigmatisé ; le délire est considéré comme une connaissance accrue de la réalité. En parallèle, dans les traités médicaux de l’époque (proto-médicine, V-IVème siècle a. JC.) la théorie des humeurs d’Hippocrate est la grande base de la pensée médicale concernant le corps humain : on a la conviction que tous ce qui existe sur terre se rapporte aux quatre éléments qui correspondent à autant de qualités exceptionnelles (humide, chaud, sec et froid). Le corps humain serait basé sur quatre humeurs individués dans le sang, la bile jaune, la bile noire et le phlegme. Selon cette théorie, la santé du corps humain est présente lors d’un équilibre ; au contraire, quand l’un des quatre humeurs s’impose sur les autres, ce dérèglement emporterait l’état de maladie physique ou mentale. Un excès de bile noire (terre) produit par la rate serait à la base de la mélancholie ; un excès de sang (air) produirait un « humeur sanguin » ou insomnie, délire et agitation ; un excès de phlegme (eau) produirait un « humeur flegmatique » excessivement calme, qui manque de capacité de réaction, ou apathie ; enfin, un excès de bile jaune (feu) produirait un caractère « bilieux » enclin à la colère. Toute cette conception sera à la base de la réflexion proto-médicale jusqu’à l’âge moderne. Au Moyen-Age, l’abandon de la vraie religion est cause de dérèglement (stultus et insipiens). Du point de vue iconographique, le fou est représenté dans l’extrême nudité ou bien avec une peau sur ses épaules ; de plus, la marotte (bâton caractéristique des bouffons de cours) et la lune/le fromage à la main renvoient à la folie. Normalement le fou se trouve face à un roi ou à Dieu symbolisant le pouvoir temporel et spirituel : la présence simultanée des deux personnages au même niveau semblerait signifier que le fou est capable de garder sa dignité face au pouvoir, soit-il du roi ou de Dieu. Le Moyen-Age au niveau social comporte une très grande tolérance vis à vis des marginaux de la société ; en effet, leur présence est vécue comme démonstration de la pratique chrétienne de la charité. La théorie des humeurs est à la base des études médicaux au Moyen-Age, toutefois il faut analyser aussi d’autres textes représentant le phénomène de la folie : nous trouvons un corpus de textes théologiques qui l’expliquent comme une possession démoniaque. Les symptômes de la folie sont expliqués à travers l’action du diable. Saint Thomas d’Aquin affirme dans la Summa Theologica que le possédé est un « obsessus », c’est à dire un assiégé par le diable. Pourtant, on reconnait un charactère de souffrance à la maladie mentale présentant souvent des manifestation frénétiques exagérées. En parallèle, dans la littérature médicale nous avons des explications qui se posent à côtés des textes théologiques : le phénomène de la censure est très diffusé et ce n’est pas possible de nier ces théories. Toutefois, on a de long traités qui présentent une ouverture sur une explication qui repose sur la théorie des humeurs et, pour la première fois, on parle de souffrance du cerveau. On cite à chaque fois, même face à différents types de pathologies, le chauffage excessif du cerveau comme possible cause des maladies mentales. En outre, en commence à chercher une explication psychologique faisant référence aux passions de l’âme : ce serait un dérèglement émotionnel, comme la passion amoureuse, à rendre fous (ex : Orlando Furioso). L’aspect psychologique concernerait un excès d’imagination (ex : Don Quichotte). Par ailleurs, on fait référence aux astres, notamment l’influence de la Lune et de Saturne, considéré le grand dieu qui peut influencer le cerveau humain. Enfin, le Moyen-Age développe la nosographie, c’est à dire un classement médicale des typologies de maladies mentales : le fait de trouver une tentative nosographique nous permet d’affirmer à la fois que le phénomène de la folie attire l’attention des philosophes et que la tentative de classement des phénomènes commence à surgir. Le classement se partage entre frénésie, léthargie, manie et mélancolie. La frénésie concerne l’inflammation du cerveau qui provoque une hyperactivité, la léthargie ou frénésie froide se manifeste à travers un manque de réactivité (catatonie), la manie est attribuée à la bile noire et comporte une attitude incohérente et une hyperactivité connotée par l’excitation sexuelle excessive, et la mélancolie provoque la crainte et la tristesse. D’après Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault, le thème du monde à l’envers se manifeste en Europe, du point de vue iconographique, à travers l’image de la nef des fous. La gravure La Nef des fous d’Albrecht Durer, qui se trouve à l’intérieur de l’œuvre Narreschift (1494) de Sebastien Brant, et le tableau homonyme du peintre flamand Hieronymus Bosch (1494) en représentent des exemples. Nous retrouvons le symbole de la lune/fromage et de la marotte. Le motif de la Nef des fous apparait pour la première fois pendant la Renaissance française. Il y a une continuité entre les deux textes Narreschift de Brant et L’éloge de la folie d'Erasme de Rotterdam (1511) : on voit une sorte de filiation, de continuation entre les deux textes parce que celui de Brant est un texte satirique qui s'adresse à un large public à l’aide du développement de l'imprimerie. Brant crée un genre satirique à l'intérieur duquel il développe une conception déjà présente dans l'Ancien Testament (mais qui n'avait pas été reprise au Moyen-Âge), c’est-à- dire que le nombre des fous est infini, à savoir que le monde entier est rempli de fous. À la Renaissance on évoque le thème du monde à l'envers, qui existe déjà avant (littérature latine et moyen âge) en relation à la fête populaire du Carnaval. C’est la période pendant laquelle il est possible de renverser l'ordre logique et social. Sénèque développe la phrase « Semel in anno licet insanire » : une fois par an (période de Carnaval) il est possible de devenir fous, de faire des folies. En étudiant ce phénomène, Bakhtine dans L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance (1965) affirme que ce renversement social qui s'opère pendant le Carnaval est ce qui permet de maintenir le statu quo. Paradoxalement il affirme que la culture populaire qui se fait porteuse de ce renversement de l'ordre social n'est ni révolutionnaire, ni transgressive, mais au contraire il s'agit d'un système qui assure pour le reste de l'année un équilibre social traditionnel, classiste et conservateur. De toute façon, si cette idée de renversement social se reproduit avec une grande fréquence à la Renaissance, c'est parce qu'on commence à modifier la vision du phénomène de la folie d'un point de vue philosophique. Il s’agit d’un tournant important qui ne restera pas longtemps à la base de la vision de la folie dans la culture occidentale (fin du XVe - moitié du XVIIe siècle). profondeur. Tout cela contraste avec les critères classiques qui privilégient le linéaire, la représentation par plans, la forme fermée, l’unité et la clarté absolue. Tous ces principes dérivent d’un critique d’art appelé Heinrich Wölfflin en relation à l’art picturale et à l’architecture au XIXe siècle. Il réfléchit en mettant en parallèle deux esthétiques opposées : il arrive a schématiser leurs traits caractéristiques. L’âge baroque correspond à une crise, une mise en discussion de la perception de la réalité qui se reflet dans toutes les expressions artistiques : les formes résultent ambiguës ; dans la peinture, les limites des tableaux se confondent. Au contraire, la rigueur caractérise l’esprit du classicisme. L’effet final que l’artiste baroque veut produire est de confusion, de manque de netteté ; l’œil perçoit un ensemble qui semble bouger. La réaction du spectateur/lecteur est un dépaysement et une sorte d’oscillation de la certitude. L’effet d’illusion est suivi par un sentiment de désillusion : tout l’art baroque produit ce double mouvement. Au XVIIe siècle le terme baroque n’est pas utilisé ; en effet, on parle d’un gout extravagant, bizarre, grotesque, capricieux. Le mot « extravagant » est lié au sujet de la folie : l’étymologie du mot signifie « s’éloigner de l’ordinaire ». En littérature, plusieurs personnages fous sont nommés extravagants. Jean Rousset, à travers ses études, se rend compte qu’on se réfère au XVIIe siècle comme le « grand siècle » ou « le siècle de Louis XIV » ; en outre, on parle toujours des ouvrages classiques (Molière, Racine, Corneille, Mme de Sévigné). Il redécouvre des noms d’ouvrages de théâtre et de poésie qui répondent parfaitement au gout baroque et qui ont été annulés par l’idéologie de la monarchie absolue et les critères du classicisme. Il s’agit de récupérer toute une partie de la production littéraire du XVIIe siècle. Rousset lance un défi très important : il fait appel aux critiques littéraires. Il explore le théâtre et la poésie pour comprendre pourquoi certains thèmes se répètent si fréquemment (ex : analepses/prolepses, mise en abyme, métaphores, hyperbole). En revanche, les figures rhétoriques typiques du classicisme sont le litote (es : Va, je ne te hais point ! – Corneille, Cid, 1637) et l’ellipse (es : Je t’aimais même si tu étais inconstant, qu’aurais-je fait si tu avais été fidèle ? – Racine, Andromaque, 1667). Le classicisme privilégie la clarté, la raison, le naturel ; et la vraisemblance (suspension de la critique du réel ; scène = réalité), les bienséances et les trois unités (lieu, temps, action) en ce qui concerne la dramaturgie. En 1637, la réaction du public est un critère que les dramaturges commencent à tenir en considération (ex : préface de Les Visionnaires de Desmarets de Saint Sorlin). Tout ce qui n’est pas clair et linéaire commence à être perçue comme négatif. Desmarets de Saint Sorlin évoque tout un système regardé sous un œil non plus favorable. De même, dans la rédaction de l’épitre dédicatoire de L’illusion comique (1639), Corneille essaie de se détacher de son œuvre, qu’il décrit « un étrange monstre ». Il sent la nécessité de s’excuser pour avoir écrit une pièce adhérente au gout baroque. Ce dernier serait en relation avec l’irrationnel, c’est pourquoi on essaie de le reléguer dans un coin. Yves Bonnefoy est un poète qui a consacré le texte L’horizon du premier baroque (1970) à l’occasion de sa visite des églises romaines : il avait lu les textes du Rousset, donc il décide de faire une visite à Rome pour prendre conscience des sensibilités du baroque. Il reprend l’idée de Rousset de l’illusion au centre de la sensibilité baroque et la pousse jusqu’à la question de la réaction de l’homme face à la désillusion. Comment l’homme réagit-il au redoublement illusion/désillusion ? Face à la prise de conscience de l’illusion, la réaction peut être l’abandon de la réalité (ascétisme, mysticisme) ou bien la posture de Don Juan, qui se lance toujours dans la quête de quelque chose qu’il n’atteint jamais (libertinage). Toutefois, selon Bonnefoy le baroque accepte la fusion de ces deux mouvements de la conscience. Ainsi, on peut avancer l’hypothèse que dans la dramaturgie baroque nous avons des personnages qui engagent une troisième voix : l’épiphanie baroque. La conscience baroque accepte l’illusion comme telle et en fait la donnée fondamentale pour la production de l’être. Selon l’intuition de Bonnefoy, la désillusion ne produit pas que de l’ascétisme ou du libertinage mais, le néant en tant que découverte de l’homme baroque, qui peut se reconvertir en présence héroïque. Un autre critique, Vuillemin, auteur de Epistème baroque. Le mot et la chose (2013) aborde la question sous un autre œil, mais arrive à une conclusion assez semblable à celle de Bonnefoy. Il part de l’idée que la perception change et donc l’homme commence à mettre en doute sa capacité de toucher à la vérité. L’optimisme de la Renaissance contraste avec la faillite des certitudes du XVIIe siècle : avec l’empirisme, le doute éclate et tout est remis en discussion. L’homme se rend compte que tout est incertain et le baroque reflet telle angoisse. L’âge baroque n’est qu’une des prémisses de l’âge des Lumières, qui refond le savoir et les fondements de la société. Le mouvement de laïcisation du savoir et de la société se fait déjà un siècle auparavant et l’homme baroque est angoissé parce qu’il manque d’une référence sure. Le doute comporte une angoisse à laquelle on peut réagir de différentes façons, « en donnant libre cours à son imaginaire, à ses désirs et à son ingéniosité ». Vuillemin propose à son tour une troisième voix qui consiste dans l’acceptation du néant et la création d’une nouvelle condition, c’est à dire la posture héroïque. Tristan l’Hermite, La folie du sage (1645) À l’intérieur de La folie du sage (1645) de Tristan l’Hermite, le fou et la folie sont un reflet de la conception que l’âge baroque a de ce phénomène. De plus, cette tragicomédie a un coté psychologique très important. Le fou s’éloigne du chemin bien délimité de la raison ; toutefois, à l’âge baroque et à l’intérieur de la pièce il y a une connexion entre le personnage du fou et celui du contestataire, c’est à dire un non conformiste. Dans la réalité historique du XVIIe siècle, la monarchie devient absolue et le roi est directement lié à la divinité. Le monarque gère les trois pouvoirs de l’Etat. La politique et la religion se superposent ; en effet, toutes les institutions sont sous le contrôle de l’Eglise catholique. Sous l’ancien régime, l’expression d’une idée dissidente du respect vers la monarchie et la religion pouvait mettre en péril le destin de l’ouvrage, qui avait besoin du privilège du roi et de l’Eglise catholique. En raison de la censure, il y avait un problème acceptabilité (terme de Jean Pierre Cavaillé qui a étudie le mouvement du libertinage et des libertins au XVIIe siècle) de tous ces érudits qui aspiraient à revendiquer leur liberté de la pensée. Derrière une école ou un mouvement littéraire il y a normalement un manifeste, des principes suivis par un certain nombre d’artistes qui s’y reconnaissent. En ce qui concerne le libertinage, un mouvement important aux XVII et XVIIIe siècles qui a contribué à moderniser la pensée et la littérature, nous ne pouvons pas nous appuyer sur un manifeste à cause de la censure. En étudiant le personnage du fou dans la littérature on s’est rendu compte que le fou avait le pouvoir de rester à côté de l’idéologie d’appartenance et se faire le porte-parole d’une pensée contestataire. Le libertinage n’est pas un mouvement qui suit une pensée précise puisqu’on ne pouvait pas se revendiquer en tant que tel. Souvent, la folie est associée à l’expression de quelqu’un qui est extravagant par rapport à l’idéologie dominante. A cause de la censure, l’expression de l’idée doit être implicite : pour faire passer l’idée dans un texte et obtenir le privilège il faut utiliser des codes. En effet, à un premier degré le texte parait innocent, alors qu’à un deuxième degré il s’agit d’un ouvrage qui se fait porteur d’un teneur contestataire. La folie du sage est une tragicomédie, une forme dramatique qui connait son apogée dans les trente premières années du XVIIe siècle. Elle a été représentée en 1644 et publiée en 1645 ( editio princeps) : le dramaturge mettait en scène sa pièce, puis il demandait le privilège pour le vendre à un libraire afin de la publié. En effets, nous trouvons parfois des privilèges au nom de l’auteur du texte, alors que d’autres fois on voit le nom du libraire. La folie du sage est encore au débâcle du gout baroque ; en effet, l’hybridité du genre (tragicomédie) est caractéristique de cette esthétique. La tragicomédie est composée d’éléments à la fois tragiques et comiques, dans le sens de gay et légers. On a relevé trois types de tragicomédie : d’aventure, de palais et d’amours contrariés. La folie du sage appartient à la sous-catégorie de tragicomédie de palais : elle présente un intrigue amoureux, le roi est l’un des protagonistes, et elle traite de politique, notamment de gestion du pouvoir. Pourtant, dans la tragicomédie on ne fait jamais référence à des personnages historiques (=/= tragédie) et dans ce cas-là on parle d’un roi imaginaire : le roi de Sardaigne. Tristan décide de rédiger une tragicomédie qui respecte la règle des trois unités, mais il développe deux intrigues : l’amour entre Roselie et Palamède, et son contraste par le roi de Sardaigne. Ariste est le conseiller du roi, philosophe et père de Roselie ; c’est le sage auquel on fait référence dans le titre. Il est le personnage qui est atteint de folie et les scènes qui le concernent sont au centre de la pièce. En effet, Ariste fait progresser l’intrigue, qui est strictement lié à la folie. Grâce à ce personnage, Tristan l’Hermite a pu insérer un élément idéologique tout à fait rare dans les tragicomédies, qui se caractérisent souvent par un aspect plus léger. Le côté idéologique est très présent. La folie du sage est composée de cinq actes et écrite en alexandrins, caractérises par une césure à l’hémistiche. Tristan l’Hermite (1601-1655) a habité toute la saison du baroque. A partir des années vingt il entre en contact avec des salons culturels à la recherche d’un mécène : il trouve Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII et personnage contestateur. Les documents attestent la présence d’un cercle libertin à sa cour. Les littéraires qui ont gravité à son tour étaient souvent des libertins : la question du libertinage de Tristan l’Hermite est encore en débat. Premièrement, Tristan l’Hermite est connu pour sa poésie lyrique (La lyre 1641, Les vers héroïques 1648) qui se rapproche du style de Giambattista Marino. Il écrit aussi un roman appelé Le page disgracié (1648) et rédigé à la première personne. C’est un roman partiellement autobiographique ; on pourrait même parler de « roman de formation » parce que le protagoniste est un jeune homme. Il est inachevé et se termine quand le personnage a vingt ans à peu près. Tristan l’Hermite est aussi dramaturge et se consacre à la littérature théâtrale entre 1636 et 1654, et tout le long de sa carrière il écrit des tragicomédies, des pastorales (Amaryllis, 1652), des tragédies (Marianne, 1644 ; La mort de Sénèque, 1644) et une comédie (Le Parasite, 1653). Après sa mort il fut oublié jusqu’au XIXe siècle, en époque romantique, en raison de la montée de l’esthétique classique : Théophile Gautier redécouvre l’œuvre de Théophile de Viau et de Tristan l’Hermite. À cette époque, la littérature française réintègre toute la production de la première partie du XVIIe siècle. Au début du XVIIe siècle on commence à utiliser le mot « libertin ». Autrefois il indiquait un esclave, alors qu’à partir de ce moment on l’utilise pour indiquer une idée d’affranchissement et de liberté. Il s’agit d’une catégorie assez large et difficile à définir ; de plus, le problème d’acceptabilité des idées libertines pose un problème au niveau de la rédaction d’une vraie définition du mot. Les philosophes et les écrivains libertins ont intérêt à partager leurs idées, mais ils ne peuvent pas le faire de manière très explicite : une atteinte à la religion risquerait de les faire emprisonner. Le libertinage est une posture, une attitude intellectuelle qui consiste dans une contestation de la pensée communément admise dans les domaines politique, proto- scientifique et religieux. La contestation du libertin a en commun le trait de désobéissance à des questions sensibles pour l’époque. En 1623, Père Garasse dans le pamphlet La doctrine curieuse des beaux esprits (…) il parle des libertins comme des « beaux esprits » ou « esprits forts » : ceci est le premier emploi du mot selon la signification moderne. Il se lance contre les personnages qui se donneraient aux plaisirs de l’alcool ; de plus, il évoque l’insensibilité à la religion. Les deux pôles principaux dont on parle dans ce pamphlet sont les plaisirs de la vie et la mise en discussion de la religion. (-> voir la définition du dictionnaire de Furetière, 1680). Les libertins remettent en discussion les principes de l’éducation et de la morale (sexualité), ce qui met en alarme la société entière : l’héritage poserait un problème du point de vue économique puisqu’on ne saurait plus comment le partager. Par conséquent, le concept entier de propriété privée serait mis en discussion. En ce qui concerne le libertinage érudit et de mœurs, leur différence consiste dans le fait que le premier est une façon de penser (philosophie) et le second une façon de vivre. Les libertins étaient tous aristocrates. En 1622, à Paris apparait un recueil de vers appelé Le Parnasse satyrique assez licencieux et écrit par des auteurs anonymes. Théophile de Viau a été jugé et ensuite condamné (empiété) pour l’avoir écrit ; en effet, Père Garasse rédige un pamphlet en raison de la sortie de ce bouquin. En France il devient encore moins possible d’exposer une idée contestataire. A partir de ce moment, tous les écrits libertins font recours à la dissimulation à travers toute une série de stratégies narratives (ex : différentes éditions de L’histoire comique de Francion par Charles Sorel - 1623 ; 1627 ; 1633). Le fou et la folie dans la littérature du XVIIe siècle servent souvent à faire circuler ce type d’idées. La base philosophique de toute la posture du libertinage se retrouve dans deux courants philosophiques anciennes : l’épicuréisme et le scepticisme. Le premier s’appuie sur le principe du plaisir qui est accepté en tant qu’expression de la nature (Sade reprend la même idée en la poussant à l’extrême) ; le second met en discussion toutes les vérités à travers le principe du doute (Descartes, Discours de la méthode – 1636). Scène 2 : Didascalie interne de Roselie « Ecoute, c’est lui. Quoi ? ne l’entends-tu pas ? (vers 356). Canope suggère à Roselie de demander à son père la raison de sa tristesse. Passage ambigu : Ariste semble réfléchir tout seul, mais en fait il prononce une vérité générale « la tyrannie est grande, et le traitement rude. /mais dans cette rencontre il faut dissimuler/et baiser une main qu’on voudrait voir bruler. /la puissance absolue à souffrir nous oblige » (vers 362-364) : veut-on bruler la main du roi de Sardaigne ou des rois absolus ? Roselie insiste, mais Ariste s’éloigne de la scène (-> didascalie). Canope essaie de soutenir le désespoir de Roselie et avance la même idée d’Ariste, cette fois dans un sens positif « la crainte est abusée ainsi que l’espérance » (vers 398). Métaphore filée de Roselie (vers 401-411). Canope fait appel aux dieux en affirmant qu’ils sont généralement justes « a quiconque fait bien tous les dieux sont propices ; /et s’ils laissaient ainsi perdre les innocents/ils seraient criminels, ou seraient impuissants » (vers 418-420). L’emploi du conditionnel est une stratégie : Canope affirme que les dieux sont justes et favorables aux honnêtes gens, autrement ils seraient des criminels ou bien ils seraient impuissants. Scène 3 : L’acte se ferme sur trois vers qui font appel à la mort « mais, seigneur, je plains bien votre funeste sort. /conservez bien sa vie, et plaignez moins ma mort » (vers 631-632). Didascalie interne « madame, ce papier vous fera tout comprendre » (v. 442). Palamède s’adresse à Roselie en lui montrant la lettre écrite par le roi de Sardaigne. Il est désespéré parce qu’il aime Roselie ; toutefois, il croit que la volonté du roi ne peut être ignorée. En effet, selon lui la seule issue possible à ce problème est le suicide, comme le montre sa réplique « o dieux ! vous y verrez mon trépas résolu/par les cruels décrets d’un pouvoir absolu » (vv. 443-444). De plus, les deux vers suivants « vous y verrez d’amour une étrange manie/que ma raison blessée appelle tyrannie » (vv. 445-446) démontrent comment le désir du roi de posséder Roselie n’est qu’un prétexte à travers lequel la tyrannie se manifeste. Opposition manie/raison aux vers 445-446. Le thème de la folie s’annonce à travers la manie d’amour dont le roi est atteint. Roselie ne comprend pas au fond le sens de la lettre ; en effet, elle parle de « galanterie » (v. 461). Lorsqu’elle comprend les intentions du roi, Roselie interprète sa proposition comme la disgrâce que son père Ariste s’attendait. En outre, Roselie est méfiante du roi parce qu’elle connait son histoire avec Lucille, mais Palamède affirme qu’elle ne tombera pas dans le même malheur. Roselie craint le même sort de la dernière épouse du roi, notamment l’abandon. Palamède répond en disant que sa beauté lui empêchera ce malheur ; en effet, dans les vers « mais de manquer d’amour pour des beautés si rares/c’est un crime interdit aux cœurs les plus barbares » (vv. 545-546) le personnage illustre la puissance de la beauté, même face aux cœurs les plus méchants. Selon le néoplatonisme, la beauté est l’incarnation sur terre de la divinité. Cependant, Roselie ne se résout pas à épouser le roi malgré le pouvoir qu’il détient, comme on peut lire aux vers 547-550 : « mais si ce beau parti si grand, si glorieux/est à mes sentiments un objet odieux, /si le simple récit de cette belle flamme/est l’horreur de mes sens et l’enfer de mon âme ». Elle entend rester fidèle à son amant « et si j’ai résolu de te garder ma foi/ si je ne puis aimer tout autre amant que toi » (vv. 551-552) , donc elle s’interroge sur de possibles moyens d’échapper à son sorte « quel pleige puis-je avoir en ce jour déplorable/qui me puisse empêcher de vivre misérable ? » (vv. 553-554). Roselie empêche le suicide de Palamède et s’excuse de l’avoir accusé pour son sort. En effet, aux vers 590- 593 « ma mauvaise fortune en est seule coupable. /c’est un effet tout pur des astres irrités/ qui furent envieux de mes prospérités » elle blâme les astres envieux et sa mauvaise fortune de l’avoir destinée à l’amour du roi. Plus tard, lorsque Palamède et Roselie lisent le billet du roi, on voit ressortir encore une fois le caractère tyrannique typique du souverain : « qu’on oppose point de délai/à mon amoureuse folie » (vv. 599-600). Néanmoins, Roselie n’entend pas se plier à sa volonté et décide d’élaborer un plan pour se sauver : « je sais bien sur ce point quels conseils je dois prendre » (v. 606), donc elle charge Palamède de communiquer son refus au roi « que l’honneur qu’il me fait me tient en défiance, /que je n’ignore pas ses amours du passé, /que j’ai rompu sa lettre et que je t’ai chassé, /détestant hautement ce grossier artifice » (vv. 614-617). La réplique de Palamède illustre son désir d’épargner Roselie à un terrible destin ; en effet, il prie le ciel de faire en sorte que son plan réussisse et demande à Canope de veiller sur elle. Enfin, il se porte volontaire en tant que victime de cet intrigue, en disant « je serve de victime aux astres irrités ; /qu’elle profite enfin de mon sort déplorable, /qu’elle soit seule heureuse et moi seul misérable. /il est déterminé qu’un chef-d’œuvre si beau/ s’avance vers le trône et moi vers le tombeau » (vv. 624-628) . L’acte se conclut avec la sortie de scène de Palamède. ACTE III : Palais royale. Le roi apprend le refus de Roselie et le fait que Palamède est amoureux d’elle. Il annonce de vouloir rendre visite à Roselie avec son père Ariste, mais la nouvelle arrive que Canope et Roselie se sont empoisonnées. Le roi monte en colère et donne l’ordre d’arrêter Palamède. Enfin, il éloigne Ariste dont nous assistons à sa première manifestation de folie. Scène 1 : Le roi est avec le conseiller Alfonse ; il y a une ellipse dramaturgique parce que la conversation est déjà commencée dans l’entracte. Le roi craint avoir entamé son projet et pense que la réaction négative de Roselie a été causée par un malheur de Palamède. Pourtant, il fait une réflexion sur ce dernier en disant qu’il est plus intéressé aux armes qu’à l’amour. Ariste arrive sur scène et le roi l’invite à s’approcher. Scène 2 : Ariste répète au roi que son malheur est causé par son projet illicite. Le roi répond l’avoir changé avec une proposition de mariage. Premier signe de folie qui prépare le moment où elle sera manifeste « je me cherche moi-même et ne me trouve plus » (vers 700). Le personnage se voit désorienté. Le roi aperçoit Cleogène, un autre conseiller : il apporte une mauvaise nouvelle, notamment l’empoisonnement de Canope et Roselie. La didascalie interne « ce rideau qui se tire/vous en fera plus voir que j’en saurais dire » (vers 718) sert à éviter la vision d’un cadavre sur scène, interdit par les bienséances. Nous sommes face à une scène qui manque de vraisemblance. Le roi trouve la lettre de Roselie à son père et il s’en prend avec lui et Palamède croyant qu’ils aient conseillé le suicide de la jeune fille. Scène 4 : Nous assistons à la deuxième chute de l’illusion d’Ariste et à la première manifestation de sa folie. Il affirme que la mort de sa fille n’est pas une nouvelle surprenante puisqu’elle a sacrifié son corps pour sauver son âme. Au XVIe et XVIIe siècle, face au risque de perdre l’honneur l’église semble accepter le suicide : la perte de l’honneur justifie aux yeux d’Ariste le geste de sa fille (conception stoïque). Ariste se laisse aller aux larmes « reçois ces tièdes pleurs dont je te viens baigner » (v. 879), un trait très féminin dans le théâtre de l’époque ; en effet, Cleogène l’invite à se modérer « seigneur, modérez-vous » (v. 881). Ariste demande au moins la permission de manifester sa douleur avec une longue plainte : une tirade où il révoque sa vie commence. Il se demande si les astres ne l’ont pas jeté dans le désespoir. Les disgrâces lui empêchent de raisonner ; toutefois, il entend rappeler toute sa vie. Ariste avait tout pour être heureux, mais le roi « devient cruel, injuste et violent pour moi » (v. 928 ; => première chute de l’illusion). Il est persécuté par un destin qui n’a rien d’ordinaire par rapport aux prémices de sa vie : il affirme avoir prix des précautions pour éviter les malheurs « j’ai des garants de ces oppressions, /j’ai pris contre le sort de bonnes cautions » (vv. 939-940) (-> ton ironique). Il fait appel aux philosophes qu’il a étudié, dont il évoque une longue liste, et s’arrête aux philosophes stoïques. La constance, le stoïcisme est la valeur qui empêche d’être emporté par le destin. Ariste remet en question les fondements néo-stoïciens qui sont à la base de la pensée du XVIIe siècle : il accuse les philosophes stoïques de l’avoir trompé. L’acte se termine sur Cleogène qui ramasse les livres et qui interprète la rage d’Ariste comme l’effet d’une altération de l’esprit, une sorte de folie, imputant à la douleur de voir sa fille morte la faute de cette réaction si injuste. Dans les mots de Cleogène nous voyons l’opinion dominante : prendre les distances de la pensée néo-stoïque ne peut être qu’une manifestation de la folie. Nous assistons à une scène assez ambiguë : nous ne voyons pas un manque de logique, mais plutôt la chute de l’illusion qui a caractérisé toute la vie d’Ariste. Le parcours d’Ariste correspond à ce que la sensibilité baroque manifeste à l’époque, c’est à dire une désillusion qui peut amener d’une part au détachement et de l’autre au donjuanisme. La troisième voit, une posture qui prend conscience de l’illusion et essaie de donner un sens à la vanitas, est représentée à l’intérieur de cette pièce. ACTE IV : La folie d’Ariste continue ; en effet, il se lance dans une deuxième longue digression. Le médecin et l’operateur arrivent sur scène pour lui communiquer une nouvelle, mais ils n’y arrivent pas à cause de son dérèglement. Palamède entend la nouvelle de la mort de Roselie et s’évanouit ; il est transporté au palais. Ce qui intéresse Tristan l’Hermite est de ramener sur scène tous les personnages au moment où on découvre le piège de Roselie. Cet acte prépare le dénouement de l’intrigue grâce à la découverte d’une fausse mort. Dans cette pièce toutes les scènes s’enchainent et Tristan semble récupérer certains préceptes de la dramaturgie classique (vraisemblance et bienséances) tout en gardant des éléments typiques du baroque tels que le mélange des genres tragique et comique. Scènes 1 et 2 : [La scène 2 a été reconstruite par le conservateur scientifique de l’œuvre]. L’opérateur fait référence au fait qu’il faut trouver Ariste pour lui communiquer une nouvelle avant qu’il ne décide de mourir. La longue tirade d’Ariste semble une sorte de mélange de propos philosophiques, mais en fait il s’interroge sur la condition humaine. Citation De la sagesse (1601) de Pierre Charron, dont l’objectif était d’affirmer que la religion dérive de la nature « un sujet merveilleux fait d’une âme et d’un corps, /un pourceau par dedans, un singe par dehors, /un chef d’œuvre de terre, un miracle visible […] » (vv.995-997). Tout ce qui est construit par l’homme, voir la religion, est lié à la nature qui prime sur toute les manifestations de l’être humain. L’œuvre a été condamnée pour hérésie. Le bâtiment (= l’homme) doit sa structure à la nature « une belle, superbe et frêle architecture/qui doit son ordonnance aux mains de la nature » (vv. 1001-1002). En faisant une description anatomique de l’homme Tristan s’ouvre à la conception mécaniciste. À cette époque, ces propos sont assez hardis : reprendre l’idée de l’homme en tant que mécanisme conçu par la nature ouvre la porte à la laïcisation du regard sur la condition humaine. L’accumulation d’éléments de base (anatomie) de l’homme contraste avec l’idée spirituelle du catholicisme. L’âme est séparée du corps et les sens sont à la base de la connaissance. Ariste affirme que l’homme est un sujet soumis au temps qui passe (=> concept de vanitas) « un jouet de la mort et du temps, […] /et sur qui la fortune établit son empire » (vv. 1015-1017). Tirade de critique à la médecine : Tristan prend distance et affirme son manque de confiance dans les soins des docteurs. Au XVIIe siècle on a une discussion entre la vraie médecine (universitaire) et la médecine populaire : dans sa tirade ironique, Ariste ridiculise l’art médicale. Il arrive à affirmer que tous les efforts des médecins ne sont pas capables d’assurer la santé de l’homme. Le médecin s’aperçoit de ses intensions et lui coupe la parole « je vous le ferai voir par démonstrations » (= ressusciter les morts ; v. 1104). Scène 3 et 4 : Le roi est dans son palais et réfléchit sur sa douleur. Timon amène Palamède au palais. Palamède écoute les mots de la lettre de Roselie avec passivité, il a renoncé à se déculpabiliser de la mort de son amante. Toutefois, Alfonse arrive pour annoncer la fausse mort de Roselie : coup de théâtre final. Nous n’assistons pas à la résurrection de la jeune femme, qui se passe hors scène (ellipse dramaturgique). ACTE V : Roselie se réveille et dit qu’elle préfère se donner la mort plutôt qu’épouser le roi. Ariste est perçu comme ayant récupéré sa sagesse. Dénouement. Scène 2 : Ariste adopte une posture que sa fille refuse et ce n’est que grâce à sa constance qu’il changera d’avis. Pour la deuxième fois, il tombe en larmes sur scène. À cause de la position ferme de sa fille, Ariste sent sa sagesse se réveiller : à partir de ce moment il se met à côté de Roselie et s’affirme prêt à nier le mariage avec le roi. Scène 3 et 4 : Le roi croit avoir Ariste de son côté. Face à son refus, il s’en étonne et revient à son pouvoir absolu : Ariste n’aurait pas dû donner son consentement au mariage entre Roselie et Palamède « c’est une liberté que vous ne pouviez prendre » (v. 1434). Cependant, tout le pouvoir ne peut pas soumettre « ce petit point du monde » (= le cœur de l’homme ; v. 1450). Revendication libertine, posture de l’homme vis à vis du pouvoir royal et divin qui signe un passage important vers la laïcisation. Face à cette affirmation de liberté, le roi considère Ariste encore atteint de folie « cet esprit qu’on a vu de malheurs atterré/ quoi que l’on m’en ait dit, est encore altéré » (vv. 1455-1456). La rêverie est une sorte d’état de conscience qui se distingue du rêve, où l’individu prend conscience d’une réalité à laquelle il n’aurait pas accès s’il n’avait fait l’expérience de ce niveau intermédiaire. Les romantiques refusent les règles aristotéliciennes en faveur de l’idée de spectacle total. L’attention vers la réalité, surtout dans le genre romanesque, est propre de la deuxième génération des romantiques. Un autre aspect important du romantisme est le cosmopolitisme. La mélancolie et l’épisode de la rencontre avec l’ange de la mélancolie est un passage fondamental de Aurélia (1853-1854). La gravure de Albrecht Dürer Mélancolie (1514) réfléchit une idée qui sera reprise par les écrivais romantiques : au premier plan un ange dont le regard se perd dans le vide tient sur ses genoux un livre et un compas. Il est entouré d’instruments de travail manuel, ce qui renvoi à l’allégorie de la création intellectuelle. Tout est plongé dans une atmosphère d’immobilité, d’attente et de frustration pour l’impossibilité d’atteindre la perfection. Nous retrouvons des éléments baroques tels qu’un sablier, une balance, une cloche. Le carré magique porte toujours au résultat 34, un renvoi ésotérique et hermétique. L’échelle en arrière-plan ferait référence aux arts libéraux. Sur le fond nous voyons un soleil et un petit esprit qui apporte, sur ses ailes, le mot melancolia. Cette représentation attire l’attention de Gerard de Nerval au point qu’il inclut le passage à l’intérieur de son œuvre. Gérard de Nerval, Aurélia (1853) Gérard de Nerval (-> voyage, rêve, folie, éternel féminin) a été individué comme le plus proche des attitudes surréalistes. Il est considéré l’innovateur de la façon de concevoir l’âme et de traiter le thème du rêve. Il a composé soit des poèmes, soit des ouvrages en prose, qui relèvent du même poétique. Il étudie à Paris et entre dans les cercles littéraires romantiques ; il est un fin connaisseur de la littérature allemande et c’est à lui que la France doit l’introduction du Faust de Goethe. Nerval est attiré par le sud et sa penchée mélancolique ; il a une prédilection pour l’orient (Grèce, Turquie, Maghreb) qui représente un ailleurs. Il se fait journaliste en décrivant ses voyages. En 1841, date de sa première psychose, il décide de s’arrêter et se fait interner dans une clinique privée. Ses crises s’alternent, mais toute sa production majeure se situe dans les cinq dernières années de sa vie. Il publie un recueil en prose et en vers les Petits Châteaux de Bohème en 1853. Nerval conçoit le voyage comme une initiation, c’est à dire un parcours que l’être humain doit accomplir pour atteindre une vérité cachée. Tous les éléments du réel sont des symboles qui renvoient à une vérité qui réside ailleurs. Les objets du réel sont porteurs d’un message, qui devient son obsession. Nerval est convaincu que la conscience n’est pas suffisante pour parler du monde et de l’expérience humaine ; c’est grâce à l’association de la réalité et du rêve qu’on atteint la vérité. Dans Nerval on trouve déjà un certain nombre d’éléments qui seront poussés jusqu’au bout dans Baudelaire. L’artiste doit chercher la continuité entre passé, présent et futur, qui sont fusionnés dans la recherche d’une histoire circulaire qui permet de reconstruire un sens plus profond. Selon la plupart des critiques, Nerval avait conscience de la fragmentation du moi ; il était conscient du fait que la personnalité était fragmentée : il essaie de dépasser cette idée de scission grâce à l’amour. Nerval veut échapper à cette angoisse à travers la création artistique et l’amour. La recherche de l’amour devient mistique parce qu’il veut arriver à l’éternel féminin, un thème qui revient à plusieurs reprises dans son œuvre à travers les figures mythologiques et mystiques, de la mère et de la Vierge. Il élabore une sorte de syncrétisme spirituel. L’éternel féminin peut prendre différents visages et a toujours une partie mystique. Nerval affirme que l’existence n’est qu’une suite d’images émotionnelles. L’ouvrage de jeunesse est très différent par rapport à la dernière période de sa production puisqu’il devient toujours plus hermétique. Les Odelettes (1832-1835) est un recueil de jeunesse. À l’intérieur du poème Le réveil en voiture on a le thème de la rêverie « J’étais en poste, moi, venant de m’éveiller ! » (v. 12). La perception de Nerval est un point de vue qui bouge de lui-même au paysage. En revanche, Les Chimères (1854) est un recueil plus tardif ; en effet, le poème El Desdichado est encré de désespoir « Je suis le Ténébreux – le Veuf – l’Inconsolé » (v. 1). L’auteur est inconsolé pour quelque chose qu’il n’a jamais possédé, d’où le sentiment de désespoir. Si dans le premier sonnet le doute initial se résout, El Desdichado est plus hermétique. Le titre vient d’un roman de Walter Scott et se traduit en français par le mot « déshérité ». Il se réfère peut être à un amour, ou à l’éternel féminin « Toi qui m’as consolé » (v. 5). Le raisin (pampre, v.8), symbole dionysiaque et la rose, fleur spirituelle, s’allient. Référence à son état de maladie « Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron » (v. 12) d’où il a pu se sauver grâce à la poésie (lyre, v. 13). Antinomie « les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée » (v. 14) : l’amour spirituel et l’amour passionnel sont à la base de sa capacité créative. La critique a beaucoup discuté à propos des caractéristiques stylistiques d’Aurélia pour comprendre dans quelle catégorie on pourrait le classer. Ce récit a un caractère hybride et a été rangé plusieurs fois sous le conte initiatique ou de récit de voyage imaginaire. Autobiographie et récit fantastique sont ses caractéristiques principales : Jacques Bony définit le récit nervalien comme « une autobiographie poétique à valeur universel, comme l’étaient les autobiographies religieuses et initiatiques ». Il fait remarquer l’emploi massif de la première personne du pluriel (nous), tout à fait insolite, qui est abondamment utilisée et dont la fonction serait de permettre au lecteur d’entrer dans une proximité et une complicité extraordinaires avec l’expérience vécue par le narrateur. De plus, Bony remarque que ni le titre ni le sous- titre (Le rêve ou la vie) du récit ne semblent suggérer l‘idée d’une autobiographie : Aurélia fait penser à un roman, alors que Le rêve ou la vie renvoi à un essai scientifique. Le narrateur déclare vouloir aborder une narration de son expérience onirique où le je est associé au monde. Aurélia serait un récit de triple naissance : biologique, des origines de l’univers, et d’une nouvelle vie du narrateur. L’œuvre s’ouvre à des explorations littéraires nouvelles qui jettent les bases pour la poétique de Baudelaire. Nerval s’adresse non seulement aux intellectuels mais aussi a un public populaire, de façon à être un pont entre la vie spirituelle et concrète. Si nous appliquons certains critères que Cvetan Todorov décrit pour le mot fantastique, on peut relever des affinités avec l’œuvre de Nerval, premièrement dans l’ambiguïté énonciative : à travers des stratégies, en particulier l’emploi de l’imparfait et la modalisation (thème VS rhème = commentaire du thème), Nerval plonge le lecteur dans l’ambiguïté de ce qu’il décrit, la subjectivité de ce dont il parle (-> dichotomie réalité/illusion). De plus, dans le pan déterministe selon lequel tout doit être reconduit à une cause, une explication ; dans le dédoublement de la personnalité et le dépaysement du narrateur ; dans l’absence de séparation sujet/objet puisque l’un prend le rôle de l’autre ; dans le temps qui est un continuum entre passé, présent et futur ; en effet, on dirait que le narrateur est plongé dans un présent perpétuel. Aurélia appartient à ce genre hybride qui annonce un véritable changement que seulement Baudelaire va amplifier. L’ouvrage est divisé en deux parties, dont chacune se partage en chapitres : cette partition est propre du roman, alors que quant à la composition on a des éléments qui nous montrent deux étapes différentes, c’est à dire les brouillons et les notes réorganisées dans un effort de classement et de construction de sens. Il y a une tentative de l’auteur de donner une cohérence à ses notes qui datent probablement de ses crises de folie. La partition en deux parties n’est pas arbitraire parce qu’elle décrit le parcours initiatique existentiel de l’auteur : la première partie représente la phase de descente dans un état que Nerval même appel « maladie » et est dominée par la rêverie, souvent hallucinatoire à travers des visions qui ne comportent pas toujours le sommeil ; la deuxième partie représente la remonté et des éléments plus reconnaissables sont présents, notamment les promenades dans Paris (-> promeneur romantique). Nous avons aussi la description des conditions de son séjour dans la clinique. À travers ses expériences il arrive à une prise de conscience qui lui permet d’atteindre le pardon divin. PREMIERE PARTIE ; CHAPITRES I,II,III : Ils font référence à la première crise de folie de l’auteur. Au cours du premier chapitre, le narrateur raconte son amour pour Aurélia qui a interrompu leur relation à cause d’une faute : il relate une tentative de l’oublier à travers le voyage, toutefois ça ne lui suffit pas. Une expérience individuelle devient si vague que tout le monde peut s’y reconnaitre. Référence au gout romantique du folklore « […] les costumes et les mœurs bizarres des populations lointaines ». Le deuxième chapitre voit la rencontre entre le narrateur et Aurélia, qui semble l’avoir pardonné. Il rentre à Paris et, se promenant dans la ville, il aperçoit des signes qui lui annoncent sa propre mort imminente. Il prend en référence une étoile pour le guider. Le renvoi au tarots semble représenter, à travers le geste de verser l’eau (voir carte n.17), le désir d’harmoniser la création artistique individuelle et le savoir universel. Le mythe de la lutte de Jacob avec l’ange (Genèse 32:23:30) sera repris plusieurs fois par les romantiques. La rencontre entre Jacob et l’ange ne peut pas se passer d’une lutte grâce à laquelle Dieu donnera une nouvelle identité au premier : Israël. Le tableau de Delacroix (La lutte de Jacob avec l’Ange, 1861) attire notre attention sur le déséquilibre entre la force de l’être-humain et la délicatesse de l’ange. Le tableau de Paul Gauguin Vision après le sermon date de 1888, dans la période où le peintre était en Bretagne. Ici, la lutte entre Jacob et l’ange est proposée sous une nuance différente : la force de l’ange, qui résulte du combat, le met sur le même plan que l’homme. Les couleurs sont saturées par rapport aux nuances de la palette de Delacroix ; manque de perspective qui nous montre la tendance du peintre vers l’avant-garde. En revanche, le motif de Delacroix attrait à la mimesis. La vision des femmes est-elle subjective ou objective ? S’agit-il d’une vision ?. Le troisième chapitre voit l’éclat d’une crise violente de folie ; de plus, on a le thème du double, influencé par la littérature allemande et fantastique. Nerval modifie ce thème dans une tentative d’unifier le « je ». « […] je quittais mes habits terrestres » est un renvoi au mythe de Jacob. La fonction du poète concerne le lien entre l’individu et la société. Victor Hugo (Les rayons et les ombres, 1840) insère la fonction du poète dans la dimension de l’utilité : il a une vue accrue, c’est pourquoi il doit se faire messager de la vérité. Le poète romantique est un individu, mais n’est pas individualiste ; il est utopique et sa fonction est celle de guider le peuple vers le chemin à suivre pour la création d’une société meilleure. CHAPITRES VII,VIII,IX,X : Nerval décrit l’asile psychiatrique dans lequel il est interné. La clinique est entourée de la nature, qui a le pouvoir d’apporter le calme. La nature touche sa sensibilité au point qu’il sent la nécessité de décrire son expérience : il réalise des fresques et de petites statues où la figure d’Aurélia domine sous les traits d’une divinité. Aurélia devient une idole et est investie d’une fonction salvatrice ; elle se superpose à l’image de la déesse Isis. De plus, le docteur donne a Nerval du papier pour qu’il puisse multiplier son expérience de peinture (-> avant-garde de l’art-thérapie de Moreno, circa 1970). Nerval appellera la clinique un « paradis » à l’intérieur duquel il ressort tous ses rêves et ses pensées. À la fin du chapitre VII, il parle de la relation entre l’individualité et la création du monde. L’étoile de sa première crise est révoquée. Le chapitre VIII touche le thème de la métamorphose. À l’intérieur du chapitre IX, le narrateur fait une ellipse narrative : il introduit le chapitre en continuant à parler de son premier internement auquel suit la deuxième crise qui a lieu après une dizaine d’années. Il résume la période entre les deux crises comme des « circonstances fatales ». Le thème du double, déjà évoqué auparavant, est développé : si d’une part, le dédoublement, la sensation d’avoir plusieurs individus à l’intérieur de soi- même est l’un des symptômes des psychoses (schizophrénie) ; de l’autre, l’âge romantique produit un nombre important d’ouvrages littéraires dans lesquels le thème du double est centrale (littérature allemande). Quel est le rapport de l’âge romantique à la folie et tout particulièrement au symptôme du double ? Les parties d’ « ombre » qui ne sont pas sujettes à la raison sont récupérées et valorisées. L’idée du dédoublement de l’homme est à la fois un thème nervalien et romantique. D’après Nerval, le dualisme de l’homme est une polarisation du bon et du mauvais : il y a en tout homme deux aspects (spectateur et acteur), un bon et un mauvais génie, que nous ne connaissons pas entièrement. À l’intérieur du Banquet de Platon nous retrouvons le premier témoignage de la duplicité de l’homme, faisant partie du mythe de la création : l’être humain serait condamné à chercher son autre moitié dont il ressent l’absence. Donc, le thème du double est exprimé à travers un certain nombre d’objets (miroir, masque) mais aussi à travers le sosie, le jumeau (-> Nerval fait référence à Plaute, qui avait imaginé Sosie comme le double d’Amphitryon lui-même). Le thème du double pose le problème de l’altérité et de l’identité. Nerval imagine un autre qui lui est hostile et qui est en train d’organiser un mariage avec Aurélia ; c’est un rival contre lequel il doit Breton nous fait part du fait que ses lectures freudiennes ont donné lieux à des expériences, où il était médecin, qui ont trait avec le langage (discours conscient et inconscient). Breton essaie de refaire la même expérience avec Soupault à travers un discours qui ne soit pas entravé par le jugement (rationalité) et qui soit un reflet de la pensée parlée. Il veut reproduire un discours le plus spontané possible de façon qu’il soit proche de l’inconscient. C’est la première expérience d’écriture automatique. L’écriture spontanée est capable, selon lui, de capter une quantité d’images qui surgissent dans l’inconscient selon une certaine logique. À travers cette expérience il donne évidence au fait que l’inconscient peut se révéler à l’aide de l’écriture automatique. Les éléments de ce type d’écriture semblent, à une première lecture, absolument absurdes. Le mot surréalisme, utilisé par Apollinaire, désigne un « automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer […] le fonctionnement réel de la pensée » (p.36). Le surréalisme serait la tentative de donner la parole à l’expression de la pensée hors du contrôle de la raison, une pensée qui peut surgir en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale (= pas de censure). Eliminer la morale signifie réhabiliter le contenu inconscient avec sa propre logique. La surréalité consiste en déceler la vrai vie, qui se trouve ailleurs. André Breton, Nadja (1928) Breton est l’un des premiers à concevoir un rapport entre langage et image. Nadja est le nom de l’héroïne dont il est question dans le texte ; la rencontre avec cette femme (Léona) est une expérience qui le marque profondément pour son mélange de rationalité et irrationalité et parce que ça lui permet de traduire concrètement les principes de son manifeste pour la première fois. Tout semble s’inspirer au principe de la libre association, une stratégie psychanalytique qui permet de mieux comprendre les manifestations de l’inconscient. Ce récit a été divisé par la critique en quatre parties qui suivent une séquence linéaire : introduction et considérations philosophiques sur l’identité (incipit-p.22), série de courts paragraphes où il relate des épisodes marquants de sa vie qui préparent la rencontre avec Nadja (p.23-62), un journal où nous voyons apparaitre des dates, qui relate la rencontre et la séparation de Nadja (p.63-146), épilogue où il s’adresse à un locuteur imaginaire accompagné d’une définition de la beauté ( p.147-fin). La structure de ce récit serait en spirale, une organisation narrative déjà repérable dans certains contes médiévaux tels que le Lancelot de Chrétien de Troyes où il est question d’une quête. Le récit conduit le protagoniste à travers une série d’expériences à trouver une vérité (= définition de beauté) et il vise à indiquer que la vraie existence se forme aux moments de défaillance de la vie quotidienne. Quels sont les moments où l’être humain peut avoir un contact avec le surréalisme ? Ce sont des hasards et des coïncidences qui se vérifient dans la vie de chacun et qui n’existent pas en tant que moments de simples coïncidences privées de signification. L’événement majeur de l’œuvre est la rencontre avec Nadja. PREMIERE PARTIE de l’œuvre : La première interrogation porte sur le noyau central de l’œuvre, c’est à dire la perception de l’individualité (« qui suis-je ? »). Si j’abrite à mon intérieur un être qui appartient à la surréalité, cela signifie que la manifestation objective n’est en réalité qu’un reflet d’une vie autre. Qu’est-ce que l’existence dans laquelle on se promène ? Après avoir introduit le sens de son écrit, Breton passe à évoquer une typologie littéraire qu’il condamne, à savoir le réalisme. Il évoque Hugo et Flaubert, pour lequel il a un regard plus tendre ; en effet, la critique la plus récente sur Flaubert a mis en évidence comment ses écritures ne soient pas entièrement réalistes et que la voix du narrateur et des personnages se brouillent à l’intérieur des pages de description. Breton comprend déjà que Flaubert a franchi des limites du réalisme à travers un regard beaucoup plus moderne. Breton évoque aussi De Chirico et la peinture métaphysique qu’il considère près de son esthétique. Il est fondamental de se faire surprendre par la réalité ; en effet, le mot surpris est l’un des mots-clefs de l’ouvrage. L’énigme de la révélation est la surprise. Plus tard (p.19) Breton relate son projet : il entend construire un récit où seront évoqués les épisodes les plus marquants de sa vie, qui démontrent la présence de la surréalité. Le hasard des coïncidences révèle un dessin plus significatif que celui de notre existence organique. Les hasards nous font voir l’organisation d’un dessein qui échappe de notre rationalité ; il ne s’agit pas de donner une signification rationnelle à ces signaux mais de les décrypter parce qu’ils nous signalent que nous sommes plongés dans un monde fictif. Breton affirme que les hasards sont à hiérarchiser : il évoque les faits-glissades et précipices, les deuxièmes étant plus intenses que les premiers (ex : la rencontre avec Nadja est en fait- précipice). L’inquiétude est soulevée par cette sorte de perception accrue de la réalité. La remise en question de la réalité est dangereuse parce qu’il y a la possibilité de glisser dans un état de déréalisation voir de folie. DEUXIEME PARTIE : À partir de la page 23, il relate des souvenirs qui ont été pour lui des signaux d’ouverture à la surréalité. Episode des Bois-Charbons : relation entre l’auteur lui-même et les morceaux de bois, ce qui l’effraie. Un autre événement significatif est le dernier : Louis Aragon est évoqué. L’anamorphose est un phénomène optique grâce auquel en regardant un tableau de face on voit une image (dans ce cas un tigre), alors que si on se déplace on en voit une autre (vers la gauche = vase ; vers la droite = ange). La corrélation entre l’enseigne de l’Hôtel de Pourville et la gravure ne peut pas être expliquée de façon rationnelle. Breton se lance dans une grande dépréciation du travail, qu’il ne considère pas une valeur à part entière (« rien ne sert d’être vivant, le temps qu’on travaille » p.61). TROISIEME PARTIE : Récit sous forme d’un journal qui raconte la rencontre avec Nadja. La femme incarne l’essence de l’amour, expérience fondamentale pour les surréalistes. On assiste à cet événement précipice, notamment la rencontre avec la femme, qui lui permettra d’avancer dans la quête de lui-même. Au départ, Nadja incarne l’espérance charnelle et érotique, mais elle est aussi regardée comme un être mythologique (Breton l’appellera une fée ayant des capacités surnaturelles). Si pour les surréalistes l’éros va dans le sens de la vitalité, l’érotisme est en même temps charnel et mystique. Il y a, vis à vis de la Femme, une attitude d’attente ; elle est vue comme un mystère (parallèle avec Aurélia + le fait de pouvoir découvrir ses propres potentialités grâce à elle). Le surréaliste ne veut pas risquer de perdre des occasions qui se présentent pour accéder à la réalité (ex : Desnos avec l’autohypnose). Sans cette attitude, l’artiste ne peut pas se proclamer surréaliste ; il faut avoir le courage d’approcher un état limite (posture déjà présente dans les poètes maudits). L’état d’écoute est essentiel et les rencontres fulgurantes sont à la base de la reconstruction de l’expérience surréaliste. L’apparition de Nadja est relaté sur un axe chronologique. Même si la relation entre Breton et Nadja est brève, l’auteur a une attitude lente vis à vis d’elle : tantôt il est fasciné, tantôt il ressent une certaine fatigue face à la façon mystérieuse de s’exprimer de la femme, tantôt il a pitié d’elle parce qu’il se rend compte de son existence misérable, tantôt elle est décrite comme une fée ou comme une prostituée. Donc, la rencontre s’organise sous la parabole de l’amour fous. La ville est une protagoniste et le thème du flâneur devient central. Le poème À une passante (1855) de Baudelaire traite le même sujet : une rencontre dans une ville, telle que lors de la première rencontre entre Breton et Nadja. Un ensemble chaotique entoure le poète (« La rue assourdissante autour de moi hurlait » v. 1). De même, le femme dont il est question produit un son avec sa jupe, qui fait entrevoir une jambe parfaite. Le poète regarde rapidement son œil noir et tombe sous son charme : ce regard est comme un éclair, puis on retombe dans la nuit (« un éclair…puis la nuit ! » v. 9). Le moment d’espoir est éphémère. Le poème se termine par l’évocation de l’occasion éperdue d’un amour possible (« car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,/o toi que j’eusse aimée, o toi qui le savais ! » vv. 13-14). Par rapport à Baudelaire, Breton est moins nihiliste. Nadja est une femme qui a le pouvoir d’imprimer à la banalité de la vie réelle une allure merveilleuse ; ses capacités la conduisent à une clairvoyance que Breton admire. Le jour de la rencontre est le 4 octobre 1926 : pendant une de ses promenades de flâneur que Breton prend comme la seule possibilité d’atteindre la surréalité, il voit une femme pauvrement vêtue ayant des yeux très maquillés. Cette rencontre fait que Nadja commence à lui parler d’elle-même et lui pose des questions significatives qui évoquent la remise en question de l’impossibilité de communiquer et de connaitre pleinement l’être humain. Nadja souligne aussi que son occupation est de se flâner dans Paris vers sept heures du soir. Elle regarde les inconnus et essaie de comprendre leur intérêt ; elle se lance dans une critique, un refus du travail déjà évoqué par Breton à l’intérieur du Manifeste. Plus tard, elle critique la guerre : la mystique du soldat en tant qu’héros est contestée (« beaucoup de malheureux et quelques pauvres imbéciles » p. 69). La première rencontre se termine sur la question de Breton « qui êtes-vous ? » à laquelle Nadja répond « je suis l’âme errante » (p. 71). L’âme errante est un individu à la recherche. Lors de la deuxième rencontre, la clairvoyance de Nadja est mise en relief. Au cours de la troisième rencontre, sa capacité de voyante effraie Breton (« Une minute passe. La fenêtre s’éclaire. Il y a, en effet, des rideaux rouges » p. 82). Le 7 octobre, Breton vérifie encore une fois la capacité de magicienne de Nadja avec une rencontre au hasard. Il se rend compte que perdre le contact avec elle serait pour lui une perte irréparable parce que ça comporterait le fait de ne plus savoir (« et si je ne la voyais plus ? je ne saurais plus » p. 90). La capacité d’intervention de Nadja est magique ; en effet, elle sera comparée à une magicienne, notamment la fée Mélusine à la page 132. Breton refuse toute mythologie de la modernité, du travail et du progrès, mais reprend les mythes qui évoquent le merveilleux. Déjà à partir du 7 octobre, Nadja commence à se déréaliser et les chemins des deux personnages divergent ; le journal devient une sorte de réflexion sur les traces laissées par la femme. Breton affirme que la conversation devient moins significative. Ce manque d’entente aboutit sur la fin des rencontres, le 12 octobre, là où le récit s’interrompt. Il réfléchit sur la nature de Nadja (p. 111) : la stupeur qu’elle évoquait en lui était causée par des concordances qui allaient au-delà de ce qu’on s’attend et de la banalité de la vie. La surréalité se manifeste à travers la surprise et le hasard ; valeur symbolique de tout acte et toute rencontre. À partir de page 136, Breton nous apprend que Nadja est touchée par une sorte de folie et a été internée. Il imagine les commentaires des lecteurs qui adhèrent à une conception de la vie comme expression d’une rationalité parfaite et affirme qu’ils donneront un sens rationnel aux événements précédemment évoqués. Nadja est capable de maintenir un esprit d’enfant, si proche de l’esprit de la folie, et a donc la capacité de vivre la surréalité. Ce qui est dangereux n’est pas le dérèglement, mais la norme. Breton anticipe la vision de la folie qui caractérisera la grande révolution des années 1970. L’institution psychiatrique qu’on appellera « totale » est un lieu pathogénique (p. 139). À travers une attaque à l’institution sociale, Breton affirme que les maisons de soin génèrent les pathologies ; de même, les prisons ne font que fabriquer les criminels. La séparation des malades mentaux ne pourra jamais être un moyen de réhabilitation. Pour la moindre peccadille, on ségrégue les malades, on leur empêche d’avoir des contacts sociaux, favorisant ainsi l’accroitre du problème au lieu de le résoudre. Breton continue ses considérations contraires à la psychiatrie à la page 140, où il cherche des épreuves qui soutiennent son idée et condamne aussi l’institution du couvent. Il met en évidence que les institutions sont valables pour garantir une sécurité sociale qu’il condamne. Si l’on arrive à comprendre que la maladie mentale n’est si dangereuse et que l’institution n’est si importante pour le traitement, tout le système de pouvoir collapserait. C’est pour cela que les médecins exagèrent souvent le péril lié à la maladie mentale. De plus, Breton considère que contraster ces institutions considéré comme un symptôme de maladie, donc il dénonce la censure des institutions et se dit à faveur de la liberté de parole. Dans les hôpitaux, les malades passent rapidement du symptôme aigu à la situation chronique, donc c’est évidemment le système qui contribue à une aggravation de la maladie. Il insiste sur le fait qu’on enferme des malades qui ont des symptômes très faibles et affirme que tout internement est arbitraire parce qu’il n’y a pas de raison pour enfermer un être humain. Pendant la révolution, on a enfermé des personnages comme Sade, Nietzsche et Baudelaire. À la page 142 le discours touche son apogée. Il affirme que, au cas où il serait enfermé, il devrait assassiner un médecin, un acte de révolte perçu comme la seule manière d’être écouté. Il s’agit d’une proposition assez scandaleuse parce qu’il laisse entendre que ce serait la seul façon de lever sa voix et obtenir peut être un améliorèrent de la situation. L’homicide serait donc justifié par la situation. Ensuite, il porte sa protestation vers l’inégalité économique ; en effet, Nadja aurait pu guérir si seulement elle avait été riche et enfermé dans une clinique d’avant-garde. La protestation bretonienne est révolutionnaire et s’adresse contre la logique, la morale et l’esthétique. À la page 143, il parle de l’émancipation de l’être humain enfermé qui doit se libérer de la logique, la plus
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